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et elle doit être écartée, à moins que l'on ne prouve qu'il y a eu un rapprochement entre les époux. En théorie, au point de vue législatif, il n'y a rien à répondre à ce raisonnement. Mais en se plaçant sur le terrain des principes consacrés par le code civil, la réponse est très-simple, elle a été faite par la cour de Caen et par la plupart des auteurs. Quand l'enfant est conçu pendant le mariage, le père ne peut le désavouer que dans les cas prévus par la Î01; le désaveu est donc un droit exceptionnel, et si jamais une exception doit être de stricte interprétation, c'est bien celle qui détruit la présomption de paternité. Cela décide la question, et il est inutile de recourir aux travaux préparatoires pour prouver ce qui est plus clair que le jour (1).

La difficulté a été décidée en France par une loi du 6 décembre 1850, portée sur la proposition de M. Demante, membre de l'Assemblée nationale. Elle est ainsi conçue: « En cas de séparation de corps prononcée ou même demandée, le mari pourra désavouer l'enfant qui sera né trois cents jours après l'ordonnance du président, rendue aux termes de l'article 378 du code de procédure civile, et moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou depuis la réconciliation. L'action en désaveu ne sera pas admise s'il y a eu réunion de fait entre les époux (2).

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§ III. Des fins de non-recevoir.

377. Le mari peut-il renoncer au droit que la loi lui accorde de désavouer l'enfant pour cause d'impossibilité de cohabitation? Quand l'enfant naît le cent quatre-vingtième jour du mariage, la loi donne au mari le droit absolu de le désavouer, à moins qu'il n'ait reconnu tacitement sa légitimité; l'article 314 détermine dans quels cas il y a reconnaissance tacite. La loi admettant la reconnaissance tacite, il faut, à plus forte raison, admettre la reconnaissance

(1) Voyez les arrêts et les auteurs cités dans Dalloz, au mot Paternité, n 64. (2) Demante. Cours analytique, t. II, p. 56-53,

expresse. Si le mari peut renoncer à son action, lorsque l'enfant est conçu avant le mariage, il faut décider, à plus forte raison, qu'il a ce droit quand l'enfant est conçu pendant le mariage. Il est vrai que la loi ne le dit pas, mais elle n'avait pas besoin de le dire. Le silence du mari suffit pour assurer la légitimité de l'enfant. Ce silence suppose que le mari reconnaît l'enfant comme sien. Alors même qu'il y aurait eu impossibilité physique ou morale de cohabiter, le mari peut renoncer à l'action en désaveu; son silence suffit pour cela, donc aussi la reconnaissance. Il en pourra résulter qu'un enfant adultérin sera considéré comme légitime. C'est une nouvelle faveur que la loi accorde à la légitimité. Pure fiction, à la vérité, mais le législateur préfère la fiction, en cette matière, au scandale de la réalité. La reconnaissance peut être expresse ou tacite, comme toute manifestation de volonté. Dans le cas de l'article 314, la loi définit et limite par conséquent les faits d'où résulte la reconnaissance tacite. Il n'y a pas lieu d'appliquer ces restrictions au cas de l'article 312; la loi étant muette, on reste sous l'empire des principes généraux. Il y a d'ailleurs une raison de différence : l'état de l'enfant conçu avant le mariage est bien moins favorable que l'état de l'enfant conçu pendant le mariage. On comprend donc que le législateur limite les exceptions que l'on peut opposer au désaveu du mari, quand l'enfant est conçu illégitime, tandis qu'il n'y a aucune raison de les restreindre quand l'enfant est conçu légitime (1).

378. Le mari peut-il désavouer l'enfant pour cause d'impossibilité physique ou morale de cohabitation quand l'enfant n'est pas viable? Il nous semble que la négative ne souffre aucun doute, malgré le dissentiment d'un excellent esprit. Peut-il y avoir une action sans intérêt? et où est l'intérêt du mari à désavouer un enfant qui, aux yeux de la loi, est considéré comme n'ayant jamais existé? L'enfant qui n'est pas déclaré viable n'est pas une personne, et il ne jouit par conséquent d'aucun droit, c'est un non-être. Conçoit-on une action dirigée contre le néant?

(1) Zachariæ, traduction d'Aubry et Rau, t. III, p. 641, note 55, § 546.

Proudhon enseigne cependant l'affirmative, et elle ne lui paraît pas même douteuse. Le texte de l'article 314 lui semble décisif. La loi dit que le mari ne peut pas désavouer l'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage, si l'enfant n'est pas déclaré viable. Elle n'établit pas la même exception pour les enfants conçus pendant le mariage; il n'est donc pas permis de l'admettre, car les exceptions ne s'étendent pas. Nous répondons qu'il y a des exceptions qui s'étendent, ce sont celles qui ne font qu'appliquer un principe général et qui existeraient alors même que la loi ne les consacrerait pas formellement. Telle est la non-viabilité. Ce n'est autre chose que l'absence d'intérêt; or, sans intérêt il n'y a pas d'action. Proudhon nie que le mari soit sans intérêt dans le cas où l'enfant a été conçu pendant le mariage; en effet, cette conception prouve l'adultère de la femme si le mari a été dans l'impossibilité de cohabiter avec elle, et l'adultère prouvé, le mari peut demander le divorce ou la séparation de corps. M. Valette a déjà répondu à l'objection (1). Il s'agit de savoir si le mari a un intérêt à désavouer l'enfant non viable. Or, le droit de demander le divorce. pour cause d'adultère n'est pas un intérêt qui légitime le désaveu; car autre chose est l'action en divorce, autre chose est l'action en désaveu. Le désaveu est dirigé contre l'enfant et suppose qu'il est le fruit de l'adultère; tandis que le divorce est demandé contre la femme, peu importe que l'enfant soit ou non adultérin. L'intérêt que le mari a dans la demande en divorce n'a donc rien de commun avec l'intérêt qu'il a dans le désaveu. Cela décide la question.

(1) Proudhon, t. II, p. 33 et suiv., et 35, note. L'opinion contraire est généralement suivie (Dalloz, au mot Paternité, no 38).

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De l'enfant conçu avant le mariage et né pendant le mariage.

§ Ir. Du droit de désaveu.

379. D'après les présomptions établies par la loi sur la durée de la grossesse, l'enfant né avant le cent quatrevingtième jour du mariage a été conçu avant le mariage. Il est donc conçu illégitime. Dès lors le mari doit avoir le droit absolu de le désavouer, en prouvant que, par la date de sa naissance, il n'appartient pas au mariage. Le code civil consacre implicitement ce droit en disant (art. 314):

L'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage ne pourra être désavoué par le mari dans les cas suivants: 1° s'il a eu connaissance de la grossesse avant le mariage; 2° s'il a assisté à l'acte de naissance; 3° si l'enfant n'est pas déclaré viable. » Ainsi le mari ne peut pas désavouer l'enfant quand il l'a reconnu comme sien ou quand il n'a aucun intérêt à contester sa légitimité. D'où suit que s'il ne l'a pas reconnu et si l'enfant est né viable, le mari peut le désavouer. Cet enfant n'a pas pour lui la présomption de paternité qui se fonde sur la fidélité que la femme doit à son mari, puisque à l'époque de la conception la femme n'était pas mariée. Il est donc illégitime à raison de l'époque de sa conception. Mais ici éclate de nouveau la faveur que la loi accorde à la légitimité. Elle ne considère pas comme illégitime l'enfant conçu avant le mariage; elle le répute, au contraire, légitime par cela seul qu'il naît pendant le mariage. Pour qu'il perde la légitimité, il faut une action en désaveu. Si le mari ne le désavoue pas, il reste légitime. La loi suppose que l'enfant appartient à celui qui a épousé la femme enceinte. Cela est en effet probable; le législateur fait de cette probabilité une présomption en faveur de l'enfant.

Mais grande est la différence entre cette présomption et la présomption de paternité que peut invoquer l'enfant conçu pendant le mariage. Celui-ci ne peut être désavoué que dans le cas où le mari a été dans l'impossibilité

physique ou morale de cohabiter avec sa femme, et c'est au mari à faire cette preuve. Que si l'enfant est conçu avant le mariage, le mari a le droit absolu de le désavouer, sans qu'il ait rien à prouver, sinon la date de la naissance antérieure au cent quatre-vingtième jour du mariage. Cela est fondé en raison. La loi suppose que l'enfant appartient au mari, mais lui seul peut savoir si cette supposition est fondée; il doit donc suffire qu'il la dénie pour que l'enfant ne puisse plus s'en prévaloir.

380. L'enfant peut-il combattre le désaveu du mari? Aux termes de l'article 314, l'action du mari peut être repoussée dans trois cas. S'il a eu connaissance de la grossesse avant le mariage, il ne peut pas désavouer l'enfant. On présume alors que cet enfant lui appartient; il reconnaît tacitement cet enfant comme sien; dès lors il ne peut plus désavouer l'enfant qu'il a avoué. Comment, dit Bigot-Préamencu, pourrait-on l'admettre à démentir son propre témoignage (1)? La seconde exception implique Si le mari a aussi une reconnaissance de la paternité : assisté à l'acte de naissance et si cet acte est signé de lui, ou contient sa déclaration qu'il ne sait signer. » Qu'entend-on par assistance? Ce mot implique un concours à l'acte et non une simple présence; aussi la loi exige-t-elle que le mari signe l'acte; or, il n'y a que les déclarants et les témoins, c'est-à-dire ceux qui sont parties à l'acte, qui le signent. L'esprit de la loi ne laisse aucun doute; il faut un fait qui témoigne que l'enfant appartient au mari, qu'il le reconnaît comme sien. C'est donc un aveu de la légitimité, et quand le mari a avoué l'enfant comme légitime, il ne peut plus le désavouer. De là suit que si l'acte de naissance contenait des déclarations qui excluent la paternité du mari, son concours à l'acte de naissance serait inopérant. Cela résulte de la notion même de la reconnaissance on ne peut pas dire que le mari reconnaît comme sien un enfant qui est déclaré né d'un autre père ou né d'un père inconnu. De là suit encore que le mari, tout en assistant à l'acte de naissance, peut faire des ré

(1) Bigot Préameneu, Exposé des motifs, no 10 (Locré, t. III, p. 87).

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