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tions, donc il doit avoir le choix. S'il se décide pour le premier mari, il en a le droit, et que pourrait-on lui opposer? L'autre présomption? Mais cette présomption est établie en sa faveur et il y peut renoncer. De quel droit d'ailleurs lui imposerait-on une filiation qu'il ne réclame pas? L'opinion que nous soutenons est une de celles que l'on professait dans l'ancien droit. C'est plus qu'une simple théorie, elle est consacrée par le droit anglais (1). Cela est une grande autorité, au moins au point de vue théorique. Elle est en harmonie avec l'esprit de notre code civil, puisqu'elle n'abandonne rien au pouvoir arbitraire du juge. On fait une objection très-singulière. Laisser le choix à l'enfant, dit-on, c'est lui permettre de choisir son père. Ce sera donc l'enfant, en définitive, qui fera son père. L'objection ne nous paraît pas sérieuse. Non, ce n'est pas l'enfant qui se fait son père, puisqu'il invoque une présomption légale; c'est donc la loi qui fait le père, et non l'enfant. Il y a plus: la loi elle-même consacre, en cette matière, une espèce d'option au profit de l'enfant. Quand, dans le cas de l'article 312, il s'agit de déterminer l'époque de la conception, il y a une époque variable du cent quatre-vingtième au trois centième jour avant la naissance l'enfant se place donc, à son choix, ou sous la présomption de la grossesse la plus longue, ou sous celle de la grossesse la plus courte. Et rien de plus logique. Celui à qui la loi donne deux droits a nécessairement la faculté de choisir (2).

389. Une difficulté analogue s'est présentée dans une affaire célèbre qui a donné lieu à des arrêts en sens divers. Un enfant naît deux cent quatre-vingt-trois jours après la mort du mari de sa mère. Il est reconnu comme enfant naturel par sa mère et par son père. Plus tard, il est légitimé par le mariage de ses parents. Quelle est la filiation de cet enfant? La cour de Paris a décidé que l'enfant appartenait au mari défunt, en vertu d'une présomption légale conçu pendant le mariage, il a pour père le

(1) Blackstone, Commentaire des lois anglaises, t. II, chap. VIII, no 2. (2) Arntz, Cours de droit civii français, t. Ier, p. 275, no 527.

mari, et cette présomption ne peut être détruite que par le désaveu; la reconnaissance et la légitimation ne sauraient détruire la présomption, en enlevant à l'enfant un état qu'il tient de la loi. Tel ne fut pas l'avis de la cour de cassation, elle cassa l'arrêt de la cour de Paris. L'enfant reconnu et légitimé était mort en possession de l'état d'enfant légitime du second mari de sa mère. Cette reconnaissance et cette légitimation assurent son état; il ne peut pas lui être enlevé par la présomption de l'article 315 qui attribue l'enfant au premier mari, car cette présomption est établie pour protéger l'enfant né dans les trois cents jours, et qui est en possession de l'état d'enfant légitime de son père défunt; on ne saurait donc l'invoquer contre l'enfant qui jouit d'un autre état, puisque ce serait lui enlever un état en vertu d'une présomption qui ne reçoit pas d'application à l'espèce, et qui ne peut, en tout cas, pas être rétorquée contre l'enfant. La cour d'Orléans, à laquelle la cause fut renvoyée, se prononça dans le même sens (1).

Les auteurs sont divisés; les uns prennent parti pour la cour de Paris, les autres pour la cour de cassation (2). Il y a un point qui nous paraît certain, c'est que l'enfant dont il s'agit a deux filiations. La cour de Paris invoque, non l'article 315, mais l'article 312; l'enfant né dans les trois cents jours de la dissolution du mariage est conçu dans le mariage, donc il a pour père le mari, sauf désaveu. Il n'y a rien à répondre à cela. Mais cet enfant n'a-t-il pas une seconde filiation? Reconnu et légitimé, il appartient au père qui l'a reconnu et légitimé. Dira-t-on que cette reconnaissance est nulle parce que ce serait la reconnaissance d'un enfant adultérin? Non, ce serait faire une très-fausse application de la présomption qui détermine la durée de la grossesse; elle est étrangère aux enfants naturels. Dans l'espèce, l'enfant reconnu pouvait être conçu depuis la dissolution du mariage: si ses père

(1) Arrêts de Paris du 16 juillet 1839, de la cour de cassation du 23 novembre 1842 et de la cour d'Orléans du 10 août 1843 (Dalloz, au mot Paternité, n° 94).

(2) Demolombe, t. V, p 96-103, no 96. Demante, t. II, p. 67, no 42 bis V.

et mere s'étaient mariés au moment de la reconnaissance, l'enfant aurait certainement pu invoquer l'article 314, il eût été présumé conçu dans le second mariage, donc légitime. Sa conception n'était donc pas adultérine; elle ne le serait que si l'on pouvait rétorquer contre l'enfant la présomption de la durée la plus longue de la grossesse : mais n'est-il pas de toute évidence qu'une présomption établie pour assurer la légitimité de l'enfant ne saurait être invoquée pour le déclarer adultérin? La reconnaissance est donc valable, et par suite la légitimation. D'où suit que l'enfant a une double filiation.

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Si l'enfant avait été en cause, il aurait pu dire qu'il a fait son choix, qu'il entend être enfant du second mari de sa mère. Et nous ne voyons pas ce que l'on aurait pu lui objecter. Qu'il appartient au premier mari par une présomption légale? Tout ce que cela prouve, aurait répondu l'enfant, c'est que je pourrais réclamer cette filiation. C'est un droit pour moi, mais n'est-ce pas chose absurde que de vouloir m'imposer un droit? J'ai encore un autre droit et j'en use. Je suis et je veux rester l'enfant du second mari de ma mère. Qui peut me contester l'usage d'un droit que je tiens de la reconnaissance de mon père et de la légitimation? Mais l'enfant était mort. Dès lors, il fallait dire qu'il avait consommé son choix, car il n'avait jamais songé à réclamer l'état d'enfant légitime du premier mari. Son titre et sa possession d'état lui assuraient la qualité d'enfant légitime du second mari de sa mère. Son état était donc définitivement fixé à sa mort, personne n'ayant le droit de lui imposer une filiation dont lui n'avait pas voulu.

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390. La loi fixe deux limites extrêmes pour la durée de la grossesse, un minimum de cent quatre-vingts jours et un maximum de trois cents. Mais elle ne dit pas comment on doit compter ces délais. De là une grande incertitude dans la doctrine; M. Demolombe se plaint, et non sans tort, dit M. Valette, qu'il n'y a rien de plus compliqué ni de plus obscur, et rien de pius divergent que les

opinions des auteurs. Cependant ces questions sont d'une haute importance: suivant la manière dont on compte les délais, la filiation d'un enfant peut être légitime ou naturelle, et même adultérine. Nous allons d'abord exposer la doctrine qui est le plus généralement suivie par les auteurs.

Elle repose sur deux principes traditionnels. D'après le premier, les délais se calculent par jours et non par heures. Le code Napoléon le dit en matière de prescription (article 2260). L'on entend par jour l'espace de vingt-quatre heures; d'où suit que l'on ne tient pas compte des fractions de jour dans le calcul des délais. Un second principe exclut du calcul le premier jour du délai, précisément parce que ce ne serait qu'une fraction de jour, tandis qu'il y comprend celui de l'échéance, en ce sens qu'il doit être écoulé en entier (code de procédure, art. 1033; code civil, art. 2061). Par application de ces principes, on calcule les délais de cent quatre-vingts et de trois cents jours, non de moment à moment, mais de jour à jour, en excluant le premier, celui que dans le langage de l'école on appelle le dies a quo. La loi dit que l'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage ne peut pas être désavoué; le jour où le mariage a été célébré ne compte pas; il faut donc cent soixante-dix-neuf jours complets entre le jour du mariage et celui de la naissance; de sorte que si le mariage est célébré le 1er janvier et si l'enfant naît le 29 juin, il ne sera pas conçu pendant le mariage, et par suite il pourra être désavoué, car il naîtra le cent soixantedix-neuvième jour, tandis qu'il faut cent soixante-dixneuf jours complets. S'il naît le 30 juin, les cent soixantedix-neuf jours étant accomplis, l'enfant sera présumé conçu pendant le mariage et ne pourra être désavoué.

On fait le même calcul pour le délai de trois cents jours. Le jour de la dissolution du mariage ne compte pas; il suffit donc de deux cent quatre-vingt-dix-neuf jours complets pour former le délai de trois cents jours; c'està-dire que l'enfant qui naît le trois centième jour sera encore présumé conçu dans le mariage (1).

(1) Demolombe, t. V, p. 13, n° 19. Zachariæ, t. III, p. 623, note 4. Dalloz, au mot Paternité, nos 27-29.

Reste à prouver que ces calculs concordent avec la loi. L'article 315 dit que la légitimité de l'enfant né trois cents jours après la dissolution du mariage pourra être contestée. Ces mots, après la dissolution du mariage, semblent indiquer qu'il ne faut pas compter dans le délai le jour de la dissolution; et les mots né trois cents jours impliquent que les trois cents jours doivent être écoulés; ce qui aboutit à notre calcul, d'après lequel l'enfant conçu le trois centièmejour est encore présumé conçu pendant le mariage.

Il y a plus de difficulté dans le cas de l'article 314, qui porte L'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage ne pourra être désavoué. » Ces mots du mariage semblent dire que le jour de la célébration est compris dans le délai, et le bon sens nous le dit aussi, puisque la conception peut avoir lieu ce jour. A cela on répond qu'il est impossible de comprendre le dies à quo dans le calcul des jours quand il s'agit du minimum de la grossesse, alors qu'on l'exclut dans le calcul du maximum. En effet, dans le cas de l'article 312, les deux délais concourent pour former l'époque à laquelle la conception peut avoir lieu; il faut donc nécessairement une manière uniforme de compter les délais : dès lors, l'on doit ou comprendre dans tous les cas le dies à quo dans les délais, ou l'exclure dans tous les cas. Le dernier système est en harmonie avec le principe traditionnel sur le dies à quo; il est consacré par le texte de l'article 315 et il n'est pas contraire à l'article 314: cette dernière disposition parle du cent quatre-vingtième jour du mariage, mais elle ne nous dit pas ce qu'il faut entendre par un jour; or, on ne compte pas les délais par heures, ce qui exclut les fractions de jour, et par conséquent le jour où le mariage a été célébré.

391. L'opinion générale que nous venons d'exposer repose sur une base très-fragile, ce sont deux principes traditionnels. Il s'agit de savoir si l'on doit compter les délais par jours ou par heures. M. Demolombe dit que la supputation doit se faire par jours et non par heures, que c'est là une vérité incontestable (1). Sur quoi est fondée

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. V, p. 12, no 18.

III.

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