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cette vérité? Au titre de la Paternité, la loi est muette, tout le monde s'en plaint. Pour que cette manière de compter fût une vérité incontestable, il faudrait donc que le législateur eût posé ailleurs une règle générale, applicable à tous les délais. Or, c'est ce que le législateur n'a point fait. On cite l'article 2260; il décide effectivement la question pour le calcul de la prescription: en cette matière, les délais se comptent par jours et non par heures. Mais, la disposition de l'article 2260 est spéciale, et rien ne nous autorise à en faire une règle générale. Il y a des raisons pour que la prescription ne se compte point par heures : c'est qu'il serait le plus souvent impossible de fixer d'une manière précise l'heure à laquelle elle a commencé et l'heure à laquelle elle s'est accomplie; recourt-on aux actes, ils sont datés par jours et non par heures; fait-on appel au témoignage des hommes, qui donc se rappellera l'heure à laquelle a commencé il y a dix, vingt ou trente ans, un fait de possession par lui-même très-insignifiant, et qui par conséquent ne frappe pas l'attention? Ces motifs expliquent la disposition spéciale de l'article 2260, mais ils sont tout à fait étrangers à la matière de la filiation. Un mariage se célèbre le 1er janvier; la durée la plus courte de la grossesse est de cent quatre-vingts jours: quel sera le point de départ du délai? Le bon sens répond : Le moment où la conception pendant le mariage est devenue possible; or, elle devient possible dès que le mariage est célébré. Qu'importe que ce ne soit qu'une fraction de jour, si précisément pendant ces douze ou quatorze heures la conception a été possible et, disons plus, probable? Donc c'est par heures qu'il faut compter et non par jours. Nous disons que les motifs qui ont fait établir une autre règle en matière de prescription n'ont rien de commun avec la filiation, La vérité eût exigé que l'on calculât par heures, car il s'agit de constater l'état réel des choses et non de procéder par fiction. Si la loi ne l'a pas fait, c'est que la chose était impossible. Est-il aussi impossible de préciser le moment où le mariage se célèbre, puis le moment de la naissance? Les actes de l'état civil indiquent l'heure où ils sont reçus; c'est une des énonciations que l'article 34

prescrit; et l'officier public doit aussi mentionner l'heure de la naissance sur la déclaration des comparants (art. 57). On a donc une preuve légale qui constate la vérité. Pourquoi laisserait-on là la réalité des choses pour recourir à des fictions? Si ces fictions étaient consacrées par la loi, il faudrait les accepter. Mais la loi les ignore; il faut dire plus, c'est qu'elles nous écartent de la loi. D'après l'esprit et d'après le texte de la loi, le minimum de la grossesse est de cent quatre-vingts jours; cependant, d'après le calcul traditionnel, il se trouve que ce délai est réduit à cent soixante-dix-neuf jours. Nouvelle fiction, et fiction en dehors de la loi. Il faut compter cent quatre-vingts jours de vingt-quatre heures, à partir de l'heure où le mariage a été célébré jusqu'à l'heure où l'enfant est né; il sera légitime si ce nombre d'heures est écoulé, illégitime s'il n'est pas écoulé.

Nous en disons autant du délai de trois cents jours. On comptera également à partir de l'heure où le mariage s'est dissous jusqu'à l'heure de la naissance. L'enfant né dans ce délai sera présumé conçu pendant le mariage et partant légitime; celui qui naîtra après ce nombre d'heures sera conçu après la dissolution du mariage, donc illégitime. Ce calcul est en harmonie avec la réalité des choses, autant qu'une fiction peut s'accorder avec la réalité. Car nous sommes sur le terrain d'une fiction, non-seulement pour la durée du délai, mais encore pour le point de départ. Le délai court à partir du moment ou de l'heure où le mariage s'est dissous ce qui suppose que la conception. a pu avoir lieu à l'instant qui a précédé la mort ou la prononciation du divorce. Certes, voilà une fiction peu probable, mais du moins elle est dans l'ordre des choses possibles. Tandis que le calcul usuel, qui exclut le jour de la dissolution, implique que la conception a pu avoir lieu pendant tout le jour de la dissolution, ce délai ne commençant à courir qu'à partir du lendemain : ce qui est souverainement absurde. Reste à savoir si la mort peut se prouver aussi exactement que la naissance. Or, il se trouve que le code Napoléon ne prescrit pas l'énonciation de l'heure, pas même celle du jour du décès (art. 79). Les

officiers publics marquent, il est vrai, l'heure du décès sur les déclarations, qu'ils demandent, au besoin, aux déclarants; mais quelle est la foi due à cette énonciation? La loi ne la prescrivant pas, il faut décider qu'elle ne fait aucune foi c'est la constatation d'un témoignage donné en dehors de la loi. Toujours est-il qu'à défaut de la preuve littérale, on peut recourir à la preuve testimoniale. C'est ce que le législateur a supposé. Cette preuve est bien plus sûre en matière de filiation qu'en matière de prescription. La mort est un fait grave qui frappe les plus indifférents; ce moment solennel ne s'efface plus de leur souvenir, tandis que l'homme dont la mémoire est la plus fidèle oubliera facilement les faits de possession dont il a été témoin accidentel. Rien n'empêche donc d'avoir égard à la réalité.

C'est M. Valette qui le premier a proposé le système que nous adoptons (1). La jurisprudence la plus récente se prononce en ce sens (2). Nous appliquons ce calcul à tous les cas, même quand le mari désavoue l'enfant pour cause d'impossibilité physique de cohabitation (art. 312). On a objecté qu'il était impossible de préciser avec certitude l'heure à laquelle a commencé ou cessé cette impossibilité de cohabitation (3). L'objection n'est pas sérieuse. Quand c'est pour cause d'éloignement, il y a un fait extérieur, le voyage, dont le commencement et la fin sont très-faciles à prouver. Si le mari allègue l'impuissance accidentelle, on peut encore, dans notre opinion, déterminer avec certitude la date de l'accident ainsi que la guérison, si guérison il y a. Pour la maladie interne, la chose serait difficile; mais, à notre avis, la maladie n'est pas admise comme cause d'impossibilité de cohabitation.

(1) Valette, Explication sommaire du premier livre du code civil, p. 164 et suiv.

(2) Jugement du tribunal d'Arras du 6 mai 1857; arrêts de Poitiers du 24 juillet 1855 et d'Angers du 12 décembre 1867 (Dalloz, 1858, 2, 138; 1865, 2, 129; 1867, 2, 201).

(3) Arntz, Cours de droit civil, t. Ier, p. 266, 4o, no 505.

CHAPITRE III.

DE LA FILIATION MATERNELLE.

392. Le chapitre II du titre VII est intitulé : Des preuves de la filiation des enfants légitimes. Il admet comme telles l'acte de naissance, la possession d'état et la preuve testimoniale. Deux de ces preuves, la première et la troisième, ne concernent que la filiation maternelle; quant à la filiation paternelle, elle ne se prouve ni par l'acte de naissance, ni par témoins; nous venons de voir qu'elle résulte, par voie de présomption, de la conception ou de la naissance pendant le mariage. Quant à la possession d'état, elle embrasse, à la vérité, la filiation paternelle aussi bien que la filiation maternelle. Cependant on ne peut pas dire qu'elle prouve directement la paternité, cette preuve étant toujours impossible. Donc, à vrai dire, la possession d'état ne prouve que la maternité, l'accouchement de la femme mariée et l'identité de l'enfant qui jouit de la possession d'état. La paternité ne peut jamais résulter que d'une présomption. Il y a cependant une différence considérable entre la preuve de la filiation par possession d'état et les deux autres preuves. Quand l'enfant prouve sa filiation maternelle par un acte de naissance, il est par cela même présumé enfant du mari, et celui-ci ne peut combattre cette présomption que par le désaveu. Si l'enfant établit sa filiation par témoins, il a aussi en sa faveur la présomption de paternité de l'article 312; mais dans ce cas le mari n'est pas tenu de recourir au désaveu, il est admis à la preuve contraire, d'après les règles du droit commun. La preuve de la filiation par la possession d'état entraîne également la présomption de paternité au profit de l'enfant, mais le père ne peut pas la combattre par le désaveu. En effet, l'un des faits que l'enfant doit prouver, c'est que le mari l'a traité comme son enfant, et a pourvu, en cette qualité, à son entretien,

à son éducation et à son établissement. Cela implique la reconnaissance de la légitimité, dès lors il ne peut plus être question de désaveu (1).

SECTION I. De l'acte de naissance.

§ I. De la filiation.

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293. Aux termes de l'article 319, la filiation des enfants légitimes se prouve par les actes de naissance inscrits sur les registres de l'état civil. » Il faut l'inscription de l'acte sur les registres, parce qu'il prouve la filiation des enfants légitimes. Si l'officier public constate la naissance sur une feuille volante, cet écrit ne fera aucune preuve, car il ne constitue pas un acte de l'état civil, l'inscription sur le registre étant une formalité essentielle pour l'existence de l'acte. C'est ce que nous avons établi au titre des Actes de l'état civil (2). La feuille volante ne serait cependant pas sans valeur pour celui dont elle constate la naissance; l'inscription sur une feuille volante est un délit (code pénal, art. 463); celui qui est lésé par ce délit peut former une plainte contre l'officier public et se porter partie civile. Si l'instruction établit qu'il y a eu naissance et que les formalités essentielles ont été remplies, le jugement tiendra lieu d'acte de naissance. Le code le décide ainsi pour le mariage; la disposition de l'article 198 s'applique par analogie à la naissance.

L'inscription de l'acte sur les registres est-elle la seule condition requise pour que l'acte existe, et partant pour qu'il fasse foi? On applique à l'acte de naissance les principes que nous avons posés en expliquant le titre de l'Etat civil. Il faut donc que l'acte soit reçu par l'officier de l'état civil et signé par lui. L'inobservation des autres formalités prescrites par la loi n'entraîne pas la non-existence ni la nullité de l'acte; elles donnent seulement lieu à rectification (3).

(1) Valette, Explication sommaire du livre ler du code civil, p. 177. (2) Voyez le tome 11 de mes Principes, p. 37, n° 24.

(3) Voyez le tome II de mes Principes, p. 33 et suiv.

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