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lui reconnaître sous l'empire de notre code. Vainement dit-on que les époux contractent ensemble l'obligation d'élever leurs enfants, comme le dit l'article 203. Induire de là que la mère remplit les fonctions d'un subrogé tuteur (1), cela n'est pas sérieux : la femme, qui doit respect et obéissance à son mari, serait le surveillant de son mari? La loi dit, dans l'article 203, que le devoir d'éducation incombe à la mère aussi bien qu'au père; c'est une conséquence du principe que la mère a la puissance paternelle (art. 371, 372). Mais la loi ajoute immédiatement que le père seul exerce cette autorité durant le mariage; or, l'autorité que la loi donne au père n'est autre chose que le pouvoir d'éducation. Le code consacre donc le pouvoir absolu du père, sans reproduire l'exception que l'ancien droit admettait en faveur de la mère.

Si la mère est sans action, à plus forte raison le conseil de famille ne peut-il pas intervenir. La loi ne donne pas même au conseil de famille le droit de régler l'éducation du mineur quand il a un tuteur; sa seule mission est de fixer la somme que le tuteur peut dépenser pour l'éducation du mineur (art. 454); à plus forte raison est-il sans qualité pour limiter le pouvoir du père. M. Demolombe enseigne le contraire; mais si on lui demande un texte, il répond en citant l'article 511, et cet article parle de l'interdit! Décidément cela n'est pas sérieux.

L'ancien droit donnait action au ministère public. Si, dit Pothier, il se trouvait des père et mère assez dénaturés pour manquer au devoir que la loi et la nature leur imposent, le ministère public pourrait les poursuivre, sur la dénonciation des parents, pour faire ordonner par le juge ce qu'il estimerait convenable d'ordonner (2). Le ministère public pourrait-il encore exercer ce droit sous l'empire du code? Il y a des auteurs qui lui reconnaissent ce droit; d'autres le lui refusent (3). On peut invoquer pour le ministère public l'article 46 de la loi de 1810, aux termes duquel il poursuit d'office l'exécution des lois, dans les

(1) C'est ce que dit M. Demolombe, t. IV, p. 8, no 9. (2) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 384.

(2) Mourlon, Répétitions, t. Ier, p. 367. Demolombe, t. IV, p. 8, no 9.

dispositions qui intéressent l'ordre public. » Certes, s'il y a une loi d'ordre public, c'est celle qui concerne l'éducation des générations naissantes. Mais le sens de la loi de 1810 est l'objet d'une vive controverse, et quand même on admettrait qu'elle donne au ministère public le droit d'agir d'office en matière d'ordre public, il serait très-douteux que ce droit lui appartînt quand il s'agit de limiter la puissance paternelle! Vainement saisirait-il les tribunaux; le juge même serait sans qualité. Nous reviendrons sur ce point au titre de la Puissance paternelle.

La jurisprudence est presque muette sur la question que nous agitons. Nous ne trouvons qu'un seul arrêt sur la matière. Un jeune homme avait commencé des études en médecine, de l'aveu et même par le conseil de son père. Devenu malade, il fut empêché de les continuer; quand il voulut les reprendre, son père refusa l'argent nécessaire. La cour de Bordeaux décida que l'enfant avait action contre son père pour l'obliger à supporter les frais de son instruction. Si, dit-elle, on avait égard au refus du père pour l'affranchir d'obligations qu'il s'est volontairement imposées, on ferait dépendre l'existence morale du fils d'un changement de volonté non motivé. » L'arrêtiste avoue que cette décision, bien que fondée en raison et en équité, ne lui paraît pas légale (1). En effet, le père ne pouvait-il pas répondre qu'il n'avait pas besoin de motiver son changement de volonté, que c'était à lui de décider si son fils devait étudier la médecine ou non. L'arrêt de Bordeaux conduit à cette singulière doctrine qu'en cas de dissentiment entre le père et le fils, c'est au tribunal à ordonner que le fils étudiera le droit ou la médecine. C'est limiter un pouvoir que la loi ne limite pas. Nous ne disons pas que la loi à raison; c'est, au contraire, pour constater qu'il y a lacune que nous avons insisté sur cette question.

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42. Il n'y a qu'un seul cas dans lequel la loi définit le devoir d'éducation. Quand le père a l'usufruit légal, il doit élever les enfants selon leur fortune (art. 385). Cette disposition exceptionnelle confirme la règle. Si l'enfant n'a

(1) Arrêt du 6 juillet 1832 (Dalloz, au mot Mariage, no 611).

pas de biens, quelque riche que soit le père, il peut lui donner l'éducation d'artisan, si tel est son bon plaisir. Ceci est le moindre inconvénient qui résulte du pouvoir absolu du père. L'éducation est le développement des facultés de l'homme; si ses facultés l'appellent à être charpentier, mieux vaut qu'il devienne un bon artisan qu'un mauvais avocat, ou ce qui est pire encore, un oisif. Mais le père aura-t-il aussi ce pouvoir absolu quand il s'agit de l'éducation religieuse de l'enfant? Libre penseur, peut-il l'élever en dehors de tout culte? Sincère catholique, peut-il faire un moine de celui que Dieu avait destiné à devenir un philosophe? Nous reviendrons sur ces questions au titre de la Puissance paternelle.

Il y a une dernière hypothèse. Le père peut ne pas remplir le devoir que la loi lui impose; il peut refuser à son enfant les soins matériels dont il a besoin, il peut lui refuser la nourriture de l'âme. Les tribunaux pourront-ils priver ce père indigne du pouvoir d'éducation? Merlin dit que cela est sans exemple. Lui-même cite cependant quelques arrêts des anciens parlements qui l'ont fait. Le parlement de Toulouse maintint le droit d'éducation à un père qui, marié quatre fois, n'avait rien voulu donner à son fils du premier lit pour le sustenter dans une grande maladie, et n'avait pas même daigné l'aller voir : la cour le préféra néanmoins, pour l'éducation, à l'aïeule maternelle. Cette décision est, pour ainsi dire, la critique et la censure du droit absolu que la loi reconnaît au père. Il y a d'autres arrêts du parlement de Toulouse qui enlevèrent au père le pouvoir d'éducation, à cause des mauvais traitements dont les enfants étaient l'objet dans la maison paternelle. Dans tous ces cas, il s'agissait d'un père remarié. Il est donc vrai qu'il n'y a pas d'exemple que des parents aient été privés du droit que la loi leur accorde d'élever leurs enfants (1). Dans le droit moderne, on devrait, à plus forte raison, le décider ainsi; car nos tribunaux n'ont plus la puissance presque discrétionnaire dont jouissaient les anciens parlements. La seule question que l'on pourrait soulever est celle de savoir

(1) Merlin, Répertoire, au mot Education, § 1, no 4 (t. IX, p. 435 et suiv.).

si le droit d'éducation subsisterait, alors que le père serait privé de la puissance paternelle par sentence judiciaire. Nous y reviendrons. En tous cas, nous signalons une lacune, et nous n'entendons pas approuver le pouvoir absolu du père. Ce pouvoir absolu est un non-sens juridique. Il y a un droit absolu, c'est celui de l'enfant à être élevé; le père a le devoir de veiller à cette éducation; comment un devoir se transformerait-il en pouvoir absolu?

§ II. Des frais d'éducation.

43. L'article 203 dit que les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l'obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants. Il résulte du mot ensemble que le devoir d'éducation, et par suite les frais qu'il nécessite, sont imposés à chacun des époux. A ce titre, les dépenses d'éducation et d'entretien figurent parmi les dettes qui entrent dans le passif de la communauté légale (art. 1409, no 5). Quand les époux sont mariés sous le régime exclusif de communauté ou sous le régime dotal, c'est le mari qui supporte toutes les charges du mariage et par suite les frais d'éducation; la femme y contribue alors par les revenus de ses biens dotaux (art. 1530, 1540, 1549). S'il y a séparation de biens, c'est encore le mari qui paye les frais d'éducation, mais la femme y contribue proportionnellement à ses facultés quand la séparation est judiciaire (art. 1448), et pour un tiers de ses revenus quand la séparation est contractuelle (art. 1537). Sous quelque régime que les époux soient mariés, si le mari n'a pas les moyens de pourvoir à l'éducation des enfants, la femme devra supporter ces frais, au besoin pour le tout. C'est ce que dit formellement l'article 1448, dans le cas de séparation judiciaire. Il en est de même sous les autres régimes; c'est une conséquence du principe posé par l'article 203.

En faut-il conclure que l'obligation d'éducation est solidaire, en ce sens que chacun des époux peut être poursuivi et doit être condamné pour le tout, sauf son recours contre son conjoint? D'après les principes qui régissent la so

lidarité, la question ne souffre pas le moindre doute. Les dettes ne sont solidaires que dans deux cas la solidarité est conventionnelle ou légale. Il ne peut pas s'agir de la solidarité conventionnelle, quoique la loi dise que les époux contractent, par le fait seul du mariage, l'obligation d'élever leurs enfants; le mot contracter n'implique pas ici un contrat proprement dit; et quand même on y verrait un contrat, il n'y aurait pas de solidarité conventionnelle, puisque l'article 1202 dit que la solidarité ne se présume point, qu'elle doit être expressément stipulée. Il y a ensuite la solidarité légale, qui a lieu en vertu d'une disposition de la loi. Il est de principe que la solidarité légale est de droit étroit; sans texte formel, il n'y a point de solidarité. Or, l'article 203 dit bien que les époux sont l'un et l'autre obligés d'élever leurs enfants, il ne dit pas qu'ils sont tenus solidairement des frais. Cela décide la question.

Cependant la jurisprudence admet la solidarité; c'est sans doute une conséquence de la fausse doctrine qui a longtemps prévalu sur la solidarité de l'obligation alimentaire. Nous avons vainement cherché des motifs dans les arrêts qui consacrent la solidarité pour les frais d'éducation; les arrêts condamnent les époux solidairement, comme si la solidarité était un axiome (1). A vrai dire, il règne une confusion étrange en cette matière; les cours confondent la solidarité avec l'obligation qui incombe à chacun des époux, à titre égal, de contribuer aux frais d'éducation et même de les supporter pour le tout. La différence est cependant radicale, et elle est élémentaire. Si les époux étaient tenus solidairement, chacun d'eux pourrait toujours être poursuivi pour le tout et devrait être condamné pour le tout, sauf ensuite à exercer son recours contre son conjoint. Or, d'après les dispositions du code que nous venons de rappeler, il est certain que c'est le mari qui doit étre actionné, puisque sous tous les régimes c'est lui qui supporte les frais d'éducation; et il n'a aucun recours contre sa femme, celle-ci contribuant aux charges

(1) Arrêt de Nimes du 26 juillet 1853 (Dalloz, Recueil périodique, 1853, 2,247).

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