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concessionnaires, en vue de rémunérer des travaux ou services publics exécutés par eux dans l'étendue de la concession.

L'article 9 du décret de concession ne permet cette rémunération qu'à charge d'entretien desdits travaux par les concessionnaires. Nous lisons encore à l'article 4 du projet du Sénat :

Il (l'acte de concession) relatera également toutes les obligations qui auront été imposées aux concessionnaires, soit pour faciliter les communications et favoriser l'entrée et la circulation des marchandises et des produits français.

Nous remarquons que le titre III du décret de concession, qui détermine le prix et les conditions de la concession, ne parle ni de bateaux à construire ni de subventions pour la création de nouveaux postes de douanes ou l'établissement de lignes télégraphiques. Ce sont là autant d'obligations nouvelles et non des moins onéreuses que l'ouvre de la Commisssion consultative a imposées aux concessionnaires; et pourtant, ces derniers n'en retirent aucun des avantages dont il est parlé à l'article 11 du projet du Sénat; bien plus, les charges résultant du service de la navigation à vapeur sont encore augmentées: 1o par un droit de réquisition presque absolu des bateaux, dévolu à l'Administration locale, -nous en parlerons plus loin; 2° par le transport gratuit de la poste; 3o par le transport à un prix réduit des fonctionnaires et agents, ainsi que des approvisionnements et du matériel de l'Administration et de l'Etat; 4o par des amendes de 10,000 à 20,000 francs en cas d'inexécution de certaines obligations du service de navigation.

L'article

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du projet du Sénat dit aussi :

Il (l'acte de concession) stipulera, s'il y a lieu, la redevance à payer par le concessionnaire.

On voit qu'il n'est question ici que de la redevance, et non des redevances, encore avec une restriction, car il est dit s'il y a lien de la payer, par exemple :

Si la concession offrait des avantages importants, l'Etat pourrait exiger une redevance fixe ou un tant pour cent à prélever sur les bénéfices de l'entreprise.

La Commission consultative a imposé, dans tous les cas, non pas une, mais plusieurs redevances; elle a, de plus, stipulé en faveur de l'Etat une quote-part de 15 0 0 dans la répartition des bénéfices des Sociétés.

Toutes les redevances sont exigibles, quel que soit le résultat financier des opérations des Sociétés; le projet du Sénat disait, au contraire, que la redevance ou le tant pour cent ne devait être exigé que dans le cas de réalisation de bénéfices par l'entreprise. (Voir plus haut.) Il n'est pas admissible que la ruine d'une Société puisse être déterminée par les exigences de l'État, alors qu'il est directement intéressé à leur réussite. Ce serait aller à l'encontre du but poursuivi.

Ajoutons que les délais accordés pour le paiement des redevances commencent à courir dès la date du décret de concession, avant la formation des Sociétés exploitantes, avant la mise en possession des territoires concédés, avant qu'on ait eu le temps de faire parvenir à destination, sur les territoires concédés, le personnel, les marchandises d'échange; sans qu'il soit tenu compte, en aucune manière, des causes d'avaries, des retards, des naufrages, d'aucun cas de force majeure.

Disons aussi que, parfois, l'Administration du Congo a été la première à retarder et à entraver les opérations des Sociétés. Nous pouvons donner un exemple de cette manière de faire en citant la réquisition du vapeur Koningin- Wilhemina appartenant à une maison hollandaise.

Ce bateau, qui transportait les premières marchandises envoyées par la Société du Baniembé, fut réquisitionné en cours de route, sans aucun droit, le 13 février 1900, par M. le Commissaire général de Lamothe. Les marchandises transportées furent débarquées dans un lieu quelconque, abandonnées, et ne purent parvenir à leur destination qu'après plusieurs mois de retard et des avaries nombreuses. Le résultat de cette réquisition illégale fut de reculer d'autant l'entrée en campagne des agents de la Société du Baniembé qui durent se croiser les bras, n'ayant aucune des marchandises nécessaires pour le commerce d'échanges, le seul pratiqué au Congo.

L'article 12 du projet de loi de la Commission du Sénat était ainsi conçu :

Si une force de police était reconnue indispensable pour assurer la sécurité intérieure du territoire concédé, l'organisation de cette force devra obtenir l'assentiment du Gouvernement; les principaux agents seront agréés par lui et il pourra toujours exiger leur remplacement.

Le cahier des charges est complètement opposé à ce principe, que, pour notre part, nous considérons dans son application comme très pratique et très libéral. Nous reviendrons sur ce suje

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dans le chapitre relatif à la milice, quand nous parlerons de l'insuffisance des postes de police et des moyens d'y remédier.

Par l'article 19 du cahier des charges, les concessionnaires sont tenus de:

Concourir à l'établissement des postes de douanes rendus nécessaires par les opérations qu'ils comptent effectuer.

On a agi bien différemment à l'égard des maisons élrangères; on ne leur a demandé aucune redevance lorsque, sur leur demande, le droit d'établir des entrepôts fictifs leur fût accordé, bien qu'il dût en résulter des charges pour la colonie, ce qui faisait écrire par le Ministre ce qui suit:

L'autorisation donnée à ces maisons d'établir un entrepôt particulier entraînera nécessairement un surcroît de travail pour le poste de douanes de Glass. A cet effet, le personnel de ce poste sera augmenté d'un nombre d'agents pouvant suffire aux exigences de ce nouveau service. (Bulletin officiel du Congo, tome II, page 28.)

Pour n'avoir pas accordé, avec aussi peu de frais, les mêmes facilités aux Sociétés concessionnaires ?.....

Au contraire, l'administration du Congo leur demande d'acquitter la contribution à eux imposée, sans les consulter sur la nécessité de la création de nouveaux postes et, ce qui paraîtra certainement inadmissible, avant même de les avoir établis.

L'article 20 du cahier des charges dit :

Les concessionnaires ne pourront, pour refuser le paiement, arguer de préjudices qu'ils auraient éprouvés du fait de l'Administration ou de toute autre cause, la redevance étant due par eux et exigible à la date indiquée, sans pouvoir être compensée ni atténuée par les indemnités, remises, frais de transports, etc... qu'ils croiraient être en droit de réclamer à l'Etat ou à la colonie.

Cet article est une nouvelle preuve à l'appui de l'appréciation que nous avons formulée plus haut; à savoir que la Commission consultative n'a pas considéré les entreprises des Sociétés au point. de vue d'une œuvre de colonisation à encourager et à protéger, mais comme une « affaire ». S'il en eût été autrement, comment concevoir que le cahier des charges donne à l'Administration locale le droit d'exiger d'une Société le paiement de la redevance annuelle, mettons 10,000 francs, alors qu'elle est redevable à cette même Société de 5, 10 ou 20,000 francs peut-être!... C'est tout simplement exorbitant, et, qui plus est, peut paraître illégal!... L'article 1290 du Code civil dit, en effet :

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--

La compensation s'opère de plein droit, par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs, etc...

Ce n'est certainement pas pour le plus grand bien des intérêts. des Sociétés que la Commission des concessions a dérogé à ce principe.

De son côté, l'Administration du Congo n'hésite pas à sortir de la légalité pour amener à composition ceux qu'elle considère, à tort ou à raison, comme ses débiteurs.

En voici un exemple: Quelques Sociétés ayant refusé de payer le montant de la contribution pour l'établissement des postes de douanes, parce que ces postes étaient encore à créer, question dont le règlement est porté devant le Conseil d'État, M. Grodet, sans attendre le jugement de ce Tribunal, fit défense au Trésor d'acquitter les mandats-poste envoyés de France auxdites Sociétés !...

Que penser aussi de ce fonctionnaire qui, ayant entendu parler d'un arrêté que derait prendre M. le Commissaire général du Gouvernement pour interdire aux mêmes maisons l'expédition de leurs marchandises en France, voulait appliquer l'arrêté en question avant même d'en avoir reçu officiellement communication !...

On se plaint parfois que nos fonctionnaires coloniaux manquent d'initiative!... En voilà un, au moins, qui n'encourra pas un semblable reproche !... Le fait ci-dessus fut porté à la connaissance du Ministre des Colonies sous la forme d'une lettre dont nous extrayons ce qui suit:

Le steamer La France est venu chercher les quatre-vingt-un sacs caoutchouc. Désireux de l'expédier, je suis allé trouver le remplaçant de M. Saint-Joseph, Trésorier, et l'ai prié de vouloir bien me montrer l'arrêté du Gouverneur interdisant la sortie des produits. N'ayant pu me faire voir aucun ordre de ce genre, je lui ai demandé de motiver son refus par lettre, ce qu'il n'a pas voulu faire. « Je connais l'arrêté, me dit-il, mais je ne l'ai pas encore reçu officiellement... »

Nous avons appris que M. le Ministre avait câblé à M. le Commissaire du Gouvernement de vouloir bien cesser de semblables pratiques, qui s'écartaient de tous les règlements et de toutes les lois.

Le dernier article du cahier des charges que nous tenons à signaler est l'article 29:

Les concessionnaires s'engagent à ne réclamer aucune indemnité ni la Colonie, ni à l'Etat, en raison de dommages qu'ils pourraient éven tuellement éprouver par le fait soit de l'insécurité du pays, soit

l'émeute ou de la révolte des indigènes, soit de la guerre avec une puissance étrangère.....

On ne pouvait pas dire plus clairement aux Sociétés qu'elles n'auraient à compter que sur elles mêmes si, par suite d'insurrection, de guerre, etc..... leurs établissements étaient pillés, leurs agents massacrés; si, enfin, tout ce qu'elles possèdent était irrémédiablement détruit et perdu. C'est véritablement montrer un trop grand détachement du résultat des entreprises congolaises. L'article 29 donne bien la note exacte des sentiments qui ont animé la Commission des concessions, de ceux auxquels elle a obéi; c'est la pierre de touche des idées et de l'esprit qui lui ont inspiré le cahier des charges.

A ne considérer que le chiffre de la fortune publique engagé au Congo, lequel s'élève à plus de cent millions de francs, les entreprises des Sociétés méritaient qu'on adoptât des dispositions plus libérales, sinon pour leur permettre de réaliser des bénéfices certains, comme le dit expressément l'article 6 du projet de la Commission du Sénat, tout au moins pour prévenir la perte totale, sans recours possible, de tout leur capital social.

Nous n'ajouterons qu'un mot à la comparaison que nous avons établie entre le projet de la Commission du Sénat et celui de la Commission des concessions, c'est pour regretter que le cahier des charges n'ait pas été rédigé avec une précision telle qu'il ne puisse donner lieu à des interprétations différentes; surtout pour la date du paiement des redevances !

Le Gouvernement s'était pourtant déjà trouvé en présence de difficultés résultant de l'interprétation d'autres cahiers des charges; il était donc prévenu!... Il ne pouvait ignorer que celui imposé au premier, au plus ancien par conséquent des concessionnaires. africains, M. Albert Cousin, avait obligé ce dernier à s'adresser à toutes les juridictions pour arriver à se faire rendre justice, et que si, en fin de compte, il avait obtenu gain de cause, ce n'était qu'après six ans de lutte et d'efforts. M. Albert Cousin a prouvé, et ceci vient à l'appui de ce que nous démontrerons plus loin, que l'Administration interprète souvent mal les cahiers des charges, parce qu'elle n'envisage que ses droits et néglige les obligations corrélatives qui lui incombent.

Voici, au surplus, ce que la grande expérience de M. Albert Cousin lui permettait d'écrire avant qu'une seule concession ait été accordée au Congo:

C'est à tort que les concessions coloniales sont considérées par certaines personnes comme étant une faveur. Elles constituent un

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