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malheureux des avantages de position et de fortune que lui assurait le mariage, et qu'elle tend à réparer le préjudice qu'il souffre du divorce. Nous répondons que le texte dit le contraire. C'est une pension alimentaire que l'article 301 accorde à l'époux innocent; elle a pour objet, dit-il, d'assurer la subsistance de l'époux qui a obtenu le divorce. Il s'agit donc d'aliments et non d'indemnité. Si c'était une indemnité, l'époux demandeur y aurait toujours droit, qu'il soit dans le besoin ou non, car le divorce lui cause toujours un préjudice. Cependant il n'y a pas droit s'il n'est pas dans le besoin. Donc ce n'est pas une indemnité. La quotité de la pension est fixée d'après la fortune de l'époux qui la doit. Conçoit-on une indemnité, c'est-à-dire des dommages-intérêts, qui sont évalués, non d'après le préjudice souffert, mais d'après la fortune du débiteur? Conçoit-on une indemnité qui ne peut pas dépasser le tiers des revenus du débiteur, bien que le préjudice soit plus élevé? Enfin si c'était une indemnité, la créance une fois évaluée entrerait dans le patrimoine de l'époux créancier, et il ne pourrait plus en être privé. Cependant la loi déclare que la pension alimentaire est révocable dans le cas où elle cesserait d'être nécessaire. Conçoit-on une indemnité, due à raison d'un préjudice, qui cesse d'être due quand le créancier n'est plus dans le besoin? La révocabilité de la pension prouve à l'évidence qu'il s'agit d'aliments et non d'indemnité.

On insiste et l'on dit que, d'après le texte de l'article 301, la pension alimentaire est accordée sur les biens de l'autre époux, qu'elle passe donc avec ces biens aux héritiers du débiteur. Nous demanderons si toute pension alimentaire n'est pas accordée sur les biens de celui qui la doit, par cela même que c'est une dette et que toute dette grève les biens du débiteur? Donc toute pension alimentaire devrait passer aux héritiers. L'argument est de ceux qui prouvent trop et qui se retournent contre celui qui les fait valoir. Si toute dette alimentaire, quoique grevant les biens du débiteur, est néanmoins attachée à la personne, pourquoi en serait-il autrement de la pension alimentaire due par l'époux divorcé? Ce que le droit nous dit, la raison le con

firme. Quel est le fondement de la dette alimentaire que la loi impose à l'époux divorcé? C'est qu'il ne peut pas par sa faute se décharger d'une obligation qui résulte du mariage. C'est donc l'obligation de secours, établie par l'article 212, qui subsiste au profit de l'époux innocent. Mais l'obligation ne peut pas avoir plus d'etendue après le divorce qu'elle n'en avait pendant le mariage. La mort met fin aux obligations que le mariage produit; l'époux survivant ne peut pas réclamer d'aliments des héritiers du défunt; pourquoi l'époux divorcé aurait-il ce droit? On en chercherait vainement la raison.

§ II. Divorce par consentement mutuel.

312. Aux termes de l'article 279, les époux ont dû régler leurs droits respectifs avant de demander le divorce par consentement mutuel. Ce divorce produit un effet très-important quant aux biens des époux. Il les prive de la moitié de leur patrimoine (art. 305), qui est acquise de plein droit aux enfants. Nous avons déjà traité cette matière (no 298).

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313. On dit que la séparation de corps est le divorce des catholiques. Cela est vrai en ce sens que les auteurs du code Napoléon l'ont admise par respect pour les croyances des catholiques auxquels leur religion ne permet pas de demander le divorce. Déjà dans le discours où il expose la théorie générale du code civil, Portalis disait que, sous les lois qui autorisent la liberté des cultes, il ne fallait pas placer un homme fidèle à sa religion entre le désespoir et sa conscience (2). Treilhard répéta presque les mêmes paroles dans le discours qu'il prononça devant le Corps législatif pour défendre l'institution du divorce:

La séparation de corps est proposée pour ceux dont la croyance religieuse repousserait le divorce; il ne fallait pas les exposer sans ressource aux malheurs d'un joug trop insupportable, et les laisser entre le désespoir et la mort (3).

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De là, la doctrine et la jurisprudence ont tiré une conséquence très-grave. Le code ne contient que six articles sur la séparation de corps. On comble les nombreuses lacunes qu'il laisse par ce principe d'interprétation, que la séparation étant le divorce des catholiques, il faut appliquer par analogie à la séparation les dispositions de la loi sur le divorce, toutes les fois qu'elles peuvent cadrer avec la séparation et que, d'ailleurs, aucun texte exprès n'em

(1) Massol, Traité de la séparation de corps.

(2) Portalis, Exposé général du système du code civil, no 19 (Locrá, t. Ier p. 193).

(3) Discours prononcé dans la séance du Corps législatif du 23 ventôse an xi, n° 6 (Locré, t. II, p. 609).

pêche de les appliquer. Ce principe paraît très-sage à M. Valette (1). M. Demolombe avoue ses doutes et ses scrupules (2). Un principe d'interprétation d'une telle importance ne doit-il pas se fonder sur la volonté du législateur? Et si telle avait été sa pensée, ne l'aurait-il pas manifestée, soit par un texte, soit dans les travaux préparatoires? Mais ce principe, pouvait-il le poser? Rien de plus ruineux que les fondements sur lesquels il repose. On invoque des raisons d'analogie. La séparation de corps, dit-on, est le divorce des catholiques. Cela peut se dire par voie de comparaison et dans un discours d'apparat; mais comme règle juridique, c'est un non-sens. Peut-on parler d'un divorce des catholiques, alors que le catholicisme repousse le divorce comme un attentat contre la parole de Dieu? Dès lors, assimiler les deux institutions, c'est aller ouvertement contre l'intention du législateur catholique qui a introduit la séparation de corps, précisément parce qu'il ne voulait pas du divorce; c'est aller contre l'intention des auteurs du code civil, qui l'ont maintenue comme institution religieuse.

Appliquer les dispositions du code sur le divorce à la séparation de corps, c'est supposer qu'il y a analogie, c'est-à-dire qu'il y a même motif de décider. Les analogies qui existent entre les deux institutions sont très-faibles, tandis que les différences qui les séparent sont radicales. Les causes sont les mêmes, dit-on. Oui, en ce sens que le divorce et la séparation se fondent sur une violation des devoirs conjugaux. Mais ici déjà il y a une différence considérable : la loi n'admet pas la séparation de corps par consentement mutuel. L'analogie se réduit donc à ceci, c'est qu'à un mal qui rend la vie commune insupportable le législateur religieux et le législateur civil ont cherché un remède. Mais les deux remèdes diffèrent du tout au tout l'un maintient le mariage, l'autre le rompt. Cette différence domine toute la matière et elle exclut toute analogie. Dès lors, il est très-chanceux de raison

(1) Valette, Explication sommaire du livre Ier du code civil, p. 138. (2) Demolombe, Cours de code Napoléon t. IV, p. 464 et suiv., nos 364 et

ner d'un cas à un autre par identité de motifs. Ce procédé aboutit nécessairement à faire la loi. Qui nous garantit, en effet, que les raisons analogiques auraient décidé le législateur, alors que les deux institutions avaient, à ses yeux, une valeur très-différente? Il préférait le divorce, il n'a admis la séparation de corps que malgré lui, en cédant à des croyances qu'il considérait comme des préjugés.

Les vrais principes, en matière d'interprétation des lois, conduisent à une règle différente. Il n'y a pas d'analogie entre le divorce et la séparation de corps; donc on ne peut raisonner d'un cas à un autre par identité de motifs. C'est dans l'institution qu'il s'agit d'interpréter, qu'il faut chercher les raisons de décider. Il n'y a qu'un cas où l'application analogique des dispositions sur le divorce soit admissible: c'est quand ces dispositions ne font que consacrer des principes généraux de droit ou des conséquences qui découlent de ces principes. Si la doctrine et la jurisprudence sont allées plus loin, c'est qu'il y a souvent lacune et que l'on ne sait comment la combler. Cela confirme ce que nous venons de dire; sous forme d'interprétation analogique, les interprètes font réellement la loi en cette

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§ Ier. Des causes déterminées et du consentement mutuel.

314. L'article 306 porte: Dans les cas où il y a lieu à la demande en divorce pour cause déterminée, il sera libre aux époux de former demande en séparation de corps. En ce point donc il y a analogie légale, et l'on doit par conséquent appliquer à la séparation de corps. tout ce que nous avons dit du divorce pour cause déterminée (1). L'article 307 ajoute que la séparation ne peut avoir lieu par le consentement mutuel des époux. Voilà une différence radicale, et elle prouve que le législateur ne se décide pas en cette matière par des motifs d'analogie.

(1) Voyez, plus haut, nos 179-197, p. 218-234.

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