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Sil y a lieu, il peut donc ne pas y avoir lieu. En général, les époux sont mariés sous le régime de communauté légale; dans ce cas, la femme n'a aucun revenu, quand même elle aurait des biens personnels, puisque le mari en a la jouissance. Il en est de même si les époux ont stipulé le régime exclusif de communauté ou le régime dotal, alors que la femme n'a pas de paraphernaux. Si la femme n'a pas de revenus, il faut naturellement que le mari lui paye une pension alimentaire pour qu'elle puisse subvenir à ses besoins pendant le cours du procès. Mais si les époux étaient séparés de biens et si les revenus de la femme suffisaient pour fournir à ses nécessités, il n'y aurait pas lieu de lui accorder une pension alimentaire. Il en serait de même si la femme recevait une pension de ses parents, et que cette pension lui fût payée à elle au lieu de l'être au mari; il serait pourvu à ses besoins, partant elle ne pourrait pas demander que le mari y pourvoie (1). C'est une application des principes qui régissent la dette alimentaire; il n'y a pas d'obligation de fournir des aliments à celui qui n'est pas dans le besoin (2).

261. L'étendue de la provision alimentaire est aussi réglée d'après les principes généraux. Cela résulte du texte de l'article 268, aux termes duquel la pension alimentaire est proportionnée aux facultés du mari; il faut ajouter, comme le fait l'article 208, et aux besoins de la femme. En général, les aliments comprennent la nourriture et l'entretien. La provision alimentaire due à la femme pendant l'instance en divorce comprend, en outre, la somme nécessaire pour suivre le procès. La loi ne le dit pas d'une manière expresse, elle n'avait pas besoin de le dire. Il va de soi que le premier besoin de la femme demanderesse ou défenderesse en divorce est de pouvoir soutenir son droit.

En matière de séparation de corps, le code de procédure dit que le président ordonnera de remettre à la femme les effets à son usage journalier (art. 878). Bien qu'il n'y ait

(1) Arrêt de Bruxelles du 15 juillet 1848 (Pasicrisie, 1849, 2, 177). (2) Voyez, plus haut, no 69, p. 97.

pas de disposition analogue au titre du Divorce, il est certain que le président peut et doit même, comme juge de référé, prescrire cette mesure d'urgence; et si le président ne l'a pas fait, le tribunal le fera; les habillements font partie des aliments. Quels sont les effets dont le président peut ordonner la remise? Il a été décidé, en matière de séparation de corps, que la femme ne peut réclamer que les effets qui lui sont nécessaires, et non les toilettes de luxe, dont les convenances lui interdisent l'usage dans la position où elle se trouve (1). Nous disons avec M. Debelleyme que c'est là une question de fait que le tribunal décidera selon la condition des parties et les circonstances (2). Cela est surtout vrai en matière de divorce, puisqu'il n'y a pas de texte qui limite le pouvoir du juge.

262. L'article 268 dit que le tribunal fixe la pension alimentaire. Ainsi le président n'a pas ce droit. Cependant il faut apporter une restriction à cette décision. Il se peut que la femme quitte le domicile de son mari au moment où elle présente sa requête au président, et que celui-ci lui indique une maison où elle résidera, par voie de mesure d'urgence; il peut aussi, au même titre, lui accorder des aliments, en usant du pouvoir que lui donne le code de procédure (art. 806) de statuer, dans tous les cas d'urgence, comme juge des référés. Cela est généralement admis (3).

La provision alimentaire peut être demandée en appel, elle peut même être demandée pendant l'instance en cassation, mais non devant la cour suprême, puisque celle-ci ne peut statuer au fond (4). Il va sans dire que la pension doit être payée jusqu'au jour où le divorce est prononcé. La femme rentre alors dans le droit commun; elle n'est plus demanderesse ni défenderesse en divorce.

263. L'article 268 suppose que la femme quitte le domicile conjugal. Si elle y reste et si elle y reçoit les ali

(1) Arrêt de Bruxelles du 26 juin 1849 (Pasicrisie, 1850, 2, 289).

(2) Debelleyme, Ordonnances de référé, t. Ier, p. 335.

(3) Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, no 153.

(4) Arrêt de la cour de cassation de Darmstadt du 13 décembre 1841 (Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1382).

ments, elle ne pourra pas demander de pension alimentaire proprement dite. Mais si le mari lui refusait les sommes nécessaires pour ses besoins personnels et ceux de ses enfants, elle pourrait certes réclamer une provision de ce chef, ainsi que pour les frais du procès (1). Le payement de la pension alimentaire est subordonné à une condition, c'est que la femme réside dans la maison qui lui a été indiquée. Si elle ne justifie pas de sa résidence, le mari peut refuser la provision alimentaire (art. 269). Le refus du mari est-il absolu? Il faut appliquer au payement de la pension ce que nous avons dit de la fin de non-recevoir qui résulte du même défaut de justification. Le tribunal appréciera les raisons que la femme a eues de changer de résidence; si elle n'a pas voulu se soustraire à la surveillance du mari, il n'y a pas lieu d'appliquer l'espèce de peine prononcée par la loi.

264. Le code civil suppose toujours que c'est la femme qui demande la pension alimentaire; il ne dit rien du mari. En effet, le mari conserve la jouissance de ses biens, et en général il jouit des revenus de la femme; régulièrement il n'a donc pas besoin d'une provision. Néanmoins, il se peut qu'il en ait besoin; si les époux sont séparés de biens et si le mari n'a aucune fortune, la femme devra-t-elle payer une pension alimentaire à son mari? Pour les aliments proprement dits, il ne peut pas y avoir de doute; les époux se doivent secours aussi longtemps que le mariage dure (art. 212), par conséquent jusqu'à la prononciation du divorce. Il faut étendre cette obligation à la provision pour frais du procès, car c'est aussi un besoin pour le mari, et la femme doit pourvoir à tous ses besoins si le mari n'a pas de ressources. La jurisprudence est en ce sens (2).

(1) Arrêt d'Amiens du 4 prairial an_xII (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 148).

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, no 151.

No 5. DES MESURES CONSERVATOIRES.

265. La loi permet à la femme commune en biens de requérir l'apposition des scellés sur les effets mobiliers de la communauté pour la conservation de ses droits (art. 270). Nous avons dit que le mari reste à la tête de la communauté; il conserve donc tous les droits qu'il a comme chef. Il a été jugé, par application de ce principe, que le mari pouvait, sans le concours de la femme, former une demande en partage des successions mobilières à elle échues(1). Il peut aussi disposer des immeubles de la communauté, pourvu qu'il le fasse de bonne foi; s'il le fait en fraude des droits de la femme, celle-ci peut agir en nullité. La garantie de l'action paulienne n'a pas paru suffisante au législateur pour ce qui concerne les effets mobiliers de la communauté. En effet, il est difficile de suivre les meubles entre les mains des tiers, ils se déplacent et ils se cachent trop facilement. Pour assurer les droits de la femme, la loi lui permet de requérir l'apposition des scellés. Les scellés ne sont levés qu'en faisant inventaire avec prisée, et à la charge par le mari de représenter les choses inventoriées ou de répondre de leur valeur comme gardien judiciaire (art. 270). Faut-il conclure de là que le mari ne peut plus aliéner les objets inventoriés? La question est controversée. Il a été bien jugé, à notre avis, que l'article 270 n'entendait pas donner au mari une alternative, en ce sens qu'il aurait la faculté de conserver le mobilier ou d'en payer la valeur (2). La loi ne s'exprime pas ainsi. Elle commence par imposer au mari l'obligation de représenter les choses inventoriées, ce qui implique la défense d'en disposer. Puis, au cas où il ne les représenterait pas, elle le déclare responsable comme gardien judiciaire, ce qui est une vraie pénalité, puisque le gardien judiciaire est contraignable par corps. Une peine ne con

(1) Arrêt de Paris du 7 pluviose an xII (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 461).

(2) Voyez les arrêts cités dans Dailoz, au mot Séparation de corps, no 362. Dalloz est d'opinion contraire.

stitue certes pas une alternative. L'esprit de la loi ne laisse aucun doute. Elle veut donner à la femme une garantie; or, si le mari peut disposer des effets inventoriés, où sera la garantie? La contrainte par corps n'en est pas une quand le mari est insolvable. Vainement objecte-t-on que la défense d'aliéner déroge au pouvoir du mari. Sans doute, mais le but de la loi a été précisément de modifier le pouvoir absolu du mari pour empêcher qu'il n'en abuse au préjudice de la femme. La défense d'aliéner même est une garantie inefficace, puisque la femme ne peut agir en nullité contre les tiers acquéreurs, elle ne peut agir que par action en revendication; or, cette action n'est pas admise contre les tiers possesseurs de bonne foi.

266. La femme a-t-elle besoin de l'autorisation maritale pour requérir ces mesures? A Paris, l'usage est que la femme demande l'autorisation du juge, qui lui est accordée sur requête (1). La cour de Lyon a décidé que l'autorisation n'était pas nécessaire (2). Cette décision est conforme aux principes. L'apposition des scellés et l'inventaire qui le suit sont des actes conservatoires; or, il est de l'essence de ces actes qu'ils se fassent sans délai, sinon ils n'atteignent pas leur but. Le mari peut faire disparaître d'un instant à l'autre le mobilier de la communauté, il faut donc que la femme puisse agir directement. Si l'on exigeait l'autorisation, elle devrait, d'après la rigueur de la loi, la demander au mari, et, seulement sur son refus, à la justice. Or, conçoit-on que la femme s'adresse au mari pour être autorisée à prendre une mesure de défiance contre lui? Quand le législateur donne un droit à la femme, il l'autorise, par cela même, à l'exercer. Il en est ainsi quand la femme révoque une donation qu'elle a faite à son mari pendant le mariage (art. 1096). On dira que toutes ces raisons s'adressent au législateur, qu'il faudrait un texte qui dispensât la femme de l'autorisation maritale. Non, car il est de principe que les incapables peuvent faire les actes conservatoires, parce que ces actes par leur

(1) Debelleyme, Ordonnances sur référé, t. Ier, p. 338 et suiv. (2) Arrêt du 1er avril 1854 (Dalloz, 1856, 2, 241).

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