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l'impôt en nature; il m'a paru possible d'envisager une solution qui ne peut que donner satisfaction à la fois aux intérêts des Sociétés concessionnaires, et à ceux de la Colonie, qui sont comme vous l'indiquez intimement liés.

J'ai été amené, en effet, à considérer que le seul moyen que nous possédions de déterminer peu à peu les indigènes au travail était d'instituer dans la Colonie d'une façon définitive le régime de capitation payé

en nature.

Je prie M. le Commissaire général du Gouvernement au Congo d'étudier les moyens de réaliser auprès des Sociétés concessionnaires la transformation en numéraire de l'impôt ainsi perçu dans les territoires concédés.

Nous ignorons si les propositions de M. le Commissaire général sont parvenues au Département, mais nous sommes bien certain. que le Ministre n'a pris encore aucune décision!...

Nous connaissons cependant l'opinion de M. le Gouverneur du Congo par une lettre qu'il a adressée le 8 juin dernier au directeur d'une Société concessionnaire; il s'exprime comme suit :

Il ne vous échappera pas que, dans la valeur du produit apporté à l'agent de l'Administration, il n'entre encore en ce moment qu'un élément constitutif de sa valeur intrinsèque, que la main-d'œuvre qui l'a recueilli et transporté. Or, cette valeur, ne peut-on légitimement établir qu'elle appartenait à l'indigène ?... C'est son travail et la valeur de son travail qu'il livre à l'Administration en échange de la protection qu'il reçoit.

L'Administration ne fait ensuite aucune objection à la cession qu'elle ferait elle-même de ce produit au concessionnaire du territoire sur lequel il aurait été recueilli et cette cession serait en toute équité consentie au tarif du moment et du lieu.

L'opinion de M. le Commissaire général du Gouvernement, en ce qui concerne la valeur à attribuer au caoutchouc au moment où l'indigène le remet à l'Administration locale ne nous paraît pas exacte.

En effet, le prix de ce produit est déterminé, non pas par un seul, mais par deux éléments. M. le Commissaire général du Gouvernement semble oublier que l'un d'eux, l'achat des bois précieux, des écorces tannifères, des résines, du latex, etc., a été payé d'avance un prix global par les concessionnaires, sous forme de redevances et d'obligations de toute nature.

La même main-d'oeuvre peut être employée à la récolte de ces divers produits et cependant ils n'ont pas la même valeur. Leur différence de prix ne provient pas uniquement du temps plus ou moins long nécessité pour la coupe, la récolte ou la préparation des produits, mais surtout de la valeur intrinsèque de la matière pre

mière, bois, écorces, sucs, etc... C'est précisément en raison de ces deux éléments, dont l'un est la propriété incontestable du concessionnaire et l'autre le résultat du travail de l'indigène, que les Sociétés exigent que le produit industriel leur soit remis; mais ne font aucune difficulté pour reconnaître que la main-d'œuvre qui a récolté le latex et opéré sa transformation en caoutchouc doit être rémunérée. Aussi, les Sociétés consentent-elles à payer le caoutchouc au prix de la main-d'oeuvre, mais de la main-d'œuvre seulement, sur lequel l'Administration locale (c'est son affaire, puisque c'est elle qui reçoit le caoutchouc) remboursera à l'indigène une partie du prix qu'elle aura reçu du concessionnaire. La différence entre la somme donnée à l'indigène et celle remise par les Sociétés constituera le bénéfice de l'Administration locale; elle percevra ainsi l'impôt de capitation.

Nous croyons devoir insister sur un point, car le dernier passage que nous avons cité de la lettre de M. le Commissaire général du Gouvernement pourrait être interprêté dans un sens autre que celui que nous lui avons donné.

Nous le répétons, par « cession au tarif du moment et du lieu », nous comprenons cession au tarif de la main-d'oeuvre de la région, dont le prix peut, évideinment, varier selon le moment et le lieu.

L'organisation de la main-d'oeuvre par l'impôt de capitation payé en nature, ainsi qu'espère y arriver M. le Ministre des Colonies, ne rencontrerait aucune opposition de la part des concessionnaires, croyons-nous, si l'Administration du Congo se conformait aux deux principes que nous venons de poser, savoir rétrocession obligatoire du caoutchouc à la Société qui a la concession du territoire sur lequel le caoutchouc a été recueilli; paiement du produit au prix de la main d'œuvre.

Il va de soi, que si les indigènes apportaient directement aux concessionnaires le caoutchouc récolté de leur propre initiative, on devrait le leur payer comme à l'Administration; les indigènes auraient donc tout intérêt à le céder aux concessionnaires, ces derniers l'achetant à son prix réel, c'est-à-dire à celui de la maind'œuvre, sans aucune retenue pour l'impôt.

CHAPITRE V

DES RÉSERVES EN GÉNÉRAL

Réserves provenant des stipulations de l'Acte général de Berlin. - Droits acquis par les tiers au moment de la promulgation du décret dans la Colonie. — Arrêté du 26 septembre 1891, Autorisations dont les tiers doivent justifier. L'Administration locale doit faire connaître les autorisations qu'elle a accordées. Inertie de l'Administration du Congo. Réserves indigènes.

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Les réserves dont il est parlé à l'article premier du décret de concession proviennent:

1o Des droits résultant pour les tiers et des obligations résultant pour les concessionnaires des stipulations des Actes généraux de Berlin et de Bruxelles en date des 26 février 1885 et 2 juillet 1890;

2o Des droits acquis par les tiers au jour de la promulgation du décret de concession dans la Colonie ;

3o Des réserves indigènes.

L'article premier de l'Acte général de Berlin dit :

Le commerce de toutes les nations jouira d'une complète liberté : 1. Dans tout le territoire constituant le bassin du Congo et de ses affluents (suit la description de ce bassin.)

Article 2. -- Tous les pavillons, sans distinction de nationalité, auront libre accès à tout le littoral des territoires énumérés ci-dessus, aux riviėres qui s'y déversent dans la mer, à toutes les eaux du Congo et de ses affluents, y compris les lacs.

Article 5.-Toute nation qui exerce ou qui exercera des droits de souveraineté dans les territoires susvisés ne pourra y concéder ni privilège, ni monopole d'aucune sorte en matière commerciale.

Les étrangers jouiront indistinctement, pour la protection de leurs personnes et de leurs biens, l'acquisitiou de leurs propriétés mobilières et immobilières et pour l'exercice des professions, du même traitement et des mêmes droits que les nationaux.

Les maisons étrangères invoquent cet article pour prétendre qu'elles ont le droit, aussi bien que les concessionnaires, sur toute l'étendue des territoires concédés terrains réservés ou non de vendre et d'acheter aux indigènes tout ce 'que ces derniers veulent bien leur échanger.

Les concessionnaires disent, au contraire, que certaines opérations de ces maisons, faites par l'intermédiaire des traitants, portent atteinte au privilège qui leur a été accordé par le décret de concession. Il semblerait, en conséquence, que le conflit résulte de dispositions incompatibles insérées sur l'un et l'autre Acte. Il n'en est rien pourtant!... La liberté de commerce proclamée par l'Acte de Berlin subsiste tout entière; elle n'est ni contrariée, ni restreinte par le privilège d'exploitation agricole, forestière et industrielle accordé par le décret de concession.

Les concessionnaires, en effet, ne contestent pas aux étrangers le droit de commercer, leur droit de vendre aux indigènes, de leur acheter des vivres ; mais ils s'élèvent énergiquement contre l'achat du caoutchouc qui pourrait être récolté sur les concessions, parce que cette récolte porte atteinte au respect de la propriété d'autrui, au droit pour celui qui la possède de jouir et de disposer de tout ce qu'elle produit; ils s'appuient sur le principe de notre droit civil qui dit : la vente de la chose d'autrui est nulle, pour s'opposer aux opérations des traitants, concernant l'achat du caoutchouc aux indigènes, comme aussi l'achat de l'ébène et autres bois précieux. C'est donc en s'appuyant sur des principes de droit commun, observés par toutes les nations civilisées, que les concessionnaires résistent aux prétentions des maisons étrangères. La question de la liberté du commerce trouve ainsi une solution plus facile, dans la constatation d'un droit de propriété et la preuve de l'illégalité d'une vente, que dans l'interprétation de l'Acte de Berlin.

Disons, en passant, que, malgré toute l'attention que nous avons apportée à la lecture de ce document, nous n'avons pas réussi, carte et texte en mains, à nous rendre compte exactement des limites du bassin conventionnel dans la région du Niari.

Mais, peu importent les limites de ce bassin, les arguments à opposer aux maisons étrangères s'appliquent indistinctement à tous pour proscrire l'achat du caoutchouc, aussi bien sur les concessions situées dans l'étendue du bassin conventionnel que sur celles qui n'en font pas partie.

Nous avons dit que notre argumentation portait sur le fait que cette opération constituait une atteinte au droit de propriété et, en second lieu, que le caoutchouc devait être considéré comme la chose d'autrui.

Nous devons établir le bien fondé de ces deux assertions en établissant :

1o Le droit de propriété de l'Etat sur les territoires concédés ; 2o Que le caoutchouc, les bois, etc., vendus par les indigènes doivent être considérés comme la chose d'autrui.

A. - Droit de propriété de l'État. - Nous ne discuterols pas le point de savoir si la propriété du domaine colonial appartient plutôt à la Colonie qu'à l'Etat ; c'est ce dernier qui a accordé les concessions en vertu de décrets dont la légalité n'est pas contestée; nous faisons de même !...

Ceux qui voudront approfondir la question si importante de la propriété du domaine colonial pourront se renseigner utilement en se reportant aux ordonnances du 26 janvier et du 17 avril 1825; aux débats auxquels leur interprétation donna lieu en 1845, lorsque le Gouvernement résolut d'affranchir les noirs attachés aux propriétés domaniales; enfin, ils seront complètement éclairés par la lecture des documents ayant trait à la détermination du domaine de l'Etat en Nouvelle-Calédonie et à la Guyane (décrets des 16 août 1894, 10 avril 1897 et 15 novembre 1898).

Le régime établi par ces décrets repose sur les principes suivants les terres vacantes et sans maître font partie du domaine de l'État ;... la Métropole en retient la propriété, mais elle en abandonne les revenus au pouvoir local pour faire face aux dépenses de la colonisation.

Pendant longtemps, le Gouvernement s'est peu préoccupé du règlement de la question du domaine colonial au Congo; nous voyons en effet qu'un arrêté local réglant le mode d'aliénation des terrains de ce domaine, daté du 27 septembre 1891, soumis à cette époque à l'approbation ministérielle, n'a reçu aucune réponse favorable ou défavorable du moins nous n'avons rien trouvé concernant la demande qui en avait été adressée au Département. Il faut venir jusqu'en 1899, jusqu'au décret du 28 mars, pour connaître la solution qui y fut donnée par le Gouvernement. Dans ce décret, l'État affirme son droit de propriété, il règle le mode d'aliénation des biens, il précise ses pouvoirs de surveillance et de tutelle sur l'administration du domaine. Ces principes sont conformes à ceux des décrets de 1897 et de 1898, applicables, comme nous l'avons dit, à la Nouvelle-Calédonie et à la Guyane.

On doit distinguer, dans le domaine colonial du Congo, le domaine public du domaine privé. Le caractère du premier est l'inaliénabilité, il est affecté à tous et à l'usage de tous... tels sont

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