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Or, si, d'après saint Paul, «l'oeil de l'homme n'a jamais vu, l'oreille de l'homme n'a jamais entendu, le cœur de l'homme n'a jamais senti ce que Dieu a préparé à ses élus », quel œil, à moins qu'il ne soit spécialement soutenu de Dieu, pourra pénétrer jusque dans cette immensité de la nature divine, où, de toute éternité, vivent trois personnes infinies, le Père, le Fils et le SaintEsprit; quelle oreille pourra entendre les paroles ineffables qu'elles prononcent, quelle langue osera les redire et mêler ses paroles à leurs paroles, quel esprit entreprendra d'élever ses pensées jusqu'à leurs pensées ? Il le faut cependant, puisque là est la souveraine beauté, la souveraine majesté, a souveraine vérité, la vie infinie, l'ordre infini, la société infinie, la source éternelle de tout ce qui est, le principe et la fin de tout, mais surtout le principe et la fin de cette politique chrétienne, pour ne pas dire divine.

Non-seulement il le faut, mais encore cela est salutaire, æquum et salutare. L'enfant qui commence à parler gagne les bonnes grâces de son père ou de sa mère en bégayant sculement, en murmurant des noms chéris qu'il ne peut encore ni prononcer ni comprendre. Qui ne sait quel charme inexprimable ont pour les parents les premières paroles de leur enfant?

Or, nul n'est père autant que Dieu, nemo tam pater quam Deus, et par conséquent nul ne prend plus de plaisir à s'entendre nommer par ses enfants. Dieu aime nos paroles. Lui-même parle devant nous, afin de nous apprendre ce qu'il faut dire et comment il faut le dire. Aussi dans cette haute matière, la plus grande, la plus sublime, la plus mystérieuse de toutes, ce ne sont pas

les paroles de l'homme dont nous nous servirons, ce seront, autant qu'il sera possible, les paroles mêmes de Dieu. Tout ce que nous dirons, c'est de lui que nous l'aurons appris. Nous ne ferons, il est vrai, que bégayer; mais tout en bégayant nous dirons les plus hautes vérités, nous prononcerons des noms qui de toute éternité retentissent au sein de la nature divine : « vous êtes mon fils, c'est aujourd'hui même que je vous ai engendré. » — « Père, glorifiez votre fils afin que votre fils vous glorifie à son

tour. >>

Eh bien! ces noms plaisent à Dieu, ils nous plaisent aussi à nous-mêmes, et tout enfants que nous sommes, nous voulons, nous aussi, glorifier le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ce que nous dirons n'a pas d'autre objet gloria Patri et Filio et Spiritui sancto, sicut erat in principio et nunc et semper, et in sæcula sæculorum. Amen. Que de fois le chrétien n'a-t-il pas prononcé ces paroles qu'il mêle si souvent à ses prières, ou ces autres par lesquelles il les commence ou les finit :

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » En prononçant ces paroles, que fait-il ? il parle une langue divine, il prononce des noms éternels, les trois seuls noms qui soient éternels; il fait plus, ces noms, il les glorifie, et en trois mots il résume tout ce que nous allons dire et tout ce que nous allons faire

CHAPITRE II

De l'existence de Dieu

« Il faut, nous disait déjà saint Paul dans un des livres précédents, que celui qui veut s'approcher de Dieu croie d'abord fermement qu'il existe. » Oportet accedentem ad Deum credere quia est. Non-seulement nous voulons nous approcher de Dieu, mais nous voulons entrer en quelque sorte en lui, nous lancer à pleines voiles dans cet océan sans rivages, contempler cette éternelle société des personnes divines, dire leurs noms, raconter leur généalogie, leur hiérarchie, leurs relations, l'union ou plutôt l'unité qui les identifie en une commune nature, la distinction et même l'opposition qui les empêche de se confondre en une seule personne. De plus, sur cette société première, éternelle, incréée, nous voulons asseoir la base inébranlable de toutes les sociétés créées, en dériver l'origine, la forme, le mode, les lois, la fin. Or, tout ce travail serait vain si nous n'étions auparavant fermement persuadés de l'existence

de Dieu. Qu'est-ce, en effet, que la société éternelle des divines Personnes s'il n'y a pas de Dieu ? qu'est-ce que la vérité éternelle, l'ordre éternel, la justice éternelle, la loi éternelle, la fin éternelle qui sont le bien, la vie des sociétés créées, s'il n'y a pas de Dieu? rien, sinon des illusions s'engendrant d'une première illusion, des impostures peut-être prenant leur source dans une autre imposture.

Jamais il ne fut donc plus nécessaire qu'en ce moment de croire fermement à l'existence de Dieu, credere quia est. Commençons donc dès le début de cette partie si capitale de la politique chrétienne par établir solidement cette existence et par mettre ce dogme fondamental de toutes les sciences à l'abri de toute discussion.

:

« Je suis celui qui suis, dit Dieu à Moïse, et voici ce que vous direz aux enfants d'Israël Celui qui est m'a envoyé vers vous » : « Ego sum qui SUM. Sic dices filiis Israël qui EST misit me ad vos (Exod. III, 14).» Voilà sans doute l'affirmation la plus simple, la plus nue de l'existence de Dieu. Eh bien ! cette affirmation est en même temps la preuve la plus forte et la plus triomphante de cette existence, car si Dieu eut su un moyen plus efficace, plus certain de se faire connaître, sans doute il l'eut employé.

Les uns demandent si l'existence de Dieu a besoin d'être prouvée et d'autres si elle peut l'être. Oui, l'existence de Dieu a besoin d'être prouvée, car l'homme est une intelligence mobile, oublieuse, sujette à se répandre sur les choses sensibles et à y perdre l'intelligence des choses supra-sensibles et immatérielles pour lesquelles elle est cependant créée. L'homme ne voit pas Dieu

comme il se voit lui-même, comme il voit ses semblables: et les objets sensibles, en un mot comme il aime à voir. Bien plus, depuis le péché, loin de se porter de luimême vers Dieu, l'homme, à l'exemple d'Adam, le pre-mier pécheur, semble plutôt le fuir. C'est Dieu qui est obligé d'aller à lui et de lui dire: Adam, où êtes-vous? Si Dieu n'eût appelé Adam après son péché, Adam fût-il retourné vers lui? C'est douteux, tant la présence et même tant la pensée de Dieu est importune aux pécheurs. Il faut donc parler souvent de Dieu à l'homme, et lui en rappeler l'existence, la lui prouver même, si l'on veut.

Mais, pour être démontrée, l'existence de Dieu a-t-elle besoin d'un appareil formidable d'arguments? Non, car pour cette démonstration le mot le plus simple et le plus bref, l'affirmation la plus nue et la plus dépouillée de toute emphase suffisent. Je suis celui qui suis; quoi de plus simple? quoi de plus bref? et cependant quoi de plus triomphant ?

Nul n'ignore que l'homme est en même temps intelligence, conscience et chair ou sens. Eh bien! par cet ordre triple de facultés, la connaissance de Dieu fait irruption dans l'homme où elle pénètre pour ainsi dire par tous lespores. Prononcez seulement devant l'homme ce mot qui dans toutes les langues est à la fois le plus grand et le plus bref, puisque dans toutes il est un simple monosyllabe, ce simple mot: DIEU; soudain par ce nom sacré, comme par un soleil, l'entendement est illuminé, la conscience est remuée, et les sens eux-mêmes sont émus « cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum; au seul nom du Dieu vivant, dit David, mon cœur et mes sens ont tressailli de joie.

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