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tant que la possession ne doit pas avoir tous les caractères exigés par l'article 321 (1). Il est certain que l'on ne peut pas exiger que l'enfant prouve son identité par la possession d'état, telle qu'elle est définie par la loi. Une pareille possession prouve à elle seule la filiation paternelle et maternelle; tandis que, dans l'espèce, il s'agit seulement d'établir que l'acte de naissance appartient à l'enfant qui s'en prévaut. Les auteurs ont donc raison de dire que la possession invoquée par l'enfant pour prouver son identité ne doit pas avoir les caractères que le code civil énumère dans l'article 321. Mais alors il n'est pas exact de dire que l'identité est établie par la possession d'état. Un enfant, dit-on, est élevé loin de ses parents, dans le lieu où a été dressé son acte de naissance, lequel désigne une femme mariée comme étant sa mère; cet enfant est connu publiquement pour être celui qui est dénommé dans l'acte (2). Est-ce là une possession d'état, même limitée? Non, certes, puisque le principal caractère de la possession d'état lui fait défaut; on suppose en effet qu'élevé loin de ses parents, il n'a pas été traité comme leur enfant dans la famille. En définitive, ce n'est pas une possession d'état; ce sont des témoignages qui établissent que l'enfant indiqué dans un acte de naissance est le même que celui qui allègue cet acte pour établir sa filiation.

Cette preuve se fait par témoins. On le décidait ainsi dans l'ancien droit, et telle est aussi la doctrine et la jurisprudence sous l'empire du code Napoléon. C'est l'application des principes qui régissent la preuve testimoniale. Les faits purs et simples, faits matériels qui par eux-mêmes ne produisent ni droit ni obligation, se prouvent par témoins. Tels sont les faits qui établissent l'identité de l'enfant. Vainement dirait-on que l'identité pouvant, à la rigueur, se prouver par écrit, c'est-à-dire par un certificat délivré soit par l'autorité locale, soit par un notaire, il en résulte que la preuve testimoniale n'est pas admissible; nous répondrons avec Cochin, dans un de ses lumineux

(1) Duranton, Cours de droit français, t. III, p. 122, no 123. (2) Valette sur Proudhon, Traité de l'état des personnes, t. II, p. 79.

III.

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plaidoyers Un enfant, à quelque âge qu'il soit, ne va pas se représenter de temps en temps devant des officiers publics pour vérifier qu'il est toujours le même enfant; c'est donc une nécessité absolue de recourir sur ce point de fait à la preuve testimoniale (1).

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400. L'enfant ne sera-t-il admis à la preuve testimoniale que sous les conditions déterminées par l'article 323? Cet article porte que l'enfant qui demande à prouver sa filiation par témoins ne sera admis à cette preuve que lorsqu'il y a commencement de preuve par écrit, ou lorsque les présomptions ou indices résultant de faits dès lors constants sont assez graves pour déterminer l'admission. La jurisprudence applique généralement l'article 323 au cas où l'enfant, porteur d'un acte de naissance, veut faire la preuve de son identité par témoins (2). Nous n'hésitons pas à dire que c'est une erreur, et telle est aussi l'opinion de tous les auteurs (3). La jurisprudence confond la preuve de l'identité avec la preuve de la filiation. Que doit prouver l'enfant qui veut établir sa filiation par témoins? Il doit prouver que la femme dont il se prétend issu est accouchée et que lui est identiquement le même que l'enfant dont elle est accouchée (art. 341). L'enfant a donc deux faits à établir dans le cas de l'article 323, l'accouchement de la femme qu'il réclame pour sa mère et son identité à lui. Or, quand l'enfant produit un acte de naissance, le premier fait est établi par l'acte; reste seulement à prouver son identité. On comprend que le législateur se soit montré plus sévère quand il s'agit de faire la preuve complète de la filiation par témoins, que lorsqu'il s'agit seulement de prouver par témoins l'un des faits qui constituent la filiation, c'est-à-dire l'identité. Que fait donc la jurisprudence quand elle étend la disposition de l'article 323

(1) Cochin, Plaidoyer CVII (Œuvres, t. IV, p. 486). Arrêt de Bruxelles du 9 juillet 1821 (Dalloz, au mot Paternité, no 228). C'est la doctrine unanime des auteurs (Dalloz, ibid.).

(2) Arrêts de la cour de cassation du 27 janvier 1818, de Paris du 13 floréal an XIII, de Bordeaux du 25 août 1825 (Dalloz, au mot Paternité, n° 229 et 230).

(3) Valette sur Proudhon, t. II, p. 79 et suiv. Demolombe, t. V, p. 183, no 203. Dalloz, au mot Paternité, no 231.

au cas prévu par l'article 319? Elle fait la loi; on n'a qu'à iire l'arrêt de la cour de cassation de 1818 pour s'en convaincre. Elle dit que la preuve testimoniale est autorisée, en matière de réclamation d'état, lorsqu'il existe un commencement de preuve. La cour généralise, comme on voit, l'article 323, tandis que c'est une disposition spéciale; l'interprète n'a pas ce droit-là.

On fait une objection contre la doctrine que les auteurs enseignent. Nous supposons que l'enfant produit un acte de naissance, et nous disons que ce titre établit l'accouchement de la femme qu'il réclame pour sa mère. Il n'en est rien, dit-on; car ce titre est contesté, il est encore douteux que l'enfant puisse s'en prévaloir, puisqu'on ignore s'il lui appartient. Donc on est réellement dans le cas de l'article 323 il y a défaut de titre et de possession constante. L'objection n'est pas sérieuse; elle ne tend à rien moins qu'à annuler le titre. Il y a un acte de naissance, dès lors il est prouvé que la femme qui y est désignée est accouchée d'un enfant. Cela n'est pas contesté par les adversaires de l'enfant; qu'est-ce qu'ils lui contestent? Ils nient que lui soit l'enfant dont cette femme est accouchée; ils ne nient donc pas le titre, ils nient l'identité. S'ils ne nient pas le titre, il y a donc un titre, et par conséquent nous ne sommes pas dans le cas prévu par l'article 323.

401. Sans doute, il n'est pas sans danger de permettre la preuve testimoniale, ne fût-ce que pour établir l'identité. A la rigueur, un aventurier peut s'en prévaloir pour entrer dans une famille à laquelle il est étranger. Mais le danger n'est pas aussi grand quand la preuve testimoniale est invoquée pour prouver l'identité que lorsqu'elle doit servir à prouver la filiation. Dans l'espèce, il y a un acte de naissance, donc il y a un enfant; les père et mère ou les autres parents doivent savoir ce que cet enfant est devenu. Vit-il encore, dans ce cas la réclamation d'état que ferait un premier venu d'une filiation qui ne lui appartient pas serait facilement écartée. Est-il mort, le défendeur doit prouver le décès, et s'il est prouvé que l'enfant dont on produit l'acte de naissance est décédé, il est évident que cet acte ne peut plus servir pour établir la filiation de celui qui a

intenté l'action en réclamation d'état. Mais ici se présente une nouvelle difficulté. Celui qui agit en réclamation d'état, en produisant un acte de naissance et à qui l'on oppose un acte de décès, peut-il prouver que cet acte est faux? Un arrêt de la cour de Toulouse a rejeté l'inscription de faux par la raison qu'elle serait inutile, quand même on l'admettrait (1). La cour part du principe consacré par la jurisprudence, que l'identité ne peut pas se prouver par témoins, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve par écrit. Dans ce système, il est évident que l'inscription de faux serait frustratoire; car en supposant même que l'enfant vive encore, le demandeur n'aurait pas le droit de prouver que lui est cet enfant, parce qu'il n'a pas de commencement de preuve. Mais si l'on admet la doctrine que nous venons d'exposer, il faut permettre à celui qui attaque l'acte de décès de s'inscrire en faux. En effet, si l'acte de décès est déclaré faux, il reste l'acte de naissance qui prouve l'accouchement, et l'identité pourra être établie par la preuve testimoniale.

402. Dans l'espèce jugée par la cour de Toulouse, l'enfant qui produisait l'acte de naissance avait une possession d'état contraire à son titre. Cette circonstance complique la difficulté, en ce sens que le danger que présente la preuve testimoniale augmente; or, n'est-ce pas à raison de ce danger que l'article 323 exige que la preuve testimoniale soit appuyée d'un commencement de preuve? S'il s'agissait de faire la loi, on pourrait soutenir ce système; mais il s'agit de l'interpréter; or, nous ne voyons ni texte ni principe qui défende à l'enfant d'invoquer l'acte de naissance, alors qu'il a une possession d'état contraire à ce titre. Ce n'est qu'à défaut d'un acte de naissance que la possession d'état prouve la filiation (art. 320). Donc quand il y a un titre, il n'y a plus lieu à invoquer la possession d'état. Le titre prouve qu'une femme est accouchée, et par conséquent qu'il y a un enfant. Reste à faire la preuve de l'identité; elle sera plus difficile à fournir quand l'en

(1) Arrêt de Toulouse du 7 juillet 1818 (Dalloz, au mot Paternité n° 239, 1o), et la critique de Dalloz, no 232.

fant a une possession d'état contraire à ses prétentions. Cette difficulté aurait pu engager le législateur à ne pas admettre la preuve par témoins sans un commencement de preuve. Mais il ne l'a pas fait, et ce n'est pas à l'interprète à combler la lacune, si lacune il y a (1).

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403. L'article 321 définit la possession d'état. « Elle s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il prétend appartenir. » La loi ajoute :

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Les principaux de ces faits sont que l'individu a toujours porté le nom du père auquel il prétend appartenir; que le père l'a traité comme son enfant, et a pourvu, en cette qualité, à son éducation, à son entretien et à son établissement; qu'il a été reconnu constamment pour tel dans la société; qu'il a été reconnu pour tel par la famille. C'est ce que, dans le langage de l'école, on appelle nomen, tractatus, fama. On demande si tous les faits énumérés par la loi doivent concourir; on demande encore si l'enfant n'en peut pas alléguer d'autres. Le texte et l'esprit de la loi ne laissent aucun doute sur ces questions. L'article 321 dit qu'il faut une réunion suffisante de faits, puis il indique les principaux de ces faits. Donc il n'y a aucune restriction, aucune limitation dans les termes de la loi. La possession d'état, dit Bigot-Préameneu, peut se composer de faits si nombreux et si variés, que leur énumération eût été impossible. « Par la même raison, continue l'orateur du gouvernement, la loi n'exige pas que tous ces faits concourent. L'objet est de prouver que l'enfant a été reconnu et traité comme légitime : il n'importe que la preuve résulte de faits plus ou moins nombreux, il suffit qu'elle soit certaine (2).

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Le texte du projet, tel qu'il fut d'abord arrêté par le

(1) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, p. 653 et note 3.
(2 Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 19 (Locré, t. III, p. 89).

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