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s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il prétend appartenir. Ces faits sont que l'individu a toujours porté le nom du père dont il se prétend le fils, que le père l'a traité comme son enfant, et pourvu, en cette qualité, à son éducation, à son entretien et à son établissement; qu'il a été reconnu constamment pour tel dans la société, qu'il a été reconnu pour tel dans la famille. Par analogie, il faut dire que la possession d'état d'époux s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent que la cohabitation de deux personnes est l'effet d'un mariage légal. Ces faits sont donc que la femme ait toujours porté le nom d'épouse de celui qu'on dit être son époux, qu'elle ait toujours été traitée comme son épouse; que l'homme de son côté ait toujours porté le nom d'époux de celle qu'on dit être son épouse; que l'un et l'autre aient toujours été reconnus pour époux dans la société, et qu'ils aient été reconnus pour tels dans leurs familles respectives.

La loi 'admet la possession d'état comme preuve de la filiation des enfants légitimes. Pourquoi la repousse-t-elle quand il s'agit de prouver le mariage? Tronchet a expliqué les motifs de cette prohibition. Dans les grandes villes, dit-il, il n'est pas rare de voir des individus qui, sans être mariés, se font, par rapport au mariage, une sorte de possession d'état; quelquefois même ils la confirment. par un contrat de mariage et par les qualités qu'ils prennent dans les actes. Admettre la possession d'état comme preuve du mariage, ce serait donc faciliter et encourager en quelque sorte le concubinage. Quand ce sont les prétendus époux qui demandent à faire preuve de leur union, il y a un motif de plus pour rejeter la possession d'état; ils ne peuvent pas ignorer le lieu où ils ont été mariés, il est donc juste d'exiger d'eux qu'ils représentent l'acte qui a dû être dressé de la célébration de leur prétendu mariage (1).

2. A s'en tenir à la lettre de l'article 194, on pourrait

(1) Séance du conseil d'Etat du 6 brumaire an x (Locré, t. II, p. 355, no 20).

croire que la règle qu'il établit ne s'applique qu'aux époux. On admet néanmoins que ce principe est général, et qu'il reçoit son application aux enfants et à toutes personnes intéressées, aussi bien qu'aux époux. Nous croyons qu'il faut distinguer. S'il s'agit de prouver le mariage, dans le but d'invoquer les effets civils qui en dérivent, il faut que la preuve se fasse par l'acte de célébration, inscrit sur les registres de l'état civil. Cela résulte des principes généraux sur la preuve. Le code Napoléon a tout un titre sur les actes de l'état civil; il veut donc que les faits qui constituent l'état des personnes soient prouvés par les actes que reçoivent les officiers établis à cet effet. Ces actes ne concernent pas seulement les personnes dont ils constatent l'état; ils sont destinés à le prouver à l'égard de la société tout entière. Voilà pourquoi ils sont publics. De là suit que les actes dressés par l'officier civil sont la preuve normale, régulière de l'état des hommes. Il n'y a d'exceptions à cette règle que celles que la loi trouve bon de consacrer.

Ainsi quand l'un des prétendus époux vient à mourir, et qu'un débat s'engage entre les héritiers du prédécédé et le survivant sur l'existence du mariage, les héritiers peuvent-ils exiger que le survivant prouve, par l'acte de célébration, le mariage qu'il allègue? L'affirmative n'est pas douteuse. Vainement le survivant dirait-il que l'article 195 ne regarde que les prétendus époux, comme s'exprime la loi; les héritiers répondraient que le motif de la loi est général; qu'il importe d'empêcher que le concubinage n'usurpe les honneurs et les droits dus au mariage légitime. Veut-on un argument de texte pour combattre le texte des articles 194 et 195? L'article 197 tranche toute difficulté; il ne donne à la possession d'état des prétendus époux l'effet de suppléer à l'acte de célébration que dans le cas où ils sont tous deux décédés, et seulement en faveur des enfants issus de leur cohabitation. Cette exception confirme la règle. La règle est donc que le mariage ne peut se prouver que par l'acte de célébration (1).

(1) Merlin, Répertoire, au mot Mariage, section V, § 2, n° 9 (t. XIX, p. 460).

3. Mais si c'est seulement le fait du mariage qu'il s'agit de prouver, sans que l'état des personnes soit en cause, alors il n'y a plus lieu d'appliquer la règle établie par l'article 194. Le texte même de la loi le prouve. C'est quand le titre d'époux et les effets civils du mariage forment l'objet de la contestation, que le code exige la représentation de l'acte inscrit sur le registre de l'état civil. Si l'on demande simplement de prouver le mariage comme fait, l'on n'est plus ni dans les termes ni dans l'esprit de la loi. Deux époux divorcent par consentement mutuel; par les conventions préalables qui ont été arrêtées entre eux, conformément à l'article 280 du code Napoléon, il est stipulé que le mari payera à la femme une pension qu'elle cessera de toucher si elle vient à se remarier. Le mari divorcé soutient que la femme est remariée; mais il lui est impossible de produire l'acte de célébration parce qu'il ignore le lieu où le mariage s'est célébré. Il défère le serment à la défenderesse. Le mariage, comme fait, peut-il être prouvé par le serment décisoire? La cour de Bruxelles a décidé que le serment pouvait être déféré. Merlin approuve cette décision, et elle est fondée sur les vrais principes. Dans l'espèce, l'état des personnes ne fait pas l'objet du débat, il ne s'agit ni du titre d'époux, ni des effets civils du mariage; il s'agit d'un simple fait. Sans doute ce fait devant. être constaté par un acte, on peut, en général, demander la représentation de cet acte, mais on ne le peut que dans les limites des principes généraux sur la preuve. Or, d'après ces principes, le demandeur ne peut pas être forcé à produire un écrit, quand il lui a été impossible de se procurer une preuve littérale du fait qu'il allègue. La loi l'admet alors à la preuve testimoniale (art. 1348), et à défaut de témoins, il y a lieu d'appliquer l'article 1358 qui permet de déférer le serment décisoire sur quelque espèce de contestation que ce soit (1).

4. Du principe posé par l'article 194, faut-il conclure que l'acte de célébration est requis pour la validité du

(1) Arrêt de Bruxelles du 20 janvier 1807, dans Merlin, Répertoire, au mot Mariage, section V, § 2, no 3 (t. XIX, p. 433).

mariage? Pothier dit que le mariage est parfait par le consentement que les parties se donnent en présence de leur curé, avant que l'acte ait été rédigé. Il s'ensuit, ajoute

t-il, que l'acte n'est pas de l'essence du mariage, qu'il n'est requis que pour la preuve. De là Pothier conclut que lorsque la preuve du mariage par l'acte de célébration devient impossible, il est juste d'avoir recours à des preuves d'une autre nature (1). Ces principes sont aussi ceux de notre législation moderne. Il n'y a aucune disposition du code qui exige l'acte de célébration comme condition de validité du mariage; aucun article ne prononce la nullité du mariage à défaut d'acte. Le silence de la loi en matière de nullité de mariage suffit pour décider la question. Vainement invoquerait-on l'article 194, placé au chapitre des nullités. Cet article ne dit pas que le mariage est nul quand il n'y a point d'acte; il dit que l'on ne peut réclamer le titre d'époux et les effets civils du mariage qu'en représentant l'acte de célébration : ce qui est une question de preuve et non de validité du mariage. Dirat-on que c'est une dispute de mots, que les effets du mariage ne pouvant pas être réclamés quand il n'y a point d'acte, c'est, en définitive, comme s'il n'y avait pas de mariage. Nous répondrons avec Pothier qu'il y a d'autres preuves, et l'article 194 lui-même le dit, en renvoyant à l'article 46. Nous allons voir quelles sont ces preuves.

5. Il y a ici deux ordres d'idées qu'il faut se garder de confondre; la confusion doit être bien naturelle, puisque la jurisprudence et la doctrine s'y sont si souvent trompées. Il faut distinguer les conditions requises pour la validité du mariage, et les conditions prescrites pour la validité de l'acte qui constate la célébration. Y a-t-il des formalités prescrites sous peine de nullité pour la célébration du mariage? Nous avons d'avance répondu à la question. Parmi les formalités qui doivent être observées dans la célébration du mariage, il y en a que la loi sanctionne par la peine de nullité; ce sont celles qui concernent la publicité et la compétence de l'officier civil (art. 191). II

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 378.

y en a d'autres qui doivent être remplies pour que le mariage existe quand le mariage n'est pas contracté devant un officier de l'état civil, quand les parties n'ont pas déclaré consentir en présence de l'officier public, quand celui-ci n'a pas prononcé qu'elles sont unies par le mariage, il n'y a point de mariage (1). Cette doctrine est consacrée par un arrêt de la cour de cassation. Elle a jugé que la déclaration des parties qui constate leur consentement libre et volontaire, et celle de l'officier de l'état civil qui prononce, au nom de la loi, que l'union conjugale est formée, sont des formalités substantielles, sans l'accomplissement desquelles il ne saurait y avoir de mariage. La cour suprême a conclu de là que si l'acte rédigé par l'officier civil mentionne l'observation de ces formalités, et que les parties prétendent qu'elles n'ont pas été remplies, il y a lieu de les admettre à s'inscrire en faux; elle a cassé un arrêt de la cour de Riom qui avait rejeté la demande comme irrelevante (2).

Si les formalités essentielles ont été accomplies lors de la célébration, le mariage est valable, quand même l'acte rédigé par l'officier public n'en ferait pas mention, ou que la mention serait incomplète. Naît alors la question de savoir si l'acte, comme tel, est valable, c'est-à-dire s'il peut servir de preuve. C'est demander si la loi prescrit, pour la rédaction des actes de l'état civil, des formalités qui doivent être observées pour que l'acte existe ou pour qu'il soit valable. Nous avons examiné ces questions au titre des Actes de l'état civil (3); il suffira donc d'appliquer à l'acte de mariage les principes généraux que nous avons posés. La loi ne prononce pas de nullité en cette matière. Il a été jugé que les formalités prescrites sous peine de nullité par la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat, sont étrangères à l'acte de célébration du mariage comme à tout acte de l'état civil (4). C'est le code Napoléon seul qui régit les actes destinés à constater l'état des hommes, et le code

(1) Voyez le tome II de mes Principes, p. 353, no 279.

(2) Arrét du 22 avril 1833 (Dalloz, au mot Mariage, no 567).

(3) Voyez le tome II de mes Principes, p. 33 et suivantes, nos 21-27. (4) Arrêt de Toulouse du 26 mars 1824 (Dalloz, au mot Mariage, no 447).

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