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droit; et cela se comprend, car il s'agit de modifier la puissance paternelle, qui est d'ordre public. Toutefois, s'il y avait urgence à prendre une mesure en faveur des enfants, le président pourrait, comme juge de référé, ordonner qu'ils soient confiés à la mère; mais le président doit, en ce cas, observer les formes prescrites par le code de procédure (art. 806 et suiv.). S'il statuait comme magistrat conciliateur, en vertu de l'article 232 du code civil, il excéderait ses pouvoirs, et son ordonnance serait annulable (1). La différence n'est pas seulement dans les mots : l'ordonnance de référé est susceptible d'appel, tandis qu'on ne peut pas interjeter appel des mesures que le président prend en vertu de sa mission de conciliateur (2).

255. Le tribunal peut-il ordonner que les enfants soient confiés à une tierce personne? L'affirmative ne souffre aucun doute. D'après l'article 267, l'administration provisoire des enfants reste au mari, à moins qu'il n'en soit autrement ordonné par le tribunal. La loi ne dit pas que les enfants doivent être remis à la femme; elle est conçue à dessein en termes très-vagues, autrement ordonné, ce qui laisse toute latitude au juge. Rien de plus naturel d'ailleurs, le principe étant que le tribunal doit se décider dans son choix, pour le plus grand avantage des enfants. Ce qui lève tout doute, c'est qu'après l'admission du divorce, le tribunal peut ordonner que les enfants soient confiés aux soins d'une tierce personne. Pourquoi ce qui se fait définitivement après la dissolution du mariage ne pourrait-il pas se faire, à titre de mesure provisoire, pendant l'instance en divorce (3)?

Les mesures que le tribunal prend à l'égard des enfants sont essentiellement temporaires, en ce sens qu'il peut toujours en prendre d'autres, si l'intérêt des enfants l'exige. Il en est ainsi des mesures dites définitives que le

(1) Arrêts de Grenoble du 2 mai 1864 (Dalloz, 1865, 2, 145) et de Caen du 1er juillet 1867 (Dalloz, 1867, 5, 390, no 2).

(2) Arrêt de Paris du 5 janvier 1848 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 131).

(3) Voyez, en ce sens, les arrêts cités par Dalloz, au mot Séparation de corps, n" 123.

tribunal ordonne quand le divorce est admis (1). A plus forte raison le juge peut-il revenir sur des mesures provisoires. Bien entendu que le tribunal ne peut rien décider que sur la demande des parties intéressées. Sont telles, aux termes de l'article 267, les père et mère, la famille, c'est-à-dire le conseil de famille et le ministère public.

256. Il s'est présenté des difficultés sur l'exécution des décisions prises par le tribunal. L'huissier chargé d'exécuter la décision du tribunal peut se faire assister par les agents de la force publique. Cela ne fait aucun doute; c'est le droit commun. La jurisprudence consacre un moyen de coercition moins violent, la saisie des revenus de l'époux récalcitrant (2). Au point de vue des principes de droit, la question est douteuse. Nous l'avons déjà rencontrée, quand il s'agit de forcer la femme à rentrer dans le domicile conjugal. Dans notre espèce, elle est encore plus douteuse. La femme qui refuse de réintégrer le domicile conjugal viole une obligation qu'elle a contractée en se mariant; elle est donc débitrice dans le sens le plus large du mot, et l'on conçoit à la rigueur qu'elle soit contrainte de remplir son devoir par les voies de la saisie. Mais dans notre espèce, la femme n'est pas débitrice; il s'agit uniquement d'exécuter par la force une décision judiciaire. Ne faudrait-il pas un texte de loi qui autorise le juge à ordonner la saisie? Nous le croyons (3). Les tribunaux ont encore choisi une autre voie pour arriver au même but. Ils condamnent l'époux qui refuserait d'exécuter le jugement à des dommages-intérêts fixés par chaque jour de retard (4). Cette voie d'exécution nous laisse également des scrupules. Peut-il être question de dommagesintérêts en cette matière? Quelle est la perte qu'éprouve la mère à qui on refuse de remettre les enfants? quel est le gain dont elle est privée? A vrai dire, il ne s'agit pas des parents, il s'agit de l'avantage des enfants. La chose

(1) Arrêt de Bordeaux du 9 juin 1832 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 327).

(2) Arrêt de Colmar du 10 juillet 1833 (Dalloz, au mot Mariage, no 761). (3) Voyez plus haut, p. 121, no 91.

(4) Arrets de la cour de cassation du 4 avril 1865 et du 8 novembre 1864 (Dalloz, 1865, 1, 387 et 390).

est de toute évidence quand c'est sur la demande du ministère public que les mesures sont prises. Il n'est donc pas exact de dire que l'époux récalcitrant cause un dommage et qu'il est tenu de le réparer. En réalité, le tribunal prononce une peine pécuniaire; or, peut-il y avoir une peine sans loi pénale?

No 3. DE LA RÉSIDENCE PROVISOIRE DE LA FEMME.

257. L'article 268 porte: « La femme demanderesse ou défenderesse en divorce pourra quitter le domicile du mari pendant la poursuite. » On comprend que l'obligation de la vie commune ne peut subsister pendant l'instance en divorce; la paix de la famille serait troublée à chaque instant, la sûreté même de la femme serait compromise. La femme devait donc avoir le droit de quitter le domicile conjugal. Nous disons que c'est un droit pour elle. En effet, le code dit qu'elle pourra quitter le domicile du mari. Est-ce à dire que le tribunal ne doive pas intervenir? L'article 268 ajoute: « Le tribunal indiquera la maison dans laquelle la femme sera tenue de résider. » Puisque la femme, en quittant le domicile conjugal, nė peut pas résider où elle veut, elle doit nécessairement s'adresser à la justice pour que le tribunal lui indique la maison qu'elle devra habiter. Le président ne pourrait-il pas assigner à la femme un domicile provisoire? Comme juge de référé, oui, et à titre de mesure d'urgence, mais non comme magistrat conciliateur, car la loi ne lui donne pas ce droit. Il y a, sous ce rapport, une différence entre le divorce et la séparation de corps (code de procédure, art. 878); nous y reviendrons.

La loi dit que le tribunal indiquera la maison où la femme sera tenue de résider. Il a été jugé, en matière de séparation de corps, que la résidence de la femme devait être fixée dans le ressort du tribunal. Cela est sans doute utile, car le mari, conservant la puissance maritale, a le droit et le devoir de surveiller sa femme; mais il est évident que ce n'est pas là une question de droit, c'est un point de fait que le tribunal décidera d'après les circon

stances et les convenances. Il y a des arrêts en ce sens(1). 258. L'article 268 suppose que c'est toujours la femme qui quitte le domicile conjugal. On demande si le tribunal ne pourrait pas autoriser la femme à y rester, en ordonnant au mari de le quitter? Il a été jugé que la femme ne peut être autorisée à expulser le mari, alors même que la maison conjugale serait un bien paraphernal de la femme (2). Mais la jurisprudence s'est prononcée pour l'opinion contraire, ainsi que la doctrine. Sans doute, le tribunal doit, en règle générale, maintenir le mari dans la maison conjugale, car ce domicile est le sien, et la femme, légalement, n'en a pas d'autre (art. 214); aussi l'article 268 dit-il que la femme pourra quitter le domicile du mari; il ne dit pas que la femme peut expulser le mari. Toutefois il ne le défend pas; il permet de suspendre la vie commune, dès lors peu importe où le mari réside; en droit, la puissance maritale n'est pas lésée si le mari réside dans telle maison plutôt que dans telle autre. Le juge peut donc considérer les circonstances, les convenances et l'intérêt de la famille; ainsi, si la femme exerce une industrie ou un commerce dans la maison conjugale, l'équité exige qu'elle y reste et que le mari la quitte (3).

259. La loi fait une obligation à la femme de résider dans la maison qui lui a été assignée par le tribunal. Aux termes de l'article 269, la femme est tenue de justifier de sa résidence dans la maison indiquée toutes les fois qu'elle en sera requise. A défaut de cette justification, le mari pourra refuser la provision alimentaire qu'il doit lui payer, et si la femme est demanderesse en divorce, elle peut être déclarée non recevable à continuer ses poursuites. Nous parlerons plus loin de la pension alimentaire. Quant à la fin de non-recevoir, c'est une espèce de peine que la loi attache à l'inexécution de l'obligation qu'elle impose à la

(1) Dalloz, au mot Séparation de corps, no 136. Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1382.

(2) Arrêt de Limoges du 21 mai 1845 (Dalloz, 1849, 2, 45).

(3) Voyez les arrêts cités dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 141, et arrêts de Colmar du 23 mai 1860 (Dalloz, 1860, 2, 200), de Bruxelles du 14 juillet 1859 (Pasicrisie, 1860, 2, 210) et de Gand du 9 juin 1866 (Pasicrisie, 1868, 2, 279).

femme. Quelle est cette fin de non-recevoir? La loi le dit, que ia femme peut être déclarée non recevable à continuer ses poursuites; ce n'est donc pas une fin de non-recevoir contre l'action en divorce, comme celle dont traite la section III; l'action n'est pas éteinte, seulement la femme ne peut pas continuer la procédure, aussi longtemps qu'elle ne satisfait pas à son obligation. C'est un refus d'audience, comme le dit la cour de Gand (1).

Il faut ajouter que cette fin de non-recevoir n'est pas absolue. La cour d'Amiens avait décidé que le tribunal devait déclarer la femme non recevable par cela seul qu'elle ne justifiait pas de sa résidence dans la maison indiquée; mais l'arrêt a été cassé (2). L'erreur était évidente; le texte dit en effet que le mari pourra faire déclarer la femme non recevable, ce qui implique un pouvoir d'appréciation. Cela est aussi fondé en raison. La femme peut quitter sa résidence pour des motifs très-légitimes (3). Si la maison qui lui a été indiquée est celle de sa mère et si celle-ci change de demeure, la femme est certes autorisée à la suivre (4). Il a même été jugé que la femme ne doit pas être déclarée non recevable, alors qu'elle a changé de résidence pour se procurer un logement plus agréable, quand du reste il est constant qu'elle n'a pas voulu se soustraire à la surveillance de son mari (5).

N° 4. DE LA PROVISION ALIMENTAIRE.

260. La femme, dit l'article 268, qui quitte le domicile de son mari pendant la poursuite pourra demander une pension alimentaire proportionnée aux facultés de son mari; l'article ajoute que le tribunal fixe, s'il y a lieu, la provision alimentaire que le mari sera obligé de lui payer.

(1) Arrêt du 9 décembre 1864 (Pasicrisie, 1865, 2, 66).

(2) Arrêt de la cour de cassation du 16 janvier 1816 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 235).

(3) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 233. Ajoutez arrêt de Gand précité du 9 décembre 1864 et arrêt de Paris du 27 février 1868 (Dalloz, 1868, 2, 52).

(4) Arrêt de la cour de cassation de Berlin du 18 mai 1821 (Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1383).

(5) Arrêt de Bordeaux du 8 août 1867 (Dalloz. 1867, 5, 391, no 7).

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