Page images
PDF
EPUB

possible, parce que trop souvent la publicité donnée à l'offense, au déshonneur, rendrait toute réconciliation impossible. La même raison n'existait-elle pas et plus forte pour tenir les débats secrets, quand les époux demandent la séparation de corps? On peut toujours espérer la réconciliation des époux séparés, puisqu'ils sont libres de la faire cesser en se réunissant. N'était-ce pas une raison décisive pour entourer l'instruction d'un secret impénétrable? Cependant le législateur rentre ici dans le droit commun; donc ce n'est pas le même esprit qui l'inspire. Ce ne sont plus les exceptions qu'il veut appliquer, ce sont les principes généraux. Que le législateur ait eu raison ou tort de le faire, peu importe, il l'a fait; ce qui témoigne contre l'esprit qu'on lui suppose, et contre le principe d'interprétation que les auteurs et la jurisprudence suivent, principe que l'on prétend fondé sur l'esprit de la loi.

L'article 307 a été modifié par le code de procédure, qui contient quelques dispositions spéciales dans un titre consacré à la séparation de corps (art. 875-880). Ces dispositions sont empruntées à la procédure en divorce, notamment la tentative en conciliation et les mesures provisoires dont nous avons déjà parlé. Le code de procédure reconnaît donc qu'il y a une certaine analogie entre les deux actions, mais il la limite aux points qu'il définit. Si l'intention du législateur avait été de l'étendre à tous les points, ne l'aurait-il pas dit? Dans l'état actuel de la législation, les articles 875-880 sont des exceptions au principe posé par l'article 307 du code civil, et partant de stricte interprétation (1).

328. La loi ne dit pas devant quel tribunal l'action en séparation doit être portée. On peut appliquer ici par analogie l'article 234, parce qu'il est l'application d'un principe général : la demande doit être formée au tribunal de l'arrondissement dans lequel les époux ont leur domicile. Si la femme est demanderesse, la chose est évidente; elle l'est encore quand le mari est demandeur, il doit porter sa demande devant le tribunal du domicile de

(1) Arrêt de Gand du 9 janvier 1810 (Pasicrisie, 1840, 2, 8).

[ocr errors]

la femme défenderesse; or, la femme ne peut avoir d'autre domicile que celui du mari. D'après le droit commun, la femme doit être autorisée pour agir en justice. Nous avons déjà dit que, dans l'instance en séparation, l'ordonnance que le président rend, après l'essai de conciliation, tient lieu d'autorisation; l'article 878 du code de procédure d't formellement que le président autorise la femme à procéder sur la demande, sans distinguer si elle est demanderesse ou défenderesse. On conçoit que l'autorisation, en cette matière, est de pure forme; le président ne peut pas la refuser, puisque la femme use d'un droit que la loi lui donne, et pour l'exercice duquel elle ne pouvait certes pas s'adresser à son mari. Toutefois l'autorisation a des conséquences très-importantes, C'est ici le cas d'appliquer le principe que la femme autorisée à poser un acte juridique, est par cela même capable de faire tous les actes qui en dépendent (1). La femme autorisée à plaider en séparation de corps peut donc faire tous les actes qui sont une conséquence de la demande et par suite du jugement. Il va sans dire qu'elle peut, sans autorisation nouvelle, prendre les mesures conservatoires que la loi admet (2), qu'elle peut par conséquent poursuivre l'exécution du jugement qui lui accorde une provision (3). La femme peut encore poursuivre l'exécution du jugement qui prononce la séparation, dans toutes ses dispositions, celles qui concernent les enfants (4) comme celles qui concernent les biens (5), La jurisprudence est unanime sur tous ces points,

329. D'après le droit commun, les parties doivent comparaître en conciliation devant le juge de paix. L'article 878 du code de procédure les dispense du préliminaire de conciliation, dans le procès en séparation. Cela ne fait aucun doute, malgré une virgule mal placée qui pourrait faire croire le contraire. La raison en est simple, Il y a

(1) Voyez, plus haut, nos 143 et suiv., p. 179.

(2) Arrêt de Liége du 25 février 1859 (Pasicrisie, 1859, 2, 299). Arrêt de Lyon du 1er avril 1854 (Dalloz, 1856, 2, 241).

(3) Arrêt de Bruxelles du 28 mars 1859 (Pasicrisie, 1859, 2, 109).

(4) Arrêt de la cour de cassation du 8 novembre 1864 (Dalloz, 1865, 1,

(5) Arrêt de Bruxelles du 27 mars 1858 (Pasicrisie, 1859, 2, 242).

une tentative de conciliation devant le président du tribunal, magistrat qui, on l'espère, aura plus d'influence sur les époux. L'époux qui veut se pourvoir en séparation de corps doit présenter au tribunal de son domicile requête contenant sommairement les faits; cette requête est répondue d'une ordonnance portant que les parties comparaîtront devant le président au jour qu'il indique. Les époux sont tenus de comparaître en personne, sans pouvoir se faire assister ni d'avoués ni de conseils (art. 875-877). Aux termes de l'article 878, le président doit faire aux époux les représentations qu'il croira propres à opérer un rapprochement. S'il ne peut y parvenir, il rend une seconde ordonnance portant qu'attendu qu'il n'a pu concilier les parties, il les renvoie à se pourvoir, sans citation préalable au bureau de conciliation.

330. La comparaison de ces dispositions avec celles que le code civil prescrit pour l'instance en divorce, prouve que le législateur se montre moins sévère pour la séparation de corps. Ainsi l'article 236 veut que le demandeur en personne présente sa requête au président, tandis que le code de procédure dit simplement que l'époux demandeur en séparation présentera requête; il a été décidé, par application du principe que nous venons de poser (no 327), que l'on ne pouvait pas appliquer l'article 236 à la séparation de corps (1). L'analogie de position est cependant certaine; si le législateur procédait par analogie, il aurait dû ordonner que l'époux se présente en personne, afin que le président lui fasse, dès ce premier acte de la procédure, les observations qu'il croit convenables. Cette première tentative de conciliation est la plus importante, car une fois l'époux offensé en présence de l'époux coupable, on ne peut guère espérer que le magistrat parviendra à les concilier. Pourquoi, malgré des motifs de décider identiques, le législateur porte-t-il une décision différente? C'est sans doute parce que la séparation laisse subsister le lien du mariage, tandis que le divorce le rompt. N'en faut-il pas conclure, comme nous l'avons fait, que l'on ne

(1) Arrêt de Gand du 9 janvier 1840 (Pasicrisie, 1840, 2, 8).

peut appliquer à la séparation de corps ce que la loi dit du divorce?

Autre différence résultant des textes. L'article 236 porte Toute demande en divorce détaillera les faits. » Nous avons dit que la jurisprudence applique cette disposition avec une rigueur qui paraît excessive. L'article 877 du code de procédure se contente d'un exposé sommaire des faits; et il a été jugé que l'on ne pouvait pas appliquer l'article 236 à la séparation de corps (1). On demande vainement la raison de cette différence, si l'on se place sur le terrain de l'analogie. Le défendeur en séparation ne doit-il pas connaître les faits aussi bien que le défendeur en divorce? La société n'est-elle pas intéressée à arrêter, à empêcher les séparations de corps aussi bien que les divorces? S'il était vrai que la séparation fût le divorce des catholiques, le législateur devrait ici appliquer à la séparation ce qu'il dit du divorce. Il ne le fait pas. N'en faut-il pas conclure que ce prétendu principe n'est point celui du code?

La jurisprudence, oubliant l'analogie qu'elle pose comme principe fondamental, procède comme le législateur: autant elle est sévère en matière de divorce, autant elle se montre indulgente quand il s'agit de la séparation de corps. Elle permet de préciser les faits dans le cours de l'instance (2); elle permet de présenter une nouvelle requête, dans laquelle le demandeur développe les faits qu'il a seulement indiqués dans la première (3); elle permet d'articuler des faits nouveaux survenus pendant l'instance; bien plus, elle permet d'invoquer des faits antérieurs à la demande, soit que le demandeur les ait ignorés, soit que pour une raison quelconque il ait négligé de les mentionner dans sa requête (4), toutes choses qu'elle ne permet pas dans l'instance en divorce. Nous admettons la doctrine consacrée par la jurisprudence; nous avons même

(1) Arrêt de Bruxelles du 18 avril 1835 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 100). (2) Arrêt de Douai du 9 avril 1825 (Dalloz, au mot Séparation de corps, n° 100).

(3) Arrêt de Paris du 28 juillet 1809 (Dalloz, ibid.).

(4) Voyez les arrêts dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 103.

essayé d'appliquer le même principe au divorce (n° 227). Toujours est-il que la jurisprudence n'est pas fidèle au principe qui la guide généralement en cette matière; or, est-ce un principe que celui que l'on prend et qu'on laisse suivant les besoins de la cause?

Il a même été jugé que l'époux demandeur pouvait articuler de nouveaux faits en appel, soit anciens mais non indiqués dans la requête, soit arrivés pendant l'instance. Comme le dit très-bien la cour de Bordeaux, la demande en séparation de corps est soumise aux règles générales de procédure, et bien que l'article 875 du code de procédure prescrive d'indiquer sommairement les faits, aucune disposition de la loi ne s'oppose à ce que l'époux articule d'autres faits, fût-ce en appel rejeter la preuve de ces faits, ce serait créer une fin de non-recevoir que les textes repoussent et que la raison certes n'avoue pas (1). On objecte que ce serait franchir et éluder en quelque sorte le premier degré de juridiction. L'objection confond la cause avec les moyens que les parties font valoir à l'appui de leurs prétentions. Ce n'est évidemment pas une nouvelle demande que l'époux produit en appel; dès lors pourquoi le demandeur ne pourrait-il pas invoquer un moyen nouveau? Tous les jours il arrive qu'en appel les parties changent leurs moyens d'attaque ou de défense; eh bien, un fait nouveau est comme un nouvel argument. Lorsque le fait nouveau est survenu depuis le jugement qui a rejeté la demande, il ne peut pas y avoir de doute, et la jurisprudence en admet la preuve en appel (2). Si, dans ce cas, on peut articuler des faits en appel, bien qu'ils n'aient pas été soumis au premier juge, pourquoi ne le pourrait-on pas si les faits sont antérieurs (3)?

331. L'article 868 du code de procédure prescrit la publicité des demandes en séparation de biens. Comme la séparation de corps emporte séparation de biens, on a sou

(1) Arrêt de Bordeaux du 29 décembre 1829 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 104).

(2) Voyez les arrêts dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 305. (3) Il y a des arrêts en sens divers (Dalloz, au mot Séparation de corps, n° 302).

« PreviousContinue »