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d'ailleurs, l'état, comme droit moral, n'a pas été l'objet du débat; il ne s'agit que des intérêts pécuniaires qui y sont attachés, et on ne peut pas même dire de ces intérêts qu'ils sont indivisibles. Telle est aussi l'opinion générale, et la jurisprudence l'a consacrée (1).

Nous avons supposé que les tiers auxquels l'enfant oppose le jugement ou qui l'invoquent sont des héritiers du mari, ayant, comme tels, droit de figurer dans le procès en désaveu. Que faut-il décider si ce sont des parents maternels, des héritiers de la femme, lesquels ne peuvent pas désavouer l'enfant? Le jugement a été rendu contre l'enfant au profit de quelques-uns des héritiers du mari : les héritiers de la femme peuvent-ils s'en prévaloir? Non, ce jugement ferait loi pour la famille, si tous les héritiers du mari y avaient figuré, mais tous n'y ayant pas figuré, il ne fait plus loi qu'à l'égard de ceux qui ont été parties en cause. Les autres héritiers du mari ne pourraient pas même l'invoquer, sauf à eux à agir s'ils sont encore dans le délai; à plus forte raison, les héritiers de la femme ne peuvent-ils pas opposer un jugement où ils n'ont pas le droit de figurer. A leur égard, l'enfant conserve son état, tel qu'il résulte de son acte de naissance et de la présomption de paternité. C'est encore l'opinion commune des auteurs (2).

459. Le mari peut-il se désister du jugement qui a admis le désaveu? Il peut sans doute renoncer au bénéfice du jugement en ce qui le concerne, et pour les intérêts pécuniaires qui sont attachés à la légitimité; mais il ne peut pas rendre à l'enfant la légitimité dont le jugement l'a dépouillé. Ce jugement fait loi, et il n'appartient à personne de défaire une loi. D'ailleurs, le jugement a donné des droits à la famille, et le mari ne peut pas les lui enlever. Il y a un arrêt contraire (3), mais cet arrêt n'a pas de valeur doctrinale et il ne peut pas en avoir, les

(1) Arrêts d'Angers du 11 avril 1821 et de la cour de cassation du 28 juin 1824 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 276).

(2) Valette sur Proudhon, t. II, p. 60, note. Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, p. 650 et suiv. Demolombe, t. V, p. 159-161, no 178.

(3) Arrêt de Lyon du 7 février 1839 (Dalloz, au mot Paternité, no 201). En sens contraire, Demolombe, t. V, p. 161, no 181.

principes ne laissant aucun doute sur la question. Vainement dirait-on que le mari a, en principe, seul le droit de désavouer, et que s'il se désiste du jugement, personne n'a plus le droit de contester la légitimité de l'enfant. Cela est vrai, tant qu'il n'y a pas de jugement. Quand le jugement est porté, il fait loi. Cela décide la question.

SECTION III.

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De l'action en contestation de légitimité.

460. Aux termes de l'article 315, la légitimité de l'enfant né trois cents jours après la dissolution du mariage pourra être contestée. L'action par laquelle la légitimité de cet enfant est contestée s'appelle action en contestation de légitimité. Il y a de grandes différences entre cette action et l'action en désaveu. Le désaveu suppose que l'enfant est conçu ou du moins né pendant le mariage; cet enfant a pour lui la présomption de paternité, et elle ne peut lui être enlevée que par une action en désaveu, action que le code circonscrit dans des limites très-étroites, parce qu'il favorise la légitimité. Tandis que la contestation de légitimité suppose que l'enfant né après la dissolution du mariage est aussi conçu depuis ce moment, l'époque seule de sa naissance prouve que cet enfant est illegitime. La loi ne lui devait donc aucune faveur. Aussi l'action en contestation de légitimité n'est-elle pas régie par les principes qui régissent le désaveu : elle reste sous l'empire du droit commun.

Le désaveu ne peut être exercé que par le mari et par ses héritiers. Toute personne intéressée peut intenter l'action en contestation de légitimité. Cette différence résulte du texte et de l'esprit de la loi. Quand le code parle du désaveu, il nomme toujours le mari, et il contient une disposition spéciale pour déterminer dans quel cas, sous quelles conditions les héritiers du mari peuvent désavouer l'enfant (art. 312, 314 et 317). Quand il parle de la contestation de légitimité, il ne nomme personne, donc il n'exclut personne. Cela résulte d'ailleurs de la nature de l'action. Le législateur aurait pu déclarer l'enfant illé

gitime du plein droit, puisque d'après les présomptions qu'il établit sur la durée de la grossesse, cet enfant est réellement illégitime; s'il ne l'a pas fait, c'est qu'il voulait abandonner aux parties intéressées le soin de contester la légitimité de l'enfant. Donc, dans l'esprit de la loi, toute partie intéressée peut contester la légitimité de l'enfant né trois cents jours après la dissolution du mariage. Cela est élémentaire (1).

461. L'action en contestation de légitimité doit-elle être intentée dans les brefs délais qui sont prescrits pour l'action en désaveu? Il a été jugé que le mari divorcé doit agir dans le mois du divorce pour contester la légitimité de l'enfant né trois cents jours après la dissolution du mariage; et que si l'action est intentée après la mort du mari, par ses héritiers, ils doivent agir dans les deux mois (2). Au premier abord, le texte semble favorable à cette décision. Les articles 316 et 317, qui fixent les délais dans lesquels le mari et ses héritiers doivent agir, sont placés après les articles qui parlent du désaveu et de la contestation de légitimité (art. 312-315), et ils sont conçus en termes généraux; l'article 316 emploie le mot vague. réclamer, pour désigner l'action du mari; l'article 317 se sert de la même expression, et pour les héritiers il dit qu'ils auront deux mois pour contester la légitimité de l'enfant. Cependant tous les auteurs s'accordent à dire que l'opinion consacrée par les arrêts de la cour d'Agen et de la cour de cassation est erronée; tous enseignent que les délais établis par les articles 316 et 317 ne s'appliquent qu'à l'action en désaveu, et que l'action en contestation de légitimité reste sous l'empire de la prescription générale de trente ans (3). Le texte n'est pas aussi décisif qu'il paraît l'être. Dans l'article 316, la loi parle des divers cas où le mari est autorisé à réclamer; quels sont ces cas? C'est quand l'enfant est conçu ou né pendant le mariage (art. 312-314); quand l'enfant naît trois cents jours après

(1) Duranton, Cours de droit français, t. III, p. 73, no 75.

(2) Arrêts d'Agen du 28 mai 1821 et de la cour de cassation du 19 novembre 1822 (Dalloz, au mot Paternité, no 153,.

(3) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. V, p. 88, no 88.

la dissolution du mariage, la loi ne parle plus du mari; donc l'article 317 ne s'applique pas au cas prévu par l'article 316. Quant aux héritiers du mari, ils succèdent à l'action de celui-ci; peu importe que la loi se serve de l'expression contester la légitimité, dans l'article 317, en parlant des héritiers; cette expression, de même que le mot réclamation, est synonyme de désaveu; cela résulte à l'évidence de l'article 318, qui emploie la dernière expression pour désigner l'action du mari et de ses héritiers. Il y a une autre considération qui est décisive. L'action en contestation de légitimité peut être intentée par tous ceux qui y ont intérêt, non-seulement par le mari et ses héritiers, mais par tous les parents; si donc le législateur avait voulu limiter l'action en contestation, il aurait dû le faire par une disposition générale embrassant tous les intéressés. Le silence de la loi quant aux parties intéressées qui peuvent contester la légitimité de l'enfant né trois cents jours après la dissolution du mariage, décide la question du délai dans lequel ils doivent agir par cela seul que la loi n'établit pas de délai spécial, on reste sous l'empire du délai général de trente ans. Cela est aussi en harmonie avec l'esprit de la loi. L'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour lui la présomption de paternité, il est en possession de la légitimité, puisqu'il a un acte de naissance qui prouve qu'il appartient au mariage; il s'agit donc de le déposséder en le rejetant d'une famille qui est la sienne: voilà pourquoi la loi veut que le mari agisse dans le plus bref délai; s'il n'agit pas, il reconnaît l'enfant comme sien, et il ne peut plus être question de désaveu. Au contraire, l'enfant né trois cents jours après la dissolution du mariage est illégitime par le fait de sa naissance; d'ordinaire, c'est un enfant posthume, ce sont les héritiers qui agissent; leur intérêt est pécuniaire et régi par les principes qui régissent les droits pécuniaires. Il n'y avait aucune raison de déroger à ces principes en ce qui concerne la prescription.

Nous disons que l'action en contestation de légitimité se prescrit par trente ans, en tant qu'il y a des intérêts pécuniaires en jeu. Si l'état est en cause, le droit de le

contester est imprescriptible. Nous avons dit que l'état, étant hors du commerce, ne peut pas plus s'acquérir que se perdre par la prescription : l'enfant peut toujours réclamer sa légitimité, partant on peut toujours la lui contester (1).

462. Celui qui a reconnu l'enfant comme légitime peut-il encore contester sa légitimité? Le désaveu n'est plus admissible quand le mari a reconnu la légitimité de l'enfant nous en avons dit la raison. Il a été jugé que le même principe s'applique à la contestation de légitimité (2). Et à première vue on n'aperçoit pas de différence, sous ce rapport, entre les deux actions. Il y en a cependant une, et elle résulte de la position différente de l'enfant conçu ou né pendant le mariage et de l'enfant conçu après la dissolution du mariage. Le premier ne réclame pas son état, il l'a, il le possède; seulement le mari peut le rejeter de la famille en le désavouant; mais le désaveu ne se comprend plus là où il y a eu aveu: l'aveu du mari implique que l'enfant est légitime; dès lors il ne peut plus le faire déclarer illégitime. Tandis que l'enfant conçu après le mariage est illegitime, et il n'y a pas d'aveu qui puisse le rendre légitime. Si l'enfant conçu pendant le mariage et avoué par le mari ne peut plus être désavoué, c'est qu'il est conçu légitime; il ne doit donc pas sa légitimité à l'aveu; tandis que l'enfant conçu après la dissolution du mariage et reconnu légitime devrait sa légitimité à cette reconnaissance, si son état ne pouvait plus être contesté; or, la légitimité ne se crée pas, elle est hors du commerce; on ne peut donc pas plus renoncer au droit de la contester que l'on ne peut renoncer au droit de la. réclamer. L'aveu ne pourrait avoir d'effet que pour les intérêts pécuniaires entre parties; il va sans dire qu'i n'en aurait aucun à l'égard des tiers. Aux droits pécuniaires on peut renoncer, quand même ils dépendent de l'état (nos 428, 429), mais cette renonciation ne peut préjudicier aux tiers.

(1) Toullier, t. II, no 834. p. 85.

(2) Arrêt de Douai du 19 janvier 1858 (Dalloz, 1858, 2, 138). Voyez la critique de cette jurisprudence dans Dailoz, au mot Paternité, no 183).

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