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perte des registres, la loi n'admet les papiers domestiques que comme un commencement de preuve. L'article 323 admet aussi à titre de commencement de preuve les présomptions résultant de faits constants; tandis que dans le cas prévu par l'article 46, les présomptions sont admises comme preuve principale par cela seul que la preuve testimoniale l'est (art. 1353). Quand l'enfant a prouvé sa filiation par témoins, dans le cas de l'article 323, le mari peut prouver par tous moyens qu'il ne lui appartient pas. Lorsque, au contraire, l'enfant recourt à la preuve testimoniale pour remplacer des registres qui n'existent pas, la preuve de la filiation maternelle ne peut être combattue que par l'action en désaveu; en effet, elle tient lieu de l'acte de naissance; or, l'acte de naissance ne peut être combattu que par le désaveu (1).

CHAPITRE IV.

DES ACTIONS CONCERNANT LA FILIATION.

SECTION I. Principes généraux.

426. On donne le nom de questions d'état aux actions qui concernent la filiation. La cour de cassation définit l'état en ces termes : L'état consiste dans les rapports que la nature et la loi civile établissent, indépendamment de la volonté des parties, entre un individu et ceux dont il tient la naissance (2). Dans ce sens large, l'enfant naturel a un état aussi bien que l'enfant légitime, mais l'état de celui-ci embrasse des relations plus étendues que l'état de l'enfant naturel; car elles s'étendent à toute la famille des

(1) Mourlon, Répétitions, t. Ier, p. 455 et suiv.

(2) Arrêt du 12 juin 1838 (Dalloz, au mot Paternité, no 633. 2o).

père et mère, tandis que l'enfant naturel n'a pas de famille. Comme le dit la définition de la cour de cassation, l'état a pour base la filiation, il en découle comme de sa source. D'où suit que les actions concernant la filiation sont essentiellement des questions d'état. Telles sont :

Le désaveu, car il tend à contester la filiation légitime de l'enfant conçu ou au moins né pendant le mariage:

La contestation de légitimité, dans le sens spécial de l'article 315. Quand l'enfant naît trois cents jours après la dissolution du mariage, sa légitimité peut être contestée, c'est-à-dire que le demandeur nie que cet enfant soit conçu pendant le mariage; or, l'action qui tend à nier la filiation légitime est une question d'état aussi bien que l'action par laquelle l'enfant réclame sa légitimité:

L'action en réclamation d'état, qui est intentée par l'enfant ou ses héritiers, soulève toujours une question d'état, car l'enfant prétend appartenir à telle famille à raison de sa filiation.

L'action en contestation d'état tend à repousser l'enfant de la famille à laquelle il prétend appartenir, soit que l'enfant possède l'état qu'on lui conteste, soit qu'il ne le possède pas. Dans ce sens, le désaveu est une action en contestation d'état, car le mari conteste à l'enfant la qualité d'enfant légitime.

427. L'état des personnes est régi par des principes qui s'appliquent, du moins en général, à toutes les questions d'état. Il y a un principe fondamental en cette matière, c'est que l'état est, dans son essence, un droit moral. Il est vrai qu'il est la source de droits pécuniaires qui peuvent être très-considérables, mais ce ne sont pas ces droits qui constituent l'état; l'état peut exister, à la rigueur, sans qu'il en résulte des avantages pécuniaires; ce qui en fait l'élément essentiel, c'est le sang, c'est la famille, c'est l'honneur qui y est attaché. Par cela même, l'état est d'ordre public; il est la base de la classification civile des personnes. Il est aussi d'intérêt général, car c'est sur la filiation que reposent les familles, et la famille est le fondement de la société civile et politique. Il suit de là que l'état n'est pas dans le commerce; on n'achète pas, on ne vend pas le

sang ni la filiation. Par suite, l'état ne peut faire l'objet d'aucun fait juridique qui implique le commerce, dans le sens légal du mot. Donc personne ne peut transiger sur son état (1). La transaction suppose une renonciation; or, l'on ne conçoit pas que l'enfant renonce à son état; ce serait renoncer au sang, abdiquer des liens que la nature a formés, ce qui est impossible; ce serait aliéner une chose qui, n'étant pas dans le commerce, ne peut pas faire l'objet d'une aliénation; ce serait régler par des conventions particulières une matière qui est d'ordre public et d'intérêt général, ce que la loi ne permet pas. Toute renonciation que l'enfant ferait à son état est donc radicalement nulle (2). De là suit que si l'enfant a intenté une action en réclamation d'état et s'il s'en désiste, le désistement est nul, en tant qu'il implique une renonciation à son état; il pourra réclamer son état malgré son désistement. Par la même raison, il ne peut acquiescer au jugement qui a reieté sa demande; cet acquiescement ne l'empêcherait pas d'interjeter appel. Il est vrai que l'enfant peut ne pas interjeter appel; son silence impliquera un acquiescement tacite; mais si, dans ce cas, l'enfant est déchu du droit d'appel, c'est moins par sa volonté que par l'autorité que la loi attache aux jugements, et par la nécessité de mettre un terme aux procès (3).

Il suit du même principe que l'on ne peut opposer à l'enfant un aveu quelconque qu'il aurait fait de sa filiation, ni lui déférer le serment sur son état. Le serment ne peut jamais être déféré en matière d'état, pas plus au profit de l'enfant que contre lui, parce que le serment décisoire implique une transaction, et toute transaction sur une question d'état est frappée de nullité. Quant à l'aveu, il contient une disposition du droit sur lequel il porte; dès lors il est inadmissible en matière d'état.

Enfin, il résulte du même principe que l'état ne peut ni s'acquérir ni se perdre par prescription. La loi le dit de

(1) Arrêt d'Orléans du 6 mars 1841 (Dalloz, au mot Paternité, no 387, 3o). (2) Arrêt de Montpellier du 20 mars 1838 (Dalloz, au mot Paternité, no 66, p. 184). (3) Duranton, Cours de droit français, t. III, p. 146, no 144.

DE LA FILIATION.

la prescription extinctive que l'on voudrait opposer à l'action en réclamation d'état intentée par l'enfant; l'article 328 n'est que l'application d'un principe général, c'est que la prescription, soit acquisitive, soit extinctive, suppose un droit qui est dans le commerce, un droit que l'on peut acquérir par titre ou par possession, un droit que l'on peut perdre par une renonciation tacite ou par négligence, toutes suppositions étrangères à l'état des personnes. D'ailleurs la prescription est établie dans l'intérêt général; or, l'intérêt de la société demande précisément que l'état soit imprescriptible; il importe que chacun puisse toujours réclamer la filiation qui lui appartient, et il importe également que l'on puisse toujours contester l'état de celui qui n'a aucun droit à la filiation qu'il possède ou qu'il revendique (1).

428. Il ne faut pas confondre l'état avec les droits pécuniaires qui y sont attachés. Quoique ces droits dérivent de l'état qui est d'ordre public et d'intérêt social, ils n'ont rien de commun avec l'ordre public ni avec l'intérêt de la société. Ils restent donc sous l'empire des principes généraux qui régissent les droits patrimoniaux. Ces droits sont dans le commerce; donc ils peuvent faire l'objet de toute espèce de convention, par exemple d'une transaction. La cour d'Orléans a fait une application remarquable de ce principe. Une transaction portait tout ensemble sur l'état de l'enfant et sur les droits pécuniaires qui en dérivaient. La cour maintint la convention quant aux intérêts pécuniaires, et l'annula quant à la question d'état. Bien que compris dans une même convention, les droits pécuniaires et les droits d'état sont essentiellement différents; on peut transiger sur les uns, on ne le peut pas sur les autres; la cour devait donc les séparer, comme elle l'a fait (2).

(1) C'est le motif donné par Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 25 (Locré, t. III, p. 90).

(2) Arret d'Orléans du 6 mars 1841 (Dalloz, au mot Paternité, no 387, 3o). Comparez un arrêt de la cour de cassation du 29 mars 1852 (Dalloz, 1854, 1, 392), qui maintient une convention sur le partage de la communauté et de la succession, intervenue entre des enfants légitimes et des enfants adultérins.

Il suit de là que l'enfant peut renoncer aux droits pécuniaires qui sont attachés à son état; il peut se désister d'une action qui les concerne, y acquiescer. On peut se prévaloir de son aveu et lui déférer le serment. Enfin ces droits étant dans le commerce, on peut les acquérir et les perdre par la prescription.

429. L'état, considéré comme droit moral, ne concerne que l'enfant. Il est vrai que, en principe, ses descendants auraient aussi un intérêt moral à réclamer l'état qui appartenait à leur père. Mais le code Napoléon n'admet pas cette théorie; il en serait résulté que les débats sur les questions d'état auraient été éternels, ce qui eût compromis le repos des familles, et par conséquent troublé la société. Le législateur a donc limité la contestation sur l'état à la vie de l'enfant. A sa mort, l'état, comme droit moral, s'éteint; il n'est plus considéré que comme source d'intérêts pécuniaires. Les droits patrimoniaux attachés à l'état passent naturellement aux héritiers quels qu'ils soient, avec le patrimoine dans lequel ils se trouvent. De là suit que les questions d'état changent entièrement de nature, quand les héritiers y figurent. Les droits pécuniaires seuls sont en cause; or, ces droits sont dans le commerce, donc ils peuvent faire l'objet de transactions; les héritiers y peuvent renoncer; ils peuvent se désister de leur action, acquiescer; leurs droits sont sujets à prescription.

430. Les principes que nous venons d'exposer reçoivent des modifications en matière de désaveu; nous les ferons connaitre en traitant de l'action en désaveu. Il nous faut noter encore quelques règles spéciales de procédure applicables aux actions qui concernent l'état des personnes. Le préliminaire de conciliation devant le juge de paix, que la loi prescrit pour toute demande principale introductive d'instance, ne doit et ne peut avoir lieu quand l'action porte sur des objets qui ne peuvent être la matière d'une transaction. Telles sont les questions d'état, lorsque l'enfant est partie en cause: elles sont par leur nature dispensées d'un essai de conciliation qui n'aurait aucun but. Il n'en est pas de même quand les héritiers figurent

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