l'objection. Le préciput n'est pas une donation, mais une convention de mariage, laquelle a pour base la collaboration commune des époux; et comme cette collaboration cesse par la séparation ainsi que par le divorce, l'article 1518 a dû enlever le bénéfice du préciput à celui des époux par la faute duquel la vie commune cesse. Peut-on invoquer une disposition qui parle d'un contrat à titre onéreux, pour en déduire un principe concernant les libéralités? Cela est peu logique. Vainement dit-on qu'il en résulte un argument a fortiori: pour établir des peines, il faut autre chose que des arguments, il faut des textes. L'autorité de la cour de cassation jugeant chambres réunies a entraîné la plupart des cours d'appel. Il y a cependant quelques arrêts dissidents (1). Nous y trouvons une réponse à des arguments invoqués par la cour de cassation auxquels nous n'avons pas encore répondu. La cour suprême dit que dans l'ancien droit l'époux qui obtenait la séparation de corps avait le droit de faire prononcer la révocation des donations qu'il avait faites à son conjoint; que le code s'est approprié cette règle en lui donnant une nouvelle force, la révocation ayant lieu de plein droit en vertu de l'article 299. Cet argument historique n'aurait quelque valeur que si l'ancienne jurisprudence avait consacré la révocation de plein droit, et si les auteurs du code avaient déclaré que leur volonté était de maintenir la séparation de corps telle qu'elle existait jadis. Or, aucune de ces deux suppositions n'est vraie. Le code Napoléon a innové, et cette innovation ne concerne que le divorce. Donc l'ancien droit ne peut avoir aucune influence sur la décision de la question. La cour de cassation s'est encore prévalue de la jurisprudence constante qui applique à la séparation ce que la loi dit du divorce, en ce qui concerne les enfants. A notre avis aussi, il y a une espèce d'inconséquence à étendre les articles 301-303 à la séparation, alors qu'on repousse l'application extensive de l'article 299. La cour de Douai ré (1) Arrêts de Douai du 10 mai 1847 et du 8 février 1848 (Dalloz, 1848, 2, 94 et 1855, 2, 198). pond à ce reproche qu'il s'agit de mesures d'ordre et d'administration, que le juge peut étendre par voie d'analogie; que si les tribunaux l'ont fait, c'est sous l'empire d'une nécessité reconnue et urgente, la vie scandaleuse des époux ne permettant pas de leur laisser la direction de leurs enfants. Cette réponse n'est bonne que dans une supposition: si les tribunaux ont le droit, dans le silence de la loi, de modifier l'exercice de la puissance paternelle pour le plus grand avantage des enfants. Nous reviendrons sur cette question. La question que nous venons d'examiner s'est présentée, en Belgique, après l'arrêt rendu par la cour de cassation de France, en 1845. Elle a été décidée négativement par le tribunal de Gand; cette décision, confirmée en appel (1), l'a aussi été par un arrêt de rejet de la cour de cassation, rendu sur les conclusions conformes du procureur général M. Leclercq (2). La cour de Bruxelles a jugé dans le même sens (3). On ne trouve pas d'arguments nouveaux dans les arrêts des cours de Belgique; le débat était épuisé par les longues discussions auxquelles la question avait donné lieu en France. 355. L'époux qui a obtenu la séparation de corps peut-il demander la révocation, pour cause d'ingratitude, des libéralités qu'il a faites à son conjoint? Dans l'opinion consacrée par la cour de cassation de France, cette question n'a plus d'intérêt, puisque la révocation a lieu de plein droit en vertu de la loi, et même malgré l'époux donateur. Par contre, elle est très-importante dans la doctrine que nous avons professée. Nous l'examinerons, au titre des Donations. C'est là qu'est le vrai siége de la matière. 356. Dans la doctrine de la cour de cassation, il se présente encore une question d'une grande importance. Si l'époux défendeur vient à mourir pendant l'instance, l'époux demandeur peut-il poursuivre l'instance pour obtenir la révocation des avantages qu'il avait faits à son conjoint? Même question quand c'est le demandeur qui meurt pen (1) Arrêt de Gand du 1er juillet 1846 (Pasicrisie, 1846, 2, 213). (2) Arrêt du 20 mai 1847 (Pasicrisie, 1848, 1, 1). (3) Arrêt de Bruxelles du 23 mai 1861 (Pasicrisie, 1862, 2, 115). dant l'instance: ses héritiers pourront-ils la poursuivre? Il faut poser la question d'une manière plus générale : la mort de l'un des époux avant la prononciation du jugement n'éteint-elle pas l'action d'une manière absolue? La jurisprudence s'est prononcée pour l'affirmative et la plupart des auteurs professent la même opinion (1). Nous l'avons enseignée en matière de divorce (n°217). Il y a même motif de décider pour la séparation de corps. Le but principal, essentiel de l'action, c'est la cessation de la vie commune; or, la mort fait plus que relâcher le lien conjugal, elle le rompt. Ne serait-il pas absurde de demander aux tribunaux la faculté de vivre séparément alors que la mort a mis fin au mariage? Or, si l'on ne peut pas poursuivre l'instance en séparation, il est, par cela même, impossible de demander que le juge statue sur les effets pécuniaires de la séparation de corps: comment pourrait-il y avoir des effets là où il n'y a point de cause? Il a été jugé que l'instance ne pouvait pas même être reprise par les héritiers du demandeur, sous forme d'action en révocation des avantages nuptiaux pour cause d'ingratitude (2). En effet, la révocation qui se fonde sur l'article 299 ne donne pas lieu à une action; c'est la loi qui la prononce de plein droit et sans demande aucune. Il y a un motif de douter qui a entraîné quelques auteurs; c'est que, dans l'ancien droit, les héritiers étaient admis à reprendre l'instance dans le but d'obtenir la révocation des avantages faits à l'époux defendeur. Mais pourquoi en était-il ainsi? Il n'y avait pas révocation de plein droit, c'était une action en révocation fondée sur l'ingratitude (3). L'ancienne jurisprudence ne peut donc pas influer sur la décision de la question. Tout ce que l'on peut demander, c'est si les juges saisis de la demande peuvent statuer sur les dépens. La juris (1) Voyez les auteurs et les arrêts cités dans Dalloz, au mot Séparation de corps, nes 385-387. Il faut y ajouter les arrêts de Rouen du 20 août 1863 (Dalloz, 1865, 2, 119), de Paris du 5 avril 1864, de Metz du 30 août 1864. et de Caen du 3 mai 1864 (Dalloz, ibid.) (2) Arrêt de la cour de cassation du 5 février 1851 (Dalloz, 1851, 1, 49). (3) Voyez les auteurs anciens cités dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 385. prudence est divisée. La plupart des cours statuent sur les dépens, en ce sens qu'ils les compensent (1). Nous croyons avec la cour de Caen (2) que les tribunaux ne peuvent pas plus régler les dépens que décider sur le fond. En effet, le code de procédure veut (art. 130) que les dépens soient supportés par la partie qui succombe. Or, comment savoir qui aurait succombé dans l'instance en séparation? Il faudrait pour cela continuer l'instance; or, elle est éteinte. Donc personne ne succombe, et partant il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 130. SECTION VI. Cessation de la séparation de corps. 357. La séparation de corps cesse du moment où les époux sont d'accord pour rétablir la vie commune. Le code ne le dit pas, mais il n'avait pas besoin de le dire. En effet, le jugement qui prononce la séparation de corps ne condamne pas les époux à vivre toujours séparés, il leur en donne seulement le droit. Or, ils sont libres de renoncer à un droit qui n'est établi qu'en leur faveur. Loin d'empêcher la réunion des époux, le législateur la désire et l'espère. Aussi ne la soumet-il à aucune condition, et c'est la raison pour laquelle il n'en parle pas. Il n'y a que l'un des effets de la séparation de corps qui ne peut cesser que sous certaines conditions, c'est la séparation de biens. Voilà pourquoi le code en parle au titre du Contrat de mariage (art. 1451). L'on a soutenu que le consentement de l'époux qui a obtenu la séparation suffit pour la faire cesser (2). Nous n'hésitons pas à dire que c'est une erreur. Le jugement prononce la séparation de corps entre deux époux. Qu'est-ce à dire? Que les deux époux sont séparés de corps, c'est-àdire que chacun a le droit de vivre séparément. Or, si (1) Arrêts de Paris du 5 avril 1864, de Rouen du 20 août 1863 et de Metz du 30 aout 1864 (Dalloz, 1865, 2, 119). (2) Arrêt de Caen du 3 mai 1864 (Dalloz, 1865, 2, 119). (3) Cette opinion a pour eile un grand nombre d'auteurs qui sont cités dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 407. nous pouvons renoncer à un droit qui est établi en notre faveur, nous ne pouvons certes pas priver, par cette renonciation, un tiers du droit qui lui appartient. Cela décide la question. Sans doute, il importe de mettre fin à la séparation et de rétablir la vie commune. Mais serait-ce rétablir la communauté de vie et de sentiments que de forcer l'un des époux à se réunir à son conjoint? Ce serait une singulière réconciliation que celle qui se ferait malgré l'un des époux. Que cet époux soit le coupable, peu importe; il n'en a pas moins le droit de vivre séparé (1). Il y a cependant un cas dans lequel la séparation peut cesser malgré l'un des époux, et, chose singulière, c'est l'époux coupable auquel la loi donne le droit de mettre fin à la séparation en demandant le divorce. Nous avons expliqué l'article 310 au chapitre du Divorce (n° 198200, 303). 358. Quand les époux se réunissent, le jugement qui a prononcé la séparation perd-il tous ses effets? Il faut distinguer oui, pour ce qui concerne les époux et les enfants non, en ce qui concerne les biens. La vie commune est rétablie, le mariage produit de nouveau tous ses effets; le mari reprend l'exercice de la puissance maritale, et le père reprend la plénitude de la puissance paternelle. Il n'en est pas de même de la séparation de biens. Il suffit, à la vérité, du consentement des époux pour rétablir la communauté, mais il faut qu'ils observent les conditions et les formes que la loi prescrit (art. 1451). Nous reviendrons sur ce point au titre du Contrat de mariage. Le rétablissement du mariage ne porte pas obstacle à ce que l'un des époux demande la séparation de corps ou le divorce, s'il survient une nouvelle cause pour laquelle la loi autorise soit le divorce, soit la séparation. Il y aurait lieu, en ce cas, d'appliquer par analogie l'article 273, qui permet de faire usage des anciennes causes pour appuyer la nouvelle demande, lorsque la première a été éteinte par la réconciliation. En effet, le rétablissement de la vie (1) Demolombe, t. IV, p. 650, no 352. Marcadé, t. Ier, p. 616 et suiv., no 5 de l'article 311. Zachariæ, t. III, p. 378, note 4, édition d'Aubry et Rau. |