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moyen employé par l'Etat pour mettre en valeur des pays qui sont devenus en réalité sa propriété; elles ne sont qu'un marché conclu entre propriétaire et exploitant. Si les droits et obligations des deux contractants ne sont pas très nettement déterminés, les plus grands avantages stipulés au profit du concessionnaire peuvent être annihilės par une interprétation rigoureuse ou erronée que l'Etat ferait d'une concession mal définie. Bien plus, la concession peut devenir un leurre...

L'indication sur les cartes géographiques des territoires concédés donne des illusions aussi bien à l'Etat qu'au concessionnaire. L'Etat est de bonne foi, il croit bien avoir accordé une concession octroyant des droits, et le concessionnaire est persuadé que ceux-ci sont largement la contre-partie de ses obligations. Mais, en réalité, tous deux sont dans l'erreur si les agents de l'Etat n'interprètent pas d'une façon libérale les clauses du contrat.

A la même époque et sous la signature de M. Flourens, ancien Ministre des Affaires Étrangères, nous trouvons ce qui suit :

Il faut définir avec précision à quelles conditions toute Société acquiert la faculté d'obtenir une concession dans nos colonies afin que les concessionnaires n'apparaissent plus comme les bénéficiaires d'une faveur gouvernementale, mais comme les collaborateurs indispensables de l'œuvre de mise en valeur du domaine colonial dont les efforts doivent être, en toute circonstance, soutenus et encouragés par l'Administration tout entière, car de leur prospérité dépend l'avenir et la prospérité de la colonie.

Quoique exprimée en d'autres termes, nous trouvons la même idée dans le passage suivant des instructions ministérielles du 24 mai 1899:

Les dispositions du cahier des charges ont été librement consenties entre deux parties ayant l'une et l'autre des intérêts distincts, mais en réalité solidaires; entre l'administration coloniale désireuse de mettre en valeur nos possessions du Congo et des particuliers prêts à tenter les aléas d'entreprises toujours incertaines dans l'espérance légitime de faire fructifier leurs capitaux... Vous devez considérer, en ce qui vous concerne, que non seulement le succès des exploitations projetées intéresse au plus haut degré l'avenir de la colonie, mais encore qu'il doit avoir en France un écho retentissant, et que cette répercussion, mieux que toute œuvre de propagande, peut contribuer au développement général de notre empire colonial. (Article 4.)

Le Ministre qui a signé ces instructions, M. Guillain, a montré ainsi qu'il avait la notion la plus exacte, les vues les plus justes en matière de colonisation. Les Sociétés concessionnaires regrettent que le soin de veiller à la stricte application des mesures qu'il avait ordonnées ait été placé entre les mains de fonctionnaires. plus soucieux de leur tranquillité que de l'avenir d'entreprises coloniales devant concourir à la grandeur et au prestige de la France.

CHAPITRE IV

DÉCRET DE CONCESSION ET CAHIER

DES CHARGES

Répression des usurpations. - CirOrganisation de la main-d'œuvre par

Généralités. Privilège d'exploitation et de jouissance exclusive accordé aux concessionnaires. - Régime forestier. culaire Lemaire du 15 juillet 1900. l'impôt de capitation.

Nous abordons la partie la plus importante de notre étude; celle qui a trait à la détermination des droits et des avantages accordés aux concessionnaires ainsi qu'à la répression des actes d'usurpation du privilège octroyé par le décret de concession.

Il est une assertion que rien ne saurait détruire ni même contredire; c'est que les concessionnaires paient à l'Etat des redevances et se soumettent à des obligations en vue d'être assurés de la libre, paisible et exclusive jouissance d'un droit d'exploitation sur les territoires indiqués au décret de concession.

S'il en était autrement, s'il était reconnu que les tiers ont le droit de s'approprier, en achetant directement ou indirectement aux indigènes, des produits récoltés sur les territoires concédés, ce serait la négation du privilège accordé aux Sociétés par le décret de concession; ce serait dire à ces dernières qu'elles ont fait un marché de dupe! les droits des tiers qui ne paient aucune redevance à l'Etat étant égaux à ceux des concessionnaires qui en sont surchargés!...

En second lieu, si l'Etat s'apercevait aujourd'hui, soit par suite des réclamations qui lui sont adressées, soit par un examen plus attentif de l'Acte de Berlin, qu'il ne pouvait accorder aucun privilège d'exploitation agricole ou qu'il y aurait lieu de le restreindre, il serait tenu, en conséquence, à une diminution équivalente des charges qu'il a imposées.

Puisqu'il n'en est pas ainsi et que les obligations sont exigées avec la plus grande rigueur, nous sommes, avec juste raison,

fondés à prétendre que le décret accorde aux concessionnaires, dans leur acception la plus large, le droit de jouissance exclusive et le privilège d'exploitation des terrains concédés.

L'article premier du décret de concession s'exprime comme suit :

Le concessionnaire est autorisé (sous les réserves dont nous parlerons plus loin) à s'établir dans les territoires désignés pendant une durée de trente années, et à y exercer tous droits de jouissance et d'exploitation.

La concession est un véritable bail consenti par l'Etat pour une durée de trente ans.

L'article premier du cahier des charges dit à son tour:

La concession a pour but l'exploitation agricole, forestière et industrielle des terres domaniales situées dans le territoire défini par le décret de concession. Les concessionnaires auront, pendant toute la durée de la concession, la jouissance des terrcs concédées avec tous les droits qui en résultent.

Les instructions ministérielles du 24 mai 1899 (article 8) viennent compléter ces deux textes:

L'avantage que l'Administration s'est engagée à assurer au concessionnaire et, pour celui-ci, de jouir seul du domaine concédé est d'être seul à en recueillir les fruits.

Enfin, le passage suivant des instructions ministérielles du 30 novembre 1900 ne laisse planer aucun doute sur la nature et l'étendue du privilège accordé :

L'ensemble des produits du sol appartient au concessionnaire.

A défaut des textes si précis que nous venons de citer, les concessionnaires pourraient faire valoir leurs droits en se basant sur les dispositions du décret forestier du 28 mars 1899; il est dit à l'article 2:

Nul ne peut entreprendre une exploitation forestière dans les bois du domaine s'il n'est muni d'une autorisation.

De par le décret de concession, l'autorisation ci-dessus a été accordée à tous les concessionnaires pour l'exploitation forestière des terrains concédés. L'Administration du Congo ne pourrait accorder aucune nouvelle autorisation d'exploiter tout ou partie de ces territoires sans s'exposer à une demande de dommages et intérêts de la part des concessionnaires.

L'article 6 comprend dans l'exploitation forestière :

La récolte des écorces tannifères ou tinctoriales, des gomines, résines, caoutchouc et gutta-percha.

L'article 15 ordonne :

Qu'à défaut d'agents du service forestier, la recherche des infractions au régime forestier sera exercée par les officiers de police judiciaire.

Malheureusement, ce décret est resté jusqu'ici à l'état de lettre morte. Sur la proposition de M. le Commissaire du Gouvernement, qui signala à l'attention du Département certaines difficultés pouvant résulter de la mise en vigueur immédiate dans l'étendue intégrale de la colonie des dispositions ci-dessus, un nouveau décret, daté du 9 septembre 1899, stipule que des arrêtés du Commissaire général détermineront les régions dans lesquelles le régime forestier doit être appliqué.

Quoique ce dernier décret ait été publié au Congo le 28 octobre 1899, il n'est pas à notre connaissance que l'Administration ait pris une décision pour en ordonner la mise en vigueur dans aucune région de la colonie. Il ne faudrait pas, cependant, que l'on fit comme à la Réunion, où l'on a attendu pour appliquer la loi que les forêts fussent détruites.

Le concessionnaire lésé dans son droit de jouissance n'a d'autre moyen pour faire respecter ses droits que de faire constater par un procès-verbal le préjudice qui lui est causé, puis de déférer ce procès-verbal au tribunal compétent. Dans la pratique, ce mode de répression est absolument illusoire !... Il ne viendra jamais à l'idée d'un agent ou d'un directeur de factorerie de faire appeler un administrateur ou un chef de poste, dont la résidence est presque toujours éloignée, dans le but de lui faire constater un délit commis par un nègre; puis ensuite de se transporter à Libreville ou Brazzaville pour se présenter devant le tribunal compétent!... ce serait une perte de temps et d'argent sans compensation appréciable.

Il y a donc mieux à faire !... Ce serait, par exemple, pour les Sociétés qui en feraient la demande, de mettre en vigueur le décret forestier sur l'étendue de leur concession et d'en faire surveiller l'application par des gardes assermentés.

Nous apprenons que l'Administration s'est préoccupée de cette

situation. Un projet pour l'organisation de gardes particuliers est

à l'étude (?).

L'article 6 des instructions du 24 mai 1899 dit :

La mise en possession une fois effectuée, il peut arriver que le concessionnaire soit troublé dans l'exercice de son droit de jouissance du fait de l'Administration.

M. Guillain a vu juste. L'Administration du Congo, à qui incombait l'obligation de faire respecter les droits des concessionnaires, a été la première à y porter atteinte.

Nous en trouvons la preuve dans la circulaire du 15 juillet 1900 de M. Lemaire, p. i. Commissaire général du Gouvernement, accordant aux indigènes la faculté d'acquitter l'impôt de capitation par la fourniture de produits du sol, d'ivoire et de caoutchouc, etc. Malgré les protestations réitérées des concessionnaires qui soutenaient, avec raison, qu'une semblable autorisation était de nature à leur causer un très grave préjudice, et que, de plus, elle incitait les indigènes au vol et au pillage des concessions en leur demandant à titre d'impôt des produits qu'ils ne pouvaient récolter que sur les territoires concédés et non sur les réserves qui leur étaient attribuées, l'Administration locale du Congo a fait la sourde oreille !...

Les instructions ministérielles du 30 novembre 1900 étaient cependant des plus précises:

Si l'on considère que l'ensemble des produits du sol appartient aux concessionnaires, ceux ci peuvent prétendre que la perception de l'impôt en nature précité constituera une diminution des avantages qui leur ont été conférés, en les privant, au profit de la Colonie, d'une partie des richesses de la concession. Leurs prétentions à cet égard seraient évidemment discutables, mais il est préférable de ne pas aller jusqu'à un conflit.

On peut dire que, dans cette dernière phrase, le Ministre reconnaissait implicitement le bien fondé des réclamations des concessionnaires.

L'Administration du Congo n'ayant pas tenu plus de compte des instructions ministérielles que des plaintes des Sociétés, ces dernières se sont alors adressées au Département qui leur a accordé un commencement de satisfaction.

Voici en quels termes le Ministre des Colonies a répondu à la dernière réclamation que lui avait adressée à ce sujet l'Union Congolaise Française:

En ce qui concerne la question de la main-d'œuvre et du paiement de

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