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ordre aux agents diplomatiques d'envoyer un extrait des actes de mariage qu'ils recevront aux officiers civils, lesquels en feront la transcription (1).

35. Le code veut que cette transcription se fasse dans le délai de trois mois. Ce délai est-il fatal? La question, encore une fois, n'a de sens que si l'article 171 a une sanction. S'il n'a pas de sanction, qu'importe quand on remplit une formalité qui peut ne pas être remplie? Les auteurs qui enseignent que l'article a une sanction disent que la formalité de la transcription peut encore avoir lieu après les trois mois, mais qu'il faut un jugement qui l'ordonne; car une transcription faite hors des délais de la loi est une rectification des registres, et ne peut, dès lors, avoir lieu qu'avec autorisation de justice (2). Il est difficile de comprendre qu'un acte soit rectifié par la transcription, qui n'est qu'une simple copie. Il est vrai que quand la loi prescrit qu'un acte de l'état civil soit reçu dans un délai fixe, cet acte ne peut être dressé après ce délai qu'en vertu d'un jugement (3). Mais, dans l'espèce, il ne s'agit pas de recevoir un acte; l'acte est reçu, il faut seulement le copier; et pourquoi cette copie ne pourrait-elle pas se faire après les trois mois?

36. Nous abordons la grande difficulté. L'article 171 a-t-il une sanction et quelle est cette sanction? On a prétendu que le mariage n'aurait pas d'effet civil en France aussi longtemps que l'acte ne serait pas transcrit; que, par suite, les enfants n'hériteraient pas des biens situés en France, au préjudice des parents français; qu'on ne pourrait même invoquer ce mariage pour faire annuler un second mariage contracté en France avant la dissolution du premier. Il a été facile à Merlin de réfuter cette étrange interprétation. Elle n'a aucun fondement, ni dans le texte, ni dans l'esprit de la loi. Il n'y a pas un mot dans l'article 171 d'où l'on puisse induire que le défaut de transcription produise des effets aussi considérables; il n'établit aucune nullité, aucune déchéance. Et comment le législa

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 351, no 227. (2) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. III, p. 315, note 7, § 468. (3) Voyez le tome II de mes Principes, p. 31, n° 19.

teur aurait-il pu songer à une sanction aussi sévère, alors que le mariage, on le suppose, a été régulièrement célébré à l'étranger? Quoi! si les époux ne rentrent pas en France, leur mariage y produira tous les effets qu'il peut produire. Et s'ils y rentrent, le mariage, valable jusque-là, serait subitement frappé de nullité, si dans les trois mois l'acte n'était pas transcrit? Inutile d'insister; les tribunaux, plus sages que les auteurs, ont toujours repoussé cette opinion (1).

D'autres auteurs ont cru que le but de l'article 171 était de donner de la publicité au mariage en France; ils en ont conclu que si la formalité de la transcription n'est pas remplie, le mariage ne peut produire aucun des effets que la loi y attache à raison de la publicité dont il doit être entouré. Ainsi la femme n'aurait d'hypothèque légale que du jour de la transcription de l'acte de célébration, si la transcription n'était faite qu'après le délai de trois mois. De même, les époux ne pourraient opposer aux tiers le défaut d'autorisation maritale. Mais le mariage produirait les effets qui sont indépendants de la publicité (2).

Cette interprétation doit également être rejetée. Elle suppose que la transcription est ordonnée pour rendre le mariage public, donc dans l'intérêt des tiers, et elle applique alors le principe qu'un acte dont la publicité est prescrite dans l'intérêt des tiers, est censé ne pas exister à leur égard tant que les formalités établies par la loi n'ont pas été remplies. Mais cette supposition n'est fondée sur rien. Elle n'a aucun appui dans le texte. Que si l'on recourt aux travaux préparatoires, on n'y trouve pas le moindre indice de ce système. Demandons à Portalis pourquoi le législateur veut que l'acte de mariage soit transcrit; il nous répondra, dans son style pompeux : « Il faut que le Français qui s'est marié ailleurs qu'en France vienne faire hommage à sa patrie du titre qui l'a rendu époux ou père, et qu'il naturalise ce titre, en le faisant

(1) Delvincourt, t. Ier, p. 68, note 6. Merlin, Questions de droit, au mot Mariage, § 14. Dalloz, au mot Mariage, no 397, 1°.

(2) C'est l'opinion de Duranton (t. II, p. 187, no 240) suivi par Zachariæ qu l'a systématisée (t. III, p. 314 et suiv.. § 468).

inscrire dans un registre national. Ceci est une de ces phrases creuses comme on en trouve trop dans les discours des orateurs du gouvernement: l'enflure des mots cache le vide de la pensée. Au conseil d'Etat, il ne fut pas dit un mot de publicité. Le premier projet de code ordonnait l'enregistrement de l'acte de célébration reçu à l'étranger, et cela à peine du double droit; de plus, il prescrivait la transcription sous peine d'une amende. Il n'y a plus de trace, dans le code, de l'enregistrement; la transcription est maintenue, mais sans la sanction de l'amende. Defermon demanda pourquoi la disposition de l'article 171 n'était pas sanctionnée par une peine. Réal répondit que la peine se trouvait dans les lois sur l'enregistrement. C'est une erreur; toutefois elle nous indique que, dans l'esprit du législateur, la formalité de la transcription ne devait avoir d'autre sanction qu'une amende (1). L'amende ayant été retranchée, il ne reste aucune sanction.

37. Quel est, en définitive, le but de la transcription ordonnée par l'article 171 ? A première vue, on est tenté de croire qu'elle est établie dans un intérêt de publicité. Mais pour peu que l'on y réfléchisse, on voit que la transcription sur les registres de l'état civil ne donne réellement aucune publicité au mariage célébré à l'étranger. Il est vrai que les registres de l'état civil sont publics; mais qui donc va consulter ces registres pour s'assurer si un mariage a été contracté à l'étranger? Si la transcription était prescrite pour donner de la publicité au mariage, il faut convenir que le législateur s'y serait mal pris pour atteindre ce but. Quel est le grand objet des actes de l'état civil? C'est de fournir une preuve authentique des faits qui concernent l'état des personnes. Quand un mariage est célébré à l'étranger, les époux, les enfants et toutes les parties intéressées devraient s'adresser à l'officier étranger pour obtenir une expédition de l'acte de là des frais, des cmbarras, des lenteurs. Le législateur a donné aux époux, qui sont les principaux intéressés, un moyen facile de se

(1) Locré, Législation civile, t. II, p. 327 (séance du 4 vendémiaire an x, n°23).

procurer une preuve, c'est la transcription de l'acte de célébration sur les registres de l'état civil (1). Ce qui prouve que tel est l'esprit de la loi, c'est que le code ordonne la même mesure dans tous les cas où un acte de l'état civil concernant les Français est reçu à l'étranger par des officiers français. Ainsi les actes de naissance reçus pendant un voyage de mer par le capitaine doivent être inscrits sur les registres de l'état civil du lieu où le père est domicilié (art. 59-61). Il en est de même des actes de décès (art. 86 et s.). Enfin l'acte de célébration de mariage, reçu à l'armée, en pays étranger, doit également être inscrit sur les registres en France, ainsi que les actes de décès (art. 95 et s.).

38. La transcription est donc une mesure d'ordre établie dans l'intérêt de tous ceux qui ont besoin d'un acte de l'état civil. Si elle n'est pas faite, qu'en résultera-t-il? Le mariage ne produira pas moins tous ses effets; car le mariage existe, indépendamment de l'acte qui le constate; à plus forte raison existe-t-il si l'acte n'a pas été transcrit. Il faut appliquer ce principe aux effets qui se rattachent à la publicité. Telle est l'hypothèque légale de la femme. La cour de cassation avait commencé par admettre la nullité de l'hypothèque, alors que la transcription de l'acte de mariage n'était pas faite; mais elle est revenue de sa jurisprudence, et la doctrine est d'accord pour enseigner que l'hypothèque de la femme est indépendante de la transcription (2). Nous n'insistons pas, parce que la question ne peut même plus se présenter en Belgique. D'après notre loi hypothécaire, les hypothèques légales doivent être inscrites pour avoir effet à l'égard des tiers. Cette publicité garantit les intérêts des tiers bien mieux que ne le fait la transcription de l'acte de mariage.

Faut-il conclure de là que le défaut de transcription ne produit jamais d'effet? M. Demolombe dit qu'il en résulte

(1) C'est l'opinion développée par M. Mourlon dans une dissertation sur la sanction de l'article 171 (Revue de droit français et étranger, 1844, t. Ier, p. 885).

(2) Voyez les auteurs et les arrêts cités par Dalloz, au mot Privileges et Bypothèques, no 865.

une action en dommages-intérêts au profit des tiers qui ont ignoré le mariage (1). Cela est trop absolu, car cela suppose que la transcription est établie pour porter le mariage à la connaissance des tiers; et, poussée à bout, cette doctrine aboutirait indirectement à priver le mariage des effets que la loi y attache à raison de sa publicité. Or, cette doctrine est inadmissible, d'après le texte et d'après l'esprit de la loi. Il peut cependant se présenter des cas où les tiers seraient induits en erreur par le défaut de transcription. La femme contracte, sans faire connaître qu'elle est mariée; le tiers, avant de donner son consentement, s'adresse à l'officier de l'état civil pour s'assurer qu'elle n'est pas mariée. Si l'acte de mariage n'est pas transcrit, il doit croire qu'il n'y a point de mariage. Il contracte donc dans l'ignorance du mariage et, de plus, dans l'ignorance des conventions matrimoniales. La femme peut-elle lui opposer sa qualité de femme mariée et son contrat de mariage? Il a été jugé que les tiers pouvaient se prévaloir du défaut de transcription (2). En effet, ils ont éprouvé un dommage par le fait et la faute des époux. La loi impose aux époux l'obligation de faire transcrire leur acte de mariage, dans le but de compléter les registres de l'état civil; or, ces registres intéressent les tiers aussi bien que les époux. Si donc, par la faute des époux, ils restent incomplets, et si cette omission a causé un préjudice aux tiers, il y a lieu d'appliquer le principe général de l'article 1382, aux termes duquel tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 354 et suiv., no 229. (2) Arrêt de Bordeaux du 14 mars 1850 (Dalloz, Recueil périodique, 1853, 2, 179).

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