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cause d'adultère, à moins que la naissance ne lui ait été cachée, auquel cas il sera admis à proposer tous les faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père. » Les faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père» constituent ce que l'on appelle l'impossibilité morale. On voit que la loi ne l'admet pas d'une manière pure et simple; elle la subordonne à des conditions rigoureuses, conditions qui à elles seules sont déjà une forte présomption d'illegitimité. L'application du principe posé par l'article 313 a donné lieu à de longues controverses. Il y a un point sur lequel tout le monde est d'accord, le texte le décide, ce sont les conditions requises pour qu'il y ait lieu à désaveu.

La première, c'est l'adultère. Quand l'adultère est établi, il y a une probabilité si grande que l'enfant auquel la femme donne le jour n'appartient pas au mari, que l'on est étonné, à première vue, que la loi ne permette pas au mari de le désavouer pour cette cause seule. Les jurisconsultes romains nous en disent la raison, et elle est péremptoire malgré l'adultère, l'enfant peut appartenir au mari (1). Duveyrier se révolte contre cette supposition, et il faut l'avouer, elle implique une perversité singulière chez la femme qui se livre à son mari, alors qu'elle le déteste au point de trahir la foi conjugale (2). Mais l'orateur du Tribunat oublie qu'il s'agit d'une femme adultère, à laquelle une immoralité de plus ne doit pas coûter grandement, alors surtout qu'elle lui permet d'autant plus facilement de se livrer à ses honteuses passions.

Toujours est-il que l'adultère fait naître une présomption grave contre la légitimité de l'enfant, mais à une condition, c'est que les relations adultérines aient existé vers l'époque présumée de la conception. La loi ne le dit pas, mais le bon sens le dit. Et il n'y a pas lieu, comme le fait M. Demolombe, de s'écarter de ce principe, en empruntant au droit canonique la détestable maxime que celle qui a une fois failli est toujours présumée coupable. En fait de présomptions, nous ne connaissons que celles que

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(1) Potest enim uxor adultera esse, et impubes defunctum patrem habuisse. L. 11, § 9, D., ad legem Juliam de adulteriis (XLVIII, 5). (2) Duveyrier, Discours, no 15 (Locré, t. III, p. 126).

le code établit, et il s'est bien gardé de présumer que l'homme est incorrigible (1). Un arrêt de la cour d'Aix a jugé, conformément à notre opinion, que le mari doit prouver que l'adultère coïncide avec l'époque précise de la conception de l'enfant; il a rejeté en conséquence comme insuffisantes des lettres sans date ou dont la date avait été déchirée, bien que ces lettres prouvassent des liaisons coupables (2).

372. La seconde condition exigée par l'article 313, c'est que la naissance ait été cachée au mari. Lors de la discussion au conseil d'Etat, le premier consul et Tronchet remarquèrent que ce fait était une des plus fortes présomptions contre la légitimité de l'enfant (3). Quand la mère est restée fidèle à son devoir, elle est heureuse de son enfantement, elle offre avec bonheur son nouveau-né à celui qui en est le père. Que si elle prend soin de cacher au mari la naissance de son enfant, elle s'accuse elle-même; c'est comme un aveu, non-seulement de son adultère, mais aussi de la conviction où elle est que cet enfant n'appartient pas au mari. Les orateurs du Tribunat vont jusqu'à dire que la conduite de la femme est un indice certain et la preuve presque évidente que l'enfant est illégitime (4). Le code ne va pas aussi loin, et avec raison. Quand la femme cache la naissance de l'enfant à son mari, cela prouve certes qu'il y a de graves mésintelligences entre les époux: la femme craint le ressentiment du mari, et le plus souvent cette crainte sera justifiée par ses désordres; mais elle peut aussi l'être, comme on l'a dit au conseil d'Etat (5), par les violences du mari, par son humeur jalouse, par des soupçons injustes. Le législateur se décidant toujours, tant qu'il y a possibilité de doute, en faveur de l'enfant, ne voit encore qu'une présomption d'illégitimité là où l'on

(1) Demolombe, t. V, p. 50, no 7. Valette sur Proudhon, t. II, p. 32. Marcadé, t. II, art. 313, no II, p. 7.

(2) Arrêt d'Aix du 11 janvier 1859 (Dalloz, 1859, 2, 85).

(3) Séance du 16 brumaire an x, no 10 (Locré, t. III, p. 40).

(4) Lahary, Rapport, no 11 (Locré, t. III, p. 105); Duveyrier, Discours, no 15 (Locré, t. III, p. 127).

(5) Roederer, dans la séance du 16 brumaire an x, no 10 (Locré, t. III, p. 41).

serait tenté de voir une preuve complète; et il demande au mari qu'il administre cette preuve par tous les faits propres à justifier qu'il n'est pas le père de l'enfant. »

Il nous faut préciser maintenant ce qui constitue cette seconde condition du désaveu. La loi est on ne peut pas plus claire; elle exige que la naissance ait été cachée au mari. Un arrêt de la cour de cassation semble dire qu'il y a lieu à désaveu quand le mari a ignoré la naissance. C'est une erreur évidente; la condition que l'article 312 prescrit est bien plus grave et plus probante. Le mari peut ignorer l'accouchement alors que la naissance est publique et que la femme n'a pas même songé à la cacher; or, c'est dans le fait de la femme d'avoir celé la naissance que le législateur voit une présomption contre elle et contre la légitimité de l'enfant. A vrai dire, il y a plutôt erreur de rédaction dans l'arrêt de la cour suprême qu'erreur de droit; car l'arrêt de la cour de Bordeaux, contre lequel on s'était pourvu en cassation, établissait qu'il y avait eu recèlement de la naissance (1). Si donc la naissance était publique, c'est-à-dire si la femme n'avait pas essayé de la cacher, il n'y aurait pas lieu à désaveu, quand même le mari l'aurait ignorée (2).

On demande s'il suffit que la grossesse ait été celée, quand du reste la naissance a eu la publicité habituelle? D'ordinaire les deux faits sont inséparables; la femme cèle sa grossesse, précisément pour que la naissance reste cachée. S'il arrivait que la femme cessât de cacher sa grossesse vers l'époque de l'accouchement, et si la naissance était publique, on ne serait plus dans les termes de la loi, et par suite il n'y aurait pas lieu à désaveu. Le contraire a cependant été jugé dans des circonstances singulières. Pendant les sept premiers mois de la grossesse, la femme l'avait cachée; puis la discorde éclatant au grand jour, la femme fait connaître son état au mari. La cour de Paris constate que ce fut dans une intention injurieuse

(1) Arrêt du 5 mai 1836, confirmé par arrêt du 9 mai 1838 (Dalloz, au mot Paternité, no 175).

(2) Ainsi jugé par la cour de Rouen, arrêt du 2 avril 1840 (Dalloz, au mot Paternité, no 52), et par la cour de Rennes, 8 juin 1843 (Dalloz, ibid., no 53).

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à ce dernier, par bravade et défi; elle admit le désaveu, et sa décision fut confirmée par la cour de cassation (1). Au point de vue moral, il faut certes applaudir à l'arrêt de la cour suprême. Mais est-il en harmonie avec la rigueur des principes? Nous en doutons. Le texte exige que la naissance ait été cachée et, dans l'espèce, la grossesse était connue du mari deux mois avant l'accouchement. Quant à l'esprit de la loi, il demande, ce sont les expressions de Duveyrier, « que la grossesse, l'accouchement et la naissance aient été cachés au mari. » Dans l'espèce, on était donc hors du texte et hors de l'esprit de la loi. N'était-ce pas le cas d'interpréter le doute qui résulte de la lacune de la loi en faveur de l'enfant? On objecte que c'est permettre à la femme d'empêcher le désaveu, en aggravant sa faute par la publicité doleuse qu'elle lui donne. Cela est très-vrai; mais la doctrine consacrée par la cour de cassation n'empêchera pas cette fraude à la loi. La femme n'a qu'à déclarer sa grossesse au mari; quand même elle le ferait par bravade et défi, quand même elle le ferait pour rendre le désaveu impossible, le mari n'aurait pas le droit de désavouer l'enfant. Pourquoi? Parce qu'il n'y a point de texte. En définitive, il y a lacune. Le législateur a supposé une femme qui par un aveu tacite rend témoignage contre l'enfant; et le juge se trouve en présence d'une femme déhontée qui proclame ses désordres. C'est un cas tout différent de celui que la loi a prévu. Cela décide la question en faveur de l'enfant (2).

Comment se fait la preuve que la naissance a été cachée au mari? C'est une question de fait, abandonnée à l'appréciation du juge. Toutefois il y a un point qui est de droit : c'est que la naissance doit avoir été cachée par la femme; car il s'agit d'un aveu, et l'aveu ne peut émaner que du coupable. Il a été jugé à plusieurs reprises que l'inscription de l'enfant sur les registres de l'état civil, sous de faux noms ou comme né de père inconnu, suffit pour que le mari soit admis à la preuve de l'impossibilité morale de

(1) Arrêt du 7 janvier 1850 (Dalloz, 1850, 1, 5).

(2) Il y a un arrêt de Bourges en ce sens, du 6 juillet 1868 (Dalloz, 1868, 2, 180).

cohabiter (1). On ne peut admettre cette jurisprudence qu'avec une réserve : c'est que la fausse déclaration ait été faite au su de la mère et par sa volonté. Ici encore nous voyons que l'aveu de la vérité, c'est-à-dire la déclaration faite au nom de la mère qu'elle est accouchée, ne permet pas au mari de désavouer l'enfant, quand même la mère déclarerait que l'enfant est adultérin. C'est que la loi ne permet pas à la mère d'enlever à son enfant le bénéfice de la présomption de légitimité. Si elle admet l'aveu tacite, c'est parce que ce cri involontaire de la conscience témoigne contre la mère et non contre l'enfant.

373. La troisième condition exigée par l'article 312 est la preuve de l'impossibilité morale ou, comme dit la loi, des faits propres à justifier que le mari n'est pas le père de l'enfant. Question essentiellement de fait. Il a été jugé plusieurs fois que si l'enfant est conçu pendant la procédure en divorce, l'animosité qui divise les époux, la haine qui éclate dans tous leurs actes rendaient tout rapprochement moralement impossible (2). Cette impossibilité morale à elle seule ne suffirait pas pour autoriser le désaveu; nous en avons dit la raison. Mais quand la probabilité morale est fortifiée par la preuve de l'adultère, par le preuve que la femme a caché la naissance de l'enfant à son mari, alors elle prend la forme d'une certitude, devant laquelle la présomption de paternité doit céder.

374. On demande si, pour être admis à la preuve de l'impossibilité morale, le mari doit faire la preuve préalable d'abord de l'adultère, ensuite du fait que la naissance lui a été cachée. Il y a sur cette question une espèce de conflit entre la doctrine et la jurisprudence; mais les auteurs, de leur côté, ne s'accordent pas entre eux. A première vue, le texte semble décider la difficulté; il porte que le mari ne pourra désavouer l'enfant même pour cause d'adultère, à moins que la naissance ne lui ait été cachée, auquel cas il sera admis à proposer tous les faits

(1) Voyez les arrêts dans Dalloz, Répertoire, au mot Paternité, nos 45 et 59.

(2) Arrêts de Paris du 4 décembre 1820 et du 29 juillet 1826 (Dalloz, au mot Palernité, nos 59 et 45).

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