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taire ordinaire, puisqu'elle révoque de plein droit les avantages qui lui ont été faits. Comment, étant plus sévère, sa disposition serait-elle plus favorable à l'époux ingrat? Dira-t-on qu'il faut un texte? Ce texte existe, et énergique : l'article 299 veut que l'époux perde tout avantage qui lui a été fait, il n'en peut donc retirer aucun bénéfice. Cela décide la question.

307. L'époux qui a obtenu le divorce conserve les avantages que l'autre époux lui a faits. Il les conserve, dit l'article 300; c'est-à-dire que la loi les maintient tels qu'ils étaient, avec le caractère qu'ils avaient, sous les conditions qui y étaient attachées. Par application de ce principe, l'article 1518 décide que le divorce ne donne pas lieu à la délivrance actuelle du préciput, mais que l'époux qui a obtenu le divorce conserve son droit au préciput en cas de survie. L'article 1452 dit la même chose pour les droits de survie stipulés au profit de la femme; ils ne s'ouvrent pas par le divorce, mais la femme conserve la faculté de les exercer lors de la mort du mari.

Nous appliquons le même principe aux donations faites pendant le mariage au profit de l'époux qui a obtenu le divorce il les conserve, mais avec le caractère qui leur est inhérent; elles restent révocables (1). La question est controversée. Proudhon dit que l'époux donateur ne peut plus révoquer les donations, ni après le divorce prononcé, ni même pendant l'instance du divorce. Si, dit-il, le donateur pouvait révoquer les libéralités qu'il a faites à son conjoint, il ne serait pas exact de dire que celui-ci les conserve. Nous avons répondu d'avance à l'objection le donataire les conserve telles qu'elles étaient. Si la loi déclarait irrévocables des avantages qui par leur nature sont révocables, elle ferait plus que les conserver, elle en altérerait la nature. Ne faudrait-il pas un texte pour que l'on pût admettre une exception aussi anomale à la règle posée par l'article 1096? On prétend que ce texte existe dans la combinaison des articles 300 et 299. L'article 299

(1) Duranton, t. II, p. 577, n° 631. Demolombe, t. IV, p. 648, no 530. Willequet, du Divorce, p. 255. Massol, De la séparation de corps, p. 311.

révoque de plein droit les libéralités faites pendant le mariage; or, l'article 300 est corrélatif à celui qui précède; il faut donc dire que la faculté de révoquer cesse dans les deux cas (1). Nous répondons que c'est dépasser le texte tout ce qu'il est permis d'inférer des deux articles, c'est que le demandeur en divorce conserve les donations faites pendant le mariage, mais la loi ne dit pas que ces donations deviennent irrévocables. Elle ne pouvait pas le dire, du moins elle ne le pouvait sans faire une distinction. Parmi ces avantages révocables, se trouvent les dispositions testamentaires. S'il est vrai que l'article 300 déclare irrévocables tous les avantages faits à l'époux innocent, il faut en conclure que les testaments ne pourront être révoqués. Comprend-on une pareille anomalie sans un texte bien positif? Toullier a reculé devant cette conséquence le testateur, dit-il, pourra toujours révoquer les legs qu'il a faits. Ces distinctions prouvent que l'on se place en dehors et au-dessus de la loi, on la fait. Contentons-nous de la prendre telle qu'elle est.

No 2. DE LA PENSION ALIMENTAIRE.

308. La loi accorde une pension alimentaire à l'époux qui a obtenu le divorce (art. 301); elle n'en donne pas à l'époux contre lequel le divorce a été prononcé. L'un peut invoquer les droits qui résultent du mariage; il avait droit aux aliments, il le conserve, mais tel que la loi l'organise. L'autre a rompu le contrat, il ne peut plus l'invoquer pour réclamer des secours de son conjoint. Nous disons que l'époux innocent doit exercer son droit tel que la loi le règle. C'est lors de l'admission du divorce que le tribunal pourra accorder à l'époux qui a obtenu le divorce une pension alimentaire sur les biens de l'autre époux (art. 301). Une fois le divorce prononcé, les époux deviennent étrangers l'un à l'autre, ils ne se doivent plus de secours, donc l'époux qui a obtenu le divorce, sans faire fixer sa pen

(1) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 517. Toullier, t. II, n° 743.

III.

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sion alimentaire, ne peut plus la réclamer après que le divorce est prononcé. Cela a été jugé ainsi sous l'empire de la loi du 20 septembre 1792 (1), et les principes sont les mêmes, sous le code Napoléon, sauf que le droit aux aliments n'est plus réciproque, comme il l'était d'après la loi de 92.

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309. La pension alimentaire de l'époux divorcé est régie par les principes généraux sur les aliments. Nous en trouvons l'application dans l'article 301. L'époux qui a obtenu le divorce n'a droit aux aliments que s'il est dans le besoin Si, dit le texte, les époux ne s'étaient fait aucun avantage, ou si ceux stipulés ne paraissaient pas suffisants pour assurer la subsistance de l'époux qui a obtenu le divorce. » Il faut donc que l'époux demandeur soit dans le besoin, comme le dit l'article 205 de tous ceux qui ont droit aux aliments. Mais dès que le besoin est constaté, le droit existe. Il a été jugé, et avec raison, par la cour de Gand que la femme qui obtient le divorce ou la séparation de corps peut réclamer une pension alimentaire, alors même que sa mère serait en état de lui fournir des aliments (2). C'est une obligation que l'époux a contractée en se mariant; certes, pendant le mariage, il n'aurait pu renvoyer sa femme à demander des aliments à sa mère; il ne le peut pas davantage quand, par sa faute, le mariage est dissous.

La quotité des aliments doit aussi être réglée d'après les principes généraux. Il ne faut pas prendre trop à la lettre ces mots de l'article 301: « pour assurer la subsistance de l'époux qui a obtenu le divorce. » Ils sont synonymes du mot besoin, dont se sert l'article 205. Il a toujours été entendu que les besoins sont une chose essentiellement relative, et doivent être estimés suivant l'état et la condition de celui qui a droit aux aliments. Ce principe doit recevoir son application en matière de divorce. Les époux contractent l'obligation de se fournir des secours selon leur état (art. 212, 214). Certes l'époux coupable ne peut

(1) Arrêt de la cour de cassation du 8 janvier 1806 (Merlin, Répertoire, au mot Divorce, sect. IV, § XIV.

(2) Arrêt du 25 mai 1849 (Pasicrisie, 1849, 2, 231).

pas se soustraire à cette obligation en violant les autres devoirs que la loi lui impose. Il est dans l'esprit de la loi que l'époux innocent ne perde rien par le divorce, qu'il conserve la position d'aisance que son conjoint lui avait faite (1). La loi fixe cependant une limite au pouvoir discrétionnaire que le juge a, en général, pour fixer la pension alimentaire. Elle ne peut pas dépasser le tiers des revenus de l'époux défendeur (art. 301). La limite est assez arbitraire; il faut l'interpréter d'après les principes généraux qui régissent les aliments; si le tiers des revenus était insuffisant pour fournir aux besoins de l'époux innocent, le tribunal pourrait dépasser ce chiffre. Ce que la loi veut, c'est qu'une fois la subsistance assurée, on n'excède pas le tiers des revenus. Il dépend, du reste, des tribunaux d'apprécier les revenus : il a été jugé qu'il fallait tenir compte non-seulement du produit proprement dit, mais aussi du capital. Rien de plus juste : c'est la fortune du débiteur qui est l'élément décisif (2).

310. La dette alimentaire est, en général, variable; elle augmente ou elle diminue avec les besoins; elle cesse quand les besoins cessent. En est-il de même de la pension alimentaire que l'époux divorcé doit à l'époux qui a obtenu le divorce? La loi ne s'explique que sur la cessation de la pension elle sera révocable, dit l'article 301, dans le cas où elle cesserait d'être nécessaire. Ce n'est donc pas une créance absolue comme les dettes ordinaires. Si elle cesse avec les besoins, pourquoi ne serait-elle pas variable, pourquoi n'augmenterait-elle pas avec ces mêmes besoins, et pourquoi ne diminuerait-elle pas si les besoins diminuent? Il y a un arrêt en sens contraire (3). On dit que la pension alimentaire due en cas de divorce ne peut pas subir de modifications après la prononciation du divorce, parce qu'il n'y a plus aucun lien entre les époux. Ce raisonnement confond, nous semble-t-il, deux hypothèses d'une nature essentiellement diverse; le cas où aucune pension

(1) Ainsi décidé par la cour de cassation, en matière de séparation de corps, arrêt du 30 août 1864 (Dalloz, 1865, 1, 68)

(2) Arrêt de Bruxelles du 17 juillet 1852 (Pasicrisie, 1853, 2, 118). (3) Arrêt de la cour de Besançon du 20 brumaire an XIV.

n'a été fixée lors de l'admission du divorce, et le cas où le tribunal a accordé une pension à l'époux qui l'a obtenu. Dans la première hypothèse, il est certain qu'il n'y a plus aucun lien entre les époux, ni par conséquent lieu à une action alimentaire. Mais dans la seconde hypothèse, il reste un lien entre les époux divorcés, celui de créancier et de débiteur, donc il peut y avoir action du chef des aliments. L'article 301 le dit : l'époux débiteur peut demander la révocation de la pension alimentaire. Cela prouve que la pension conserve sa nature d'aliments; dès lors, il faut aussi admettre les conséquences. La pension a été fixée à raison du nombre des enfants confiés à l'époux demandeur. Ces enfants viennent à mourir. Faudra-t-il que l'autre époux continue à payer une pension pour l'entretien d'enfants morts? Cela n'a pas de sens, ce serait une dette sans cause, et il ne peut pas y avoir de dette sans cause. Que si la dette peut cesser, si elle peut diminuer, pourquoi n'augmenterait-elle pas, soit avec les besoins de l'époux qui a droit aux aliments, soit avec la fortune de celui qui les doit? Le divorce ne peut pas altérer la nature de la dette alimentaire; dès qu'elle existe avant la prononciation du divorce, elle continue à exister après le divorce, avec les caractères qui lui sont particuliers.

311. Faut-il appliquer les mêmes principes à l'extinction de la dette alimentaire? Nous avons enseigné que la dette alimentaire est personnelle, qu'elle ne passe pas aux héritiers du débiteur (1). La jurisprudence admet que ce principe ne s'applique pas à la pension alimentaire due par l'époux divorcé à son conjoint (2). Nous croyons que cette jurisprudence est contraire aux vrais principes et au texte même du code. Si la dette alimentaire est personnelle de sa nature, il en doit être de même de la pension que l'époux divorcé doit à son conjoint, car la loi l'appelle pension alimentaire. C'est donc une dette d'aliments. On le conteste; on dit que c'est une indemnité qui tient lieu à l'époux

(1) Voyez, plus haut, no 48, p. 71.

(2) Arrêts de la cour de cassation du 2 avril 1861 (Dalloz, 1861, 1, 97), de Rouen du 30 juillet 1862 (Dalloz, 1864, 2, 238) et de Grenoble du 11 juillet 1863 (Dalloz, 1865, 2, 6).

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