Page images
PDF
EPUB

serves qui détruisent la conséquence que l'on voudrait tirer de son concours à l'acte. On ne peut lui opposer que la protestation contraire à l'acte est inopérante; il s'agit de déterminer quelle signification il faut donner à l'assistance du mari; eh bien, sa réserve prouve qu'on ne doit pas y voir une reconnaissance de paternité (1).

La loi refuse encore au mari l'action en désaveu quand l'enfant ne naît pas viable. D'abord parce que le mari n'a plus aucun intérêt au désaveu; on ne désavoue pas le néant. Puis, la raison même pour laquelle le mari est admis au désaveu vient à tomber. En général, il est certain que l'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage est conçu illégitime; mais cette certitude suppose que l'enfant est né à terme; s'il naît non viable, il n'y a plus de certitude que ce soit un accouchement naturel qui ait dû être précédé du temps ordinaire de la grossesse. Donc il ne peut plus y avoir lieu au droit absolu de désaveu, l'enfant ayant pu être conçu pendant le mariage (2). Quand l'enfant naît-il viable? La loi abandonne l'appréciation de cette question aux tribunaux, qui se décideront naturellement sur le témoignage des gens de l'art. Il ne suffit pas que l'enfant vive pendant quelque temps pour qu'il soit viable; il doit être constitué de manière qu'il soit destiné à vivre. Si l'enfant est né viable, quand même il viendrait à mourir peu de temps après sa naissance, le mari le pourrait désavouer, aux termes de la loi. Il faut cependant ajouter une condition qui résulte des principes généraux le mari doit avoir un intérêt quelconque au désaveu, sinon il sera déclaré non recevable.

381. Les fins de non-recevoir établies par l'article 314 sont-elles les seules qui puissent être opposées au mari? Au premier abord le texte paraît restrictif : « L'enfant, dit l'article 314, ne pourra être désavoué par le mari dans les cas suivants. » Donc, pourrait-on dire, ce sont les seules fins de non-recevoir que l'on puisse opposer au mari. Mais

(1) Demolombe, t. V, p. 68, nos 68-71. Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, p. 628, note 14, § 546.

(2) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 11 (Locré, t. III, p. 87).

cette interprétation serait trop absolue. Il faut voir si les cas prévus par la loi sont l'application d'un principe général; dans ce cas, le principe doit être appliqué à tous les cas qui peuvent se présenter. Or, nous venons de voir que les n° 1 et 2 de l'article 314 prévoient deux cas de reconnaissance tacite de la paternité du mari. Si la reconnaissance tacite est une fin de non-recevoir contre l'action en désaveu, à plus forte raison en doit-il être de même de la reconnaissance expresse; car l'aveu formel que le mari fait de sa paternité a plus de force qu'un aveu tacite, la volonté tacite étant moins certaine que la volonté expresse. Cela est reconnu par tout le monde. On a dit que si la reconnaissance se faisait après le mariage et avant la naissance, le mari pourrait l'attaquer en prouvant qu'il l'a faite dans la croyance que la grossesse était postérieure au mariage (1). Cela est incontestable si le mari prouve que la reconnaissance est viciée par l'erreur. Seulement il faut généraliser la décision et l'appliquer à tous les cas de reconnaissance, comme nous le dirons plus loin (no 383).

On demande dans quelle forme la reconnaissance doit se faire. La loi ne prévoit pas le cas de reconnaissance ou, ce qui revient au même, le cas de renonciation expresse; le silence de la loi décide la question. Puisqu'il n'y a pas de disposition spéciale, on reste sous l'empire des principes généraux; or, la volonté expresse peut se manifester, soit par paroles, soit par écrit, et l'écrit peut être authentique ou sous seing privé. Une simple lettre suffirait donc pour prouver la reconnaissance. Par la même raison, une reconnaissance verbale serait valable, sauf à appliquer les règles générales sur les preuves. Nous verrons, au titre des Obligations, dans quels cas la preuve testimoniale est admissible en matière d'état. On fait une objection contre cette doctrine. Aux termes de l'article 334, la reconnaissance d'un enfant naturel doit se faire par acte authentique; or, l'enfant conçu avant le mariage n'est-il pas un enfant naturel? Proudhon traite la question assez longuement. En vérité, l'objection n'en

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Paternité, no 76.

vaut pas la peme. Non, il ne s'agit pas, dans l'espèce, de reconnaître un enfant naturel, puisque l'enfant né pendant le mariage, quoique conçu avant, est légitime. De quoi s'agit-il done? De la preuve d'un aveu. C'est le droit commun qui donne la réponse (1).

Pourrait-on opposer au mari la reconnaissance tacite en dehors des cas prévus par l'article 314? La question est douteuse. Si on pouvait la décider, abstraction faite du texte de la loi, il faudrait certainement admettre la reconnaissance tacite dans tous les cas. Tel est, en effet, le droit commun. Mais le texte implique une restriction; il porte dans les cas suivants. Ces mots n'auraient plus de sens, et les nos 1 et 2 de l'article n'en auraient pas davantage, si toute espèce de reconnaissance ou de renonciation tacite était admise. Il y avait d'ailleurs une raison pour restreindre les cas de reconnaissance tacite. N'oublions pas qu'en principe le droit de désaveu du mari est absolu. Il ne doit recevoir d'exception que lorsqu'il a reconnu luimême sa paternité. Quand l'aveu est exprès, il n'offre pas de doute; mais l'aveu tacite est nécessairement plus ou moins douteux. Le législateur a donc bien fait de le définir d'une manière précise. Ainsi l'interprétation restrictive est fondée sur l'esprit comme sur le texte de la loi (2).

382. Qui doit faire la preuve des fins de non-recevoir que l'on peut opposer au mari? Naturellement celui qui les propose. Car le défendeur qui oppose une exception devient demandeur, et doit prouver le fondement de la demande qu'il fait sous forme d'exception. Cela est élémentaire. Îl est encore élémentaire que la preuve se fait d'après le droit commun, puisque le code n'y déroge pas. Donc la preuve pourra se faire par témoins, car il s'agit de faits purs et simples qui par eux-mêmes n'établissent ni droit ni obligation; et ces faits se prouvent par témoins, sans considérer la somme à laquelle s'élève l'intérêt pécuniaire de la demande. Nous parlons des cas prévus par

(1) Proudhon, t. II, p. 13 et suiv. C'est l'opinion générale (Dalloz, au mot Paternité, no 78).

(2) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, p. 628, note 15. En sens contraire, Demolombe, t. V, p. 72, no 76.

l'article 314. Quant à l'aveu exprès, on suit les principes généraux (1).

Jusqu'ici tout le monde est d'accord. L'application de ces principes a donné lieu à une question controversée, bien qu'il n'y ait guère lieu à controverse. Dans l'ancien droit, on décidait que le mari qui avait eu, avant son mariage, des fréquentations avec la femme qu'il a épousée n'était pas admis à désavouer l'enfant, à moins qu'il ne prouvât qu'il n'en pouvait être le père. Il est certain qu'il n'en est plus de même sous l'empire du code Napoléon. A défaut d'un aveu exprès de paternité, le défendeur doit établir l'un des deux faits qui impliquent un aveu tacite, aux termes de l'article 314. S'agit-il d'un aveu antérieur au mariage, il faut que le défendeur prouve que le mari a eu connaissance de la grossesse ; il ne suffit donc pas qu'il y ait eu de simples faits de fréquentation. Cela est admis généralement, sauf le dissentiment de Toullier. Faut-il aller plus loin et dire avec Proudhon que les faits de fréquentation sont inadmissibles? Il dit qu'il n'est pas permis d'articuler d'autres faits sans tomber dans l'arbitraire. Sans doute un homme peut avoir fréquenté une femme sans croire à sa grossesse et sans la connaître. Aussi le seul fait de fréquentation ne peut-il être invoqué contre le mari, comme prouvant qu'il a connu la grossesse; mais pourquoi les tribunaux ne pourraient-ils pas prendre ce fait en considération, aussi bien que tous les autres, comme indices ou présomptions? Car la preuve testimoniale étant admise, les présomptions le sont par cela même, et le juge ne doit en négliger aucune (2).

383. Nous supposons que les fins de non-recevoir sont établies. Le mari pourra-t-il les combattre en prouvant qu'il ne peut être le père de l'enfant? Il va sans dire que l'exception dérivant de la non-viabilité est absolue. Les deux autres le sont également. En effet, elles impliquent une reconnaissance, un aveu; et le mari ne peut pas revenir contre son aveu. Tout ce qu'il peut faire, c'est de sou

(1) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, p. 629, note 22. (2) Proudhon, t. II, p. 19 et suiv., et la note de Valette, p. 20. C'est l'opinion de presque tous les auteurs (Dalloz, au mot Paternité, no 73).

[ocr errors][merged small]

tenir que la reconnaissance expresse ou tacite qu'il a faite de sa paternité est viciée. C'est une manifestation de volonté; or, tout consentement est vicié par l'erreur, le dol et la violence. Si donc le mari prouve qu'il a reconnu l'enfant après le mariage, dans la croyance que cet enfant était conçu pendant le mariage, tandis que la date de la naissance établit qu'il est conçu avant le mariage, la reconnaissance sera annulée comme entachée d'erreur. Supposez, au contraire, que le mari avoue avoir connu la grossesse de la femme qu'il a épousée, mais qu'il demande à prouver qu'il était dans l'impossibilité physique de cohabiter avec elle lors de la conception, soit pour cause d'éloignement, soit par accident, cette preuve ne serait pas admise. Vainement invoquerait-il l'article 312 qui permet cette preuve contre l'enfant conçu pendant le mariage. Il a renoncé au désaveu, et il ne peut pas revenir sur sa renonciation (1).

384. Le mari désavoue l'enfant conçu avant le mariage. Celui-ci n'a aucune fin de non-recevoir à lui opposer. Sera-t-il admis à prouver que le mari de sa mère est son père? La négative nous paraît certaine. Quel est l'état de l'enfant conçu avant le mariage? Par sa conception, il est illégitime. La loi le répute légitime, parce qu'elle suppose que le mari est le père de l'enfant; mais elle donne au mari le droit absolu de repousser cette supposition en désavouant l'enfant. Contre ce désaveu, elle admet seulement des fins de non-recevoir qu'elle a soin de préciser et qui, sauf la non-viabilité, dérivent de la reconnaissance que le mari fait de sa paternité. Donc d'après le texte et d'après l'esprit de la loi, l'enfant ne peut appartenir au mari que par son aveu. C'est dire que son désaveu est péremptoire. Telle est l'opinion générale, sauf le dissentiment de Dalloz. On admet néanmoins une exception, celle que l'article 340 établit en faveur de l'enfant naturel. La loi lui interdit de rechercher son père; mais elle permet cette recherche dans le cas d'enlèvement, lorsque l'époque de l'enlèvement se rapporte à celle de la concep

(1) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, p. 630 et note 23. Duranton, t. III, p. 27, n° 28.

« PreviousContinue »