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naissance ne prouve-t-il pas la filiation naturelle aussi bien que la filiation légitime? Si la mère est certaine, comme disent les jurisconsultes romains, alors même qu'elle est naturelle, c'est seulement en ce sens que le fait de la maternité peut être prouvé, comme tout fait; mais il ne résulte pas de là que la loi doive et puisse admettre les mêmes preuves pour la filiation naturelle et pour la filiation légitime. S'agit-il d'un enfant né dans le mariage, la déclaration de naissance sera, sauf de très-rares exceptions, l'expression de la vérité; l'indication du nom de la mère doit donc prouver la filiation légitime. Tandis que la mère naturelle a la plus puissante des raisons pour cacher son nom ou pour le déguiser : déclarer son nom, c'est proclamer sa honte, c'est éterniser son déshonneur. Dès lors le législateur doit se défier des indications que les déclarants donnent à l'officier de l'état civil; il n'y peut voir l'expression de la vérité, parce que trop souvent il reconnaîtrait comme vrai ce qui est faux.

L'acte de naissance étant rejeté, il ne reste en principe qu'une preuve de la filiation naturelle, c'est l'aveu ou la reconnaissance des père et mère. Cela suppose que la filiation paternelle, aussi bien que la filiation maternelle, ne s'établit que par la reconnaissance. La filiation paternelle de l'enfant né d'une femme mariée s'établit par voie de présomption; il est de toute évidence qu'il ne peut être question d'une présomption basée sur le devoir de fidélité dans des relations où il n'y a aucun devoir, où tout est désordre, faute, crime. Il est tout aussi évident que la déclaration que la mère ferait du père ne serait pas une preuve de la paternité, puisque rien n'en garantit la vérité. Reste donc la reconnaissance du père pour établir la filiation paternelle.

La reconnaissance est un aveu, donc elle est volontaire. Mais si le père et la mère se refusent à reconnaître l'enfant auquel ils ont donné le jour, celui-ci a-t-il le droit d'agir contre eux pour se faire reconnaître malgré ses parents? En principe, la loi devrait admettre la recherche de la paternité et de la maternité, car les père et mère contractent des obligations envers l'enfant, et tout débi

teur est tenu de remplir ses obligations. La loi n'applique ce principe qu'à la mère, parce qu'elle est certaine; elle décide, au contraire, que la recherche de la paternité est interdite (art. 340). Cette prohibition n'est pas une rigueur injuste; si le législateur n'admet pas la recherche de la paternité, c'est que la preuve directe de la paternité est impossible. Elle ne peut s'établir que par voie de présomption; or, les présomptions font défaut en cette matière. Si donc le législateur admettait la recherche de la paternité naturelle, qu'en résulterait-il? Des décisions d'une incertitude extrême, et cette incertitude ne favoriseraitelle pas des actions scandaleuses, et par suite des spéculations sur le scandale pour se faire payer le silence? Dans l'ancien droit, la recherche de la paternité était admise et les abus que nous posons en question étaient une triste réalité. Il y a comme un concert de plaintes contre l'ancienne législation dans les discours des orateurs du gouvernement et du Tribunat (1). Nous n'avons aucune envie de nier les abus. Mais notre législation ne consacret-elle pas aussi un abus et des plus graves? Quoi! une malheureuse est séduite, et elle n'a aucune action contre le séducteur qui l'a indignement trompée? Si l'ancien droit donnait une prime aux prostituées, le nouveau donne un brevet d'impunité à une race qui n'est pas plus honorable, à la canaille en gants jaunes. L'expression est de Vauvenargues. Et laquelle de ces canailles est la plus coupable: les infâmes qui ont joui des bienfaits de l'instruction et de l'éducation, ou les misérables nées dans la fange et élevées dans le vice? Puis n'y a-t-il pas les enfants que l'on sacrifie à la crainte qu'un aventurier ne vienne usurper un nom honorable? Crainte le plus souvent chimérique, en ce sens du moins que le fait ne se présentera que rarement. Est-ce que, en vue d'exceptions romanesques, le législateur devait méconnaître les droits des victimes trop nombreuses de l'inconduite jointe à l'égoïsme?

L'enfant naturel ne peut donc rechercher que sa mère.

(1) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 33 (Locré, t. III, p. 94). Lahary, Rapport au Tribunat, n° 38 (Locré, t. III, p. 115), Duveyrier, Discours, no 38 (Locré, t. III, p. 136).

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Encore la loi entoure-t-elle cette action de précautions dictées par la crainte qu'inspire la preuve testimoniale. Le code veut que l'enfant ait un commencement de preuve par écrit qui rende probable d'abord l'accouchement de la femme qu'il prétend être sa mère, puis son identité. Nous comprenons ces craintes, ainsi que la sollicitude du législateur pour l'honneur de la mère. Mais à force de veiller aux intérêts de la mère, il oublie ceux de l'enfant. Cependant celui-ci a plus qu'un intérêt à faire valoir, il à un droit à réclamer, et il est certain que sa mère refuse de remplir le devoir que la nature lui impose. N'était-ce pas une raison suffisante pour faciliter l'action du malheureux qui recherche sa mère? Et on le met à sa merci, en exigeant un écrit émané de celle qui le repousse, c'est-à-dire une espèce d'aveu ou de reconnaissance tacite, de sorte qu'en définitive tout dépend de la volonté de la mère! Pourquoi l'acte de naissance ne serait-il pas un commencement de preuve? Rédigé au moment même de la naissance, sur la déclaration de ceux qui y ont assisté, s'il nomme la mère, il sera le plus souvent l'expression de la vérité. Qu'il ne fasse pas preuve entière, soit; mais n'est-ce pas une rigueur excessive que de lui refuser toute force probante?

Il y a des êtres malheureux que la mère ne peut pas même reconnaître, et qui par conséquent ne peuvent pas rechercher la maternité; ce sont les enfants adultérins et incestueux. Ici l'intérêt général fait plus que dominer celui de l'enfant, il anéantit son droit. Ecoutons les orateurs du gouvernement et du Tribunat. « La reconnaissance des enfants incestueux ou adultérins, dit Bigot-Préameneu, serait, de la part du père et de la mère, l'aveu d'un crime. Il faut aussi éviter le scandale public que causerait l'action judiciaire d'un enfant adultérin ou incestueux qui rechercherait son état dans la preuve du délit de ceux qu'il prétendrait être les auteurs de ses jours. "La naissance d'un enfant, dit le tribun Lahary, quand il est le fruit de l'inceste ou de l'adultère, est une vraie calamité pour les mœurs. Loin de conserver aucune trace de son existence, il serait à désirer qu'on pût en éteindre jusqu'au souvenir...Flétrir ainsi la violation du saint nœud du mariage,

c'est l'honorer de la manière la plus utile. » Le tribun parle avec une dureté extrême de la recherche que les enfants adultérins et incestueux voudraient faire de leur filiation maternelle : « Y aurait-il rien de plus immoral, s'écrie-t-il, que d'assurer la protection des lois à cet enfant monstrueux qui, pour quelques aliments qu'il peut se procurer d'ailleurs, accuserait les auteurs de ses jours de lui avoir donné naissance par un crime (1)!,

Il y a beaucoup de phraséologie dans cette indignation. Le vrai monstre, ce n'est pas l'enfant qui recherche sa mère, c'est la mère qui repousse son enfant. Elle est coupable, oui. Si elle fait l'aveu de son crime, ou si on le découvre malgré elle, punissez-la, mais n'enlevez pas à l'enfant un droit que la nature lui assure, le droit à l'éducation, le droit aux aliments. Par une étrange contradiction, les auteurs du code civil donnent des aliments aux enfants incestueux et adultérins (art. 762), et ils rendent ce droit le plus souvent illusoire, en interdisant toute reconnaissance de ces malheureux, soit volontaire, soit forcée. Pour devoir leur naissance à un crime, les enfants, fruit de l'adultère ou de l'inceste, ne sont-ils plus des hommes? n'ont-ils pas droit à être élevés? Refusez-leur la richesse, si leur mère est riche, mais ne leur refusez pas le pain de vie de l'éducation! Les auteurs du code civil ont voulu honorer le mariage, ils ont voulu flétrir l'adultère et l'inceste. Nous applaudissons à ce sentiment moral. Mais n'est-ce pas se faire illusion que de croire que cette flétrissure arrêtera ceux qui se livrent à la fougue de leurs sales passions? Rien de plus égoïste que le crime. Ceux qui ne reculent pas devant la honte de l'inceste et de l'adultère, ne songent guère aux enfants qui devront le jour à leur impureté!

Quand la filiation naturelle est établie, elle est loin de produire des effets aussi considérables que la filiation légitime. D'abord elle peut être contestée par tous ceux qui y ont intérêt, tandis que l'acte de naissance appuyé sur

(1) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 35 (Locré, t. III, p. 94). Lahary, Rapport, no 34 (Locré, t. III, p. 115).

l'acte de mariage assure l'état des enfants légitimes; la loi n'ouvre qu'une seule action contre eux, le désaveu, et elle la soumet à tant de restrictions, toutes favorables à la légitimité, que l'on peut dire que l'état de l'enfant né dans le mariage est presque toujours à l'abri de toute contestation. Les droits de l'enfant naturel sont aussi bien moindres que ceux de l'enfant légitime. Cela se conçoit. A moins de mettre le concubinage sur la même ligne que le mariage, comme l'avait fait le législateur révolutionnaire, il fallait établir une différence sensible entre les droits pécuniaires des enfants légitimes et ceux des enfants naturels.

La loi donne cependant un moyen aux père et mère de l'enfant naturel de l'assimiler aux enfants légitimes, c'est de couvrir leur faute par le mariage. Ils mettront fin à une vie de désordre, et ils feront entrer les enfants dans le sein de leur famille. La loi n'exige qu'une condition, c'est que les enfants soient reconnus avant le mariage. Cela exclut les enfants adultérins et incestueux. Pour l'adultère, nous comprenons la rigueur de la loi; c'est une tache que le mariage ne saurait effacer; mais l'inceste n'est pas un crime, et quand le mariage a lieu en vertu d'une dispense, la souillure de l'inceste disparaît; pourquoi la dispense ne profiterait-elle pas aux enfants déjà nés, comme elle profite aux enfants à naître? On dirait que le législateur est à la recherche de défaveurs dont il veut frapper des relations coupables, sans doute, mais le mariage ne devrait-il pas racheter toutes les fautes? Le législateur sacrifie les droits des enfants, malgré le mariage de leurs parents, à une défiance exagérée. Il ne veut pas que la reconnaissance pendant le mariage légitime les enfants; il ne veut pas même que cette reconnaissance produise les cifets ordinaires au préjudice du conjoint ou des enfants légitimes (art. 331 et 337). Certes il peut y avoir fraude, mais pourquoi la présumer? Ne suffisait-il pas d'ouvrir une action au profit de ceux qui ont intérêt à attaquer la légitimation? Et si l'on prend en considération les droits du conjoint et des enfants légitimes, ne faut-il pas tenir compte aussi des droits de l'enfant naturel?

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