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l'alliance devrait produire après le divorce, alors on appliquerait le principe que, la cause cessant, les effets doivent cesser telle serait l'obligation alimentaire. Mais le principe ne reçoit pas son application aux effets déjà produits (1).

288. Nous avons supposé que le mariage est dissous à partir de la prononciation du divorce par l'officier de l'état civil. Zachariæ enseigne que cette prononciation rétroagit au jour du jugement. Il prétend que le jugement prononce le divorce sous condition suspensive; la déclaration de l'officier public n'est que l'exécution du jugement qui admet le divorce. Cela est contraire aux textes et aux principes. Les articles 264, 290 et 294 disent de la manière la plus formelle que le tribunal renvoie les époux devant l'officier de l'état civil pour faire prononcer le divorce; jusqu'à ce moment donc, le mariage subsiste. Il ne peut pas être question d'une condition suspensive; car il n'y a d'autres conditions que celles qui sont stipulées par les parties ou sous-entendues par la loi. En matière de divorce, les parties ne peuvent rien stipuler, puisque le mariage est d'ordre public. Il faudrait donc que la condition fût écrite dans la loi. Or, le législateur s'est bien gardé d'établir une condition; un état conditionnel, c'està-dire incertain, ne se conçoit pas en cette matière; le mariage ne peut pas plus se dissoudre sous condition qu'il ne peut se contracter sous condition. Par la même raison, on ne peut appliquer au jugement qui admet le divorce le principe que tout jugement rétroagit au jour de la demande; d'abord parce que ce n'est pas le jugement qui prononce le divorce; puis le principe de la rétroactivité des jugements suppose que le juge ne fait que déclarer des droits préexistants, droits pécuniaires qui sont déjà dans le patrimoine du demandeur, tandis que le divorce vient détruire un état et en créer un nouveau.

289. Un des effets les plus considérables du divorce, c'est que les époux divorcés peuvent contracter un nouveau mariage. C'est à raison de cette liberté de se rema

(1) Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. ler, p. 268, § 147.

rier que les auteurs du code ont préféré le divorce à la séparation de corps (1). Toutefois le droit de contracter une nouvelle union reçoit des restrictions, qui diffèrent d'après les causes de divorce; nous les exposerons plus loin. L'une de ces restrictions s'applique à tout divorce, pour quelque cause qu'il soit prononcé; les époux divorcés, dit l'article 295, ne pourront plus se réunir. Les auteurs du code ont emprunté cette disposition à Montesquieu qui l'a trouvée dans les lois du Mexique; il dit que la loi qui défend aux époux de se réunir entre mieux dans les vues de l'indissolubilité du mariage que la loi qui le leur permet (2). Treilhard développe cette pensée dans l'Exposé des motifs : « Le divorce ne doit être prononcé que sur la preuve d'une nécessité absolue, et lorsqu'il est bien démontré à la justice que l'union entre les deux époux est impossible: cette impossibilité une fois constante, la réunion ne pourrait être qu'une occasion nouvelle de scandale. Il importe que les époux soient d'avance pénétrés de toute la gravité de l'action qu'ils vont intenter, qu'ils n'ignorent pas que le lien sera rompu sans retour, et qu'ils ne puissent pas regarder l'usage du divorce comme une simple occasion de se soumettre à des épreuves passagères, pour reprendre ensuite la vie commune, quand ils se croiraient suffisamment corrigés.

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La disposition fut vivement combattue au sein du conseil d'Etat. Nous croyons que les opposants avaient raison contre Montesquieu. Si les époux sont libres de contracter un nouveau mariage, pourquoi n'auraient-ils pas cette liberté entre eux, c'est-à-dire entre personnes qui doivent naturellement se préférer? Si le divorce est nécessaire, il n'en est pas moins un scandale; on doit donc désirer que le mariage, destiné à durer toujours, reprenne sa perpétuité. On craint de nouveaux désordres. Nous répondons que le désordre peut aussi se produire et s'est produit dans les unions nouvelles que le code permet aux époux divorcés. Par contre, il peut y avoir repentir :

(1) Treilhard, Exposé des motifs, no 33 (Locré, t. 11, p. 572). (2) Montesquieu, de l'Esprit des lois, XVI, 15.

pourquoi ne pas lui laisser une porte ouverte? Vainement Portalis dit-il que c'est par respect pour le mariage qu'il faut défendre aux époux de se réunir, afin qu'ils ne se jouent pas du divorce comme ils se sont joués du mariage, afin qu'ils ne divorcent pas légèrement et avec l'arrièrepensée de se réunir. Nous répondrons avec Bérenger qu'il n'y a pas à craindre que l'on divorce par légèreté ou par calcul; ceux qui divorcent le font dans un esprit de perpétuité aussi bien que ceux qui se marient; si, malgré cela, on permet aux époux de se désunir, pourquoi ne leur permettrait-on pas de se réunir? Dire, comme Treilhard, que les époux, au moment où ils divorcent, pourraient spéculer en quelque sorte sur leur réunion, c'est ne pas tenir compte des passions qui provoquent le divorce (1). Non, au moment où ils rompent leur mariage, les époux pensent certes que ce sera pour toujours; c'est pour cela qu'ils demandent le divorce, au lieu de se contenter de la séparation de corps. Mais si le repentir les corrige, s'ils ont pitié de la triste condition de leurs enfants, pourquoi ne pas permettre une réunion qui est dans le vœu de la nature et dans l'intérêt de la société?

SECTION II. Des effets du divorce quant aux époux.

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§ Ier. Du divorce pour cause déterminée.

290.Il résulte du divorce pour cause déterminée deux empêchements au mariage. La femme divorcée ne peut se remarier que dix mois après le divorce prononcé (art. 296). C'est une disposition analogue à celle de l'article 218 et fondée sur les mêmes motifs. Quand le divorce est prononcé pour cause d'adultère, l'époux coupable ne peut jamais se marier avec son complice (art. 298). Rien de plus moral que cet empêchement; malheureusement il est, comme tous les empêchements naissant du divorce, sim

(1) Séance du conseil d'Etat du 16 nivôse an x (Locré, t. II, p. 540-542,

plement prohibitif. Si donc le mariage était célébré, il subsisterait, au mépris de la moralité publique (1).

291. Aux termes de l'article 298, la femme adultère sera condamnée par le même jugement qui admet le divorce, et sur la réquisition du ministère public, à un emprisonnement de trois mois à deux années. L'article 308 contient une disposition analogue pour la séparation de corps. C'est une exception au principe qui sépare la juridiction civile de la juridiction criminelle. Les tribunaux civils ne prononcent pas de peines. Pourquoi donc le code Napoléon veut-il que la femme adultère soit condamnée à la prison par le tribunal civil? Il y a une raison historique qui explique cette anomalie. La législation intermédiaire ne punissait pas l'adultère; c'était une erreur que les auteurs du code eurent hâte de réparer; ils insérèrent en conséquence une disposition pénale dans le code civil, et considérant la peine comme un accessoire de la demande en divorce, ils donnèrent au tribunal civil saisi de la contestation principale le droit de prononcer la peine comminée contre la femme adultère (2).

Pour que le tribunal civil puisse condamner la femme, il faut deux conditions: d'abord la réquisition du ministère public, le tribunal n'étant saisi que par cette réquisition il faut, de plus, que le ministère public requière la peine avant le jugement sur le divorce, car la loi veut que la peine soit prononcée par le même jugement. Si donc le ministère public faisait sa réquisition après le jugement, il n'y pourrait pas être fait droit (3). Il va sans dire que le tribunal civil ne peut pas condamner le mari adultère; sa compétence, étant une dérogation au droit commun, doit être restreinte dans les limites précises de la loi.

La combinaison du code civil et du code pénal donne lieu à de sérieuses difficultés. On demande d'abord si les articles 298 et 308 n'ont pas été abrogés par le code pénal. Il y a un motif de douter. Ces dispositions ont été

(1) Voyez le tome II de mes Principes, p. 478, no 366.
(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 483, no 381.

(3) Arrêt de Rouen du 14 mai 1829 (Dalloz, au mot Séparation de corps n° 280).

portées parce que, lors de la publication du code civil, l'adultère n'était pas puni; depuis lors, est intervenu le code pénal de 1810, qui contient un système complet sur la punition de l'adultère. N'en faut-il pas conclure que les dispositions du code Napoléon sont transitoires et, comme telles, abrogées par le code pénal? La cour de Liége l'avait décidé ainsi par un arrêt du 6 mars 1819; mais elle est revenue de cette erreur, car erreur il y a. En effet, le code civil ne se borne pas à prononcer une peine contre la femme adultère; il attribue de plus compétence au tribunal saisi de la demande en divorce; cette dernière disposition n'a rien de transitoire; elle est définitive et elle n'est certes pas abrogée par le code pénal, car une loi générale ne déroge pas à une loi spéciale (1).

Il y a un autre conflit entre la loi pénale et la loi civile. L'article 336 du pénal porte: « L'adultère de la femme ne peut être dénoncé que par le mari. Il est vrai que l'adultère est un délit public, en ce sens qu'il porte atteinte à la sainteté du mariage que la loi doit protéger et garantir; mais, comme l'a dit l'orateur du gouvernement en 1810, sous d'autres rapports, c'est moins un délit contre la société que contre l'époux, qu'il blesse dans son amour-propre, dans son honneur et son affection. Donc, sans plainte du mari, il ne peut pas y avoir de condamnation contre la femme. Ce principe s'applique-t-il à la condamnation que les tribunaux civils prononcent en vertu des articles 298 et 308? c'est-à-dire, faut-il, que le mari fasse une dénonciation formelle pour que le ministère public puisse requérir la peine de l'emprisonnement contre la femme? Non; la disposition de l'article 298 est spéciale et ne comporte pas l'application des principes du droit criminel sur la dénonciation ou la plainte. L'action en divorce est une action civile, et devant les tribunaux civils il ne peut pas être question de plainte ni de dénonciation. Tout ce que le code Napoléon exige, c'est que le jugement admette le divorce pour cause d'adultère, ce qui suppose naturellement. que le mari a demandé le divorce pour adultère de la

(1) Arrêt de Liege du 29 mars 1847 (Pasicrisie, 1849, 2, 260).

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