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lité de père que l'on a consenti une fois à porter est irrévocable.» Duveyrier donne la même raison, il importe de la noter Un père qui a souffert près de lui, dans sa maison, sans peine et sans répugnance, ou qui a connu sans indignation l'existence d'un enfant que la loi et la société appellent son fils, est raisonnablement supposé n'avoir pas reçu d'offense ou l'avoir pardonnée; et dans tous les cas, la loi, comme la raison, préfère le pardon à la vengeance (1). »

que

Que faut-il entendre par l'expression sur les lieux et par le mot absent qui lui est opposé? Toullier dit que c'est à dessein que le législateur s'est servi de cette expression vague sur les lieux pour désigner la distance à laquelle on peut ou non ignorer des faits qui intéressent aussi vivement le mari que la grossesse d'une épouse et la naissance d'un enfant. Quant à l'absence, il va sans dire que celui qui est absent dans le sens légal du mot ne peut pas réclamer, puisqu'il y a incertitude sur sa vie; dans l'article 316, l'absence est synonyme d'éloignement; celui qui n'est pas sur les lieux est absent. Toullier remarque avec raison la distance à laquelle il y a éloignement est une question de fait. Le mari qui n'habite pas la commune où est la femme n'est pas sur les lieux; cependant si le lieu où il réside est voisin, si les communications sont faciles, il ne peut raisonnablement ignorer les événements qui arrivent dans sa famille (2). On a demandé comment se calcule le retour. Un arrêt de la cour de Paris décide que le délai, en cas d'absence, ne commence à courir que du moment où le mari est revenu sur les lieux de la naissance de l'enfant ou du domicile conjugal (3). Il nous semble que, dans l'esprit de la loi, il faut considérer le mari comme étant de retour quand il est revenu aux lieux où réside la femme. Le domicile de droit serait celui du mari, mais le domicile peut être très-éloigné de la résidence de la femme, et l'on y peut ignorer le fait de la naissance de l'enfant ;

(1) Exposé des motifs, no 14 (Locré, t. III, p. 88). Duveyrier, Discours, no 18 (ibid., p. 128).

(2) Toullier, Le droit civil français, t. II, no 839, p. 87.

(3) Arrêt de Paris du 9 août 1813 (Dalloz, au mot Paternité, no 135.

or, pour que le délai puisse courir, il faut au moins qu'il soit probable que le mari a connaissance des faits. Quant au lieu où l'enfant est né, il peut être tout à fait accidentel, et la femme peut y être inconnue aussi bien que le mari.

Le délai est aussi de deux mois en cas de fraude; l'article 316 nous dit que la loi entend par là le fait de la femme de cacher la naissance de l'enfant. Donc le délai ne commence à courir que du jour où le mari acquiert la connaissance certaine de la maternité; ce qui est également une question de fait. La cour de Rouen a décidé qu'une demande en rectification de l'acte de naissance dirigée par l'enfant contre le mari ne faisait pas courir le délai, parce que cet acte ne donnait pas au mari une connaissance suffisante de la maternité, à raison des circonstances de la cause; l'arrêt a été confirmé par la cour de cassation (1).

445. Si le mari n'est pas sur les lieux ou si la naissance lui a été cachée, le délai dans lequel il doit réclamer est de deux mois, et il commence à courir à partir du retour ou de la découverte de la fraude. On demande si c'est au mari à prouver qu'il est encore dans le délai? La doctrine est sur ce point en désaccord avec la jurisprudence. Duranton, Zachariæ, Demolombe enseignent que le mari, étant demandeur, doit prouver qu'il est dans le délai exceptionnel que la loi lui accorde, quand il est absent ou que la naissance de l'enfant lui a été cachée (2). La cour de cassation, au contraire, rejette la preuve sur le défendeur, c'est-à-dire sur le tuteur ad hoc (3). A notre avis, la jurisprudence a consacré les vrais principes. Il n'est pas exact de dire que le mari invoque une exception; la loi détermine le délai d'après les circonstances: il est d'un mois quand le mari se trouve sur les lieux, de deux mois quand il est absent ou que la naissance lui a été

(1) Arrêt de la cour de cassation du 25 janvier 1831 (Dalloz, au moPaternité, no 45, p. 176). Comparez, dans le même sens, arrêt de Dijon du 6 janvier 1865 (Dalloz, 1865, 2, 32).

(2) Duranton, t. III, p. 82, n° 86. Zachariæ, t. III, p. 647, note 15. Demot lombe, t. V. p. 136, no 144.

(3) Arrêt du 14 février 1854 (Dalloz, 1854, 1, 89).

DE LA FILIATION.

cachée. Il n'y a là ni règle ni exception, il y a trois dispositions différentes pour trois cas différents. La question est donc celle-ci : faut-il que, dans ces trois cas, le mari prouve qu'il est dans le délai utile? En principe, celui qui intente une action n'a qu'une chose à prouver, le fondement de sa demande. Or, le délai dans lequel la demande doit être formée n'en est pas le fondement; il en résulte seulement une exception qui peut être opposée par le défendeur. Par application de ce principe, il faut décider que le mari n'a pas à prouver qu'il est dans le délai; c'est au défendeur qui lui oppose l'exception de prescription, ou la déchéance résultant de l'expiration du délai, à prouver qu'il est expiré.

446. Nous disons qu'il y a déchéance si le mari n'agit pas dans le délai légal. L'arrêt de la cour de cassation que nous venons de citer le décide ainsi; et cela ne peut faire l'objet d'un doute. Le texte de l'article 316 est impératif, il dit que le mari devra réclamer. S'il ne réclame pas de suite, son silence est considéré comme un aveu de sa paternité; c'est ce que disent les orateurs du gouvernement et du Tribunat. Cela décide la question. La déchéance est-elle encourue si le mari n'a pas agi, parce qu'il ignorait la naissance de l'enfant, bien qu'elle ne lui ait pas été cachée? Le cas peut se présenter quand le mari est absent; si l'absence a duré pendant des années, il peut ignorer l'existence de l'enfant, bien que la naissance ait eu la publicité ordinaire. A son retour, il n'ap prend pas dans les deux mois l'existence de l'enfant. Sera-t-il déchu? D'après le texte, il faut répondre affirmativement. En effet, l'article 316 est absolu, et l'interprète ne peut pas introduire dans le texte une distinction qui ne s'y trouve pas. Toutefois, il nous semble qu'il faut admettre une restriction à cette opinion: si à son retour on ne fait pas connaître l'existence de cet enfant au mari, ne pourra-t-il pas soutenir que la naissance lui a été cachée ? Qu'importe que lors de l'accouchement il n'y ait pas eu de recel, alors qu'à raison de son éloignement il ne pouvait pas en avoir connaissance? A son égard, il y a fraude dès qu'on lui a caché l'existence de l'enfant au moment où

il aurait pu et dû l'apprendre. La question est plus délicate quand le mari est sur les lieux, mais que les époux vivent séparés soit de fait, soit en vertu d'un jugement. Dans ce cas, le mari peut aussi ignorer la naissance et l'existence de l'enfant, quoiqu'il n'y ait eu aucune fraude. Par cela même, le mari est déchu. Cela est contraire à l'esprit de la loi, puisque le silence du mari est un aveu; or, l'aveu ne se conçoit pas si le mari ignore qu'il ait un enfant. Il Ꭹ a lacune dans le code. En France, elle a été comblée, pour la séparation de corps, par la loi du 6 décembre 1850; et sous l'empire de cette loi, il a été jugé que lorsque le mari ignore la naissance de l'enfant, le délai du désaveu ne court que du jour où il en a acquis la connaissance certaine (1).

447. Le mari peut-il désavouer l'enfant avant sa naissance? Un arrêt de la cour de Liége a décidé la question affirmativement, et tel est aussi l'avis de Zachariæ. Nous croyons avec M. Demolombe que c'est une erreur. « Aucune loi, dit la cour de Liége, ne défend à un époux qui voit sa dernière heure approcher de désavouer l'enfant qui est encore dans le sein de sa mère, et pareil désaveu n'a été frappé d'aucune nullité. » Non, il n'y a pas de loi qui le défend, mais les principes les plus élémentaires de droit le défendent. Le désaveu est une action judiciaire, et peut-on agir contre celui qui n'existe pas? Or, l'enfant conçu n'est pas encore une personne. Il est vrai qu'une fiction le considère comme né quand il s'agit de ses intérêts. Mais la fiction doit être renfermée dans les limites pour lesquelles elle est établie : on ne peut pas l'invoquer contre l'enfant conçu. Cela décide la question.

Faut-il que l'enfant réclame ses droits pour que les délais courent? La cour de cassation a jugé que l'action en désaveu peut être exercée contre un enfant qui n'a ni titre ni possession d'état, sans qu'il soit nécessaire d'attendre que cet enfant réclame les droits d'enfant légitime. A notre

(1) Arrêt de la cour de cassation du 9 décembre 1857 (Dalloz, 1858, 1, 132). (2) Arrêt de Liége du 10 fructidor an xIII (Dalloz, au mot Paternité, no 151). Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 303. En sena contraire, Demolombe, t. V, p. 150, no 161.

avis, comme nous l'avons dit plus haut (no 434), ce cas n'est pas celui du désaveu, c'est le cas d'une action en contestation de légitimité. Quant au désaveu proprement dit, il est évident que le mari ne doit pas attendre la réclamation de l'enfant; la loi ne l'exige pas, et le plus souvent la chose eût été impossible, puisque le désaveu doit se faire dans le mois de la naissance.

448. Aux termes de l'article 318, les héritiers ont deux mois pour contester la légitimité de l'enfant. Les héritiers ont donc un délai de deux mois dans tous les cas où il y a lieu à désaveu, tandis que le mari n'a qu'un mois, s'il est sur les lieux. Cette différence est très-juste. Le mari ne peut pas ignorer le fait de sa paternité, une fois que la maternité est certaine; tandis que les héritiers, étrangers à l'intimité des relations qui existent entre époux, peuvent ne pas connaître les faits; ils doivent avoir un temps moral pour prendre des renseignements et se décider ensuite. Le délai ne court qu'à compter de l'époque où l'enfant s'est mis en possession des biens du mari, ou de l'époque où les héritiers seraient troublés par l'enfant dans cette possession. Nous avons dit plus haut quand il y a trouble (no 440).

N° 2. DISPOSITIONS GÉNÉRALES CONCERNANT LES DÉLAIS.

449. Les délais sont d'un ou de deux mois. Comment compte-t-on les mois? Lors de la publication du code civil, le calendrier républicain était encore en vigueur, et par suite les mois comprenaient un espace de trente jours. Le calendrier grégorien a remplacé le calendrier républicain; et il est de jurisprudence et de doctrine que les mois se comptent de quantième à quantième, selon le calendrier grégorien, sans que l'on tienne compte de la durée plus ou moins longue des mois (1).

450. Le délai d'un mois ou de deux est-il une prescription, et faut-il appliquer les principes sur les causes

(1) Merlin, Répertoire, au mot Mois. Zachariæ, t. Ier, § 49, p. 110, et notes 11 et 12.

III.

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