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connaître l'effectif de ces quatre compagnies dont la solde et l'entretien sont laissés à la charge du budget du Congo, ce qui est absolument contraire aux vues du Parlement.

Le personnel européen de la milice se compose de un commandant, seize inspecteurs, quinze gardes principaux ; en tout trentedeux personnes chargées de l'administration et du service intérieur.

Les chefs de détachement sont tenus de déférer aux ordres des délégués du Commissaire général, des commandants de région ou de cercle, en ce qui concerne le service général, c'est-à-dire la défense et la sécurité de leur région, la police, etc... Tous les ordres doivent être donnés par écrit lorsqu'il s'agit de répression ou même de simple démonstration; ils doivent en outre indiquer le but à atteindre.

L'effectif présent de la milice est bien loin d'atteindre celui fixé par l'arrêté du 15 février 1900; mais, en admettant qu'il soit au complet, et sans tenir compte qu'il y a quatre Compagnies détachées au Chari au lieu de deux, nous faisons remarquer que les régions les plus dépourvues de postes, celles de la Sangha et de l'Oubangui, sont cependant les plus reculées de la Colonie comme aussi celles où la suprématie et l'autorité françaises ont été établies le plus récemment. Sur un effectif de 1,500 hommes, il n'en est affecté que 450, c'est-à-dire moins du tiers, pour une partie du pays dont la superficie est supérieure à plus de la moitié de celle de la colonie tout entière.

Nous apprenons que M. le Commissaire général du Gouvernement vient de de réduire le nombre de l'effectif des postes de milice du Haut-Oubangui. Le besoin d'équilibrer son budget aurait conduit M. Grodet à prendre cette mesure que nous considérons comme très dangereuse. On dit même que l'effet de cette réduction n'a pas tardé à se faire sentir: déjà des convois ont été attaqués, des factoreries pillées. Il en a éte de même dans la région de l'Ogooué où les Pahouins ont attaqué le poste N'Djolé dont l'effectif avait été réduit à 12 miliciens au lieu de 60 qui en assuraient la sécurité autrefois. Les insurrections débutent toujours ainsi !...

Un arrêté du 30 novembre 1897 a institué une seconde force de police sous le nom de « gardes régionaux ».

Ce corps indigène, d'un effectif maximum de 120 hommes, dont 14 gradés, doit être réparti dans les divers postes de la colonie;

il est placé sous les ordres directs des administrateurs, il est destiné à leur donner des moyens d'action leur permettant d'exercer une surveillance active et d'assurer le service dans les pays placés sous notre autorité. (Arrêté, considérants.)

Nous trouvons ce moyen d'action plus qu'insuffisant!...

Les obligations des Sociétés en ce qui concerne leur participation aux frais occasionnés par l'établissement et l'entretien des postes de milice diffèrent:

1o Elles sont nulles lorsqu'il s'agit des postes établis avant l'arrivée des Sociétés dans la Colonie;

2o Les Sociétés sont tenues de fournir gratuitement le logement pour l'installation des postes nécessaires à la sûreté de la colonie. (Instructions, art. 17);

3o Les postes destinés à assurer la police générale du territoire (Instructions, article 18), pourront être installés sur des terrains repris au besoin (sans aucune indemnité) aux concessionnaires ;

4° Tous les frais résultant de l'établissement et de l'entretien des postes réclamés par les Sociétés sont à la charge de ces dernières quand il s'agit de postes réclamés par les Sociétés pour assurer la protection de leurs établissements. (Instructions, art. 16.)

Le faible effectif de la milice n'a pas permis à l'Administration du Congo d'établir tous les postes nécessaires pour que son influence se fasse sentir efficacement sur toute l'étendue de la Colonie; bien des régions échappent encore à sa domination!... Aussi constate-t-on que l'esclavage et l'anthropophagie continuent à s'étaler au grand jour !... Les mêmes pratiques barbares, les mêmes coutumes sanguinaires, les mêmes sacrifices humains. s'exercent aujourd'hui comme par le passé à la mort des chefs et dans certaines circonstances déterminées.

Pour qu'on ne nous accuse pas d'exagération, nous allons citer quelques faits que le journal officiel de la colonie nous a révélés :

C'est chez toutes (ces peuplades), le cannibalisme universellement répandu dans la région, ancré dans les mœurs, indéracinable. Il constitue souvent le mobile unique de guerre de village à village, plus ou moins dissimulé sous d'autres futiles prétextes. Dans tous les cas, lorsque se produit une de ces sanglantes collisions, l'ultime destinée des prisonniers, des morts et des blessés n'est point douteuse. Leur passion pour la chair humaine est poussée à ce point qu'ils repêchent dans la rivière, pour les dévorer, des cadavres en pleine décomposition et déterrent des corps depuis longtemps ensevelis. (Journal officiel, 15 juillet 1900.)

Les Zandés vivent tapis dans la brousse, sans cesse poursuivis, traqués et chassés comme des bêtes fauves...

La peine d'emprisonnement est inconnue et pour la moindre peccadille le châtiment suprême est prononcé avec une facilité déconcertante... Le décès d'un chef est l'occasion d'épouvantables hécatombes de femmes et d'esclaves. (Journal officiel du Congo, 15 septembre 1900.) La chair des esclaves tués est partagée entre les Bazinguères (guerriers) et les habitants des villages voisins.

Aussitôt la guerre terminée, une sélection est faite parmi les prisonniers. Ceux reconnus assez valides, sont répartis comme esclaves entre les divers villages. Les autres sont réservés et constituent la ration de viande fraîche des Bazinguères. Nul n'est épargné, ni les femmes ni les enfants...

A l'entrée de la zéribah de Bangassou, se trouve un grand arbre. Lors de mon passage, plus de trois cents cranes fraîchement dépouillés s'y balançaient à la brise, au milieu du feuillage. Ce sont des anthropophages raffinés, des gourmets en leur genre ; ils ne se contentent pas de manger accidentellement de la chair humaine quand les hasards de la guerre leur en fournissent l'occasion, mais réservent des prisonniers pour cette fin exclusive et les soumettent, dans ce but, à un régime spécial. Ils se dévorent entre eux, entre gens du même village. Les vieillards qui ont été à même d'établir la comparaison manifestent une préférence marquée pour la chair blanche, plus savoureuse et plus salée que la chair noire... (Journal officiel du 15 août 1900.)

Dans son rapport sur le budget des colonies, M. le Myre de Vilers, en parlant du Congo, s'exprime ainsi :

On pourrait citer des postes où des quartiers d'hommes ont été promenės sous les fenêtres des fonctionnaires avant d'être distribués et mangés.

Ainsi, il est bien reconnu, bien avéré, que le mal existe, mais aussi que l'Administration est impuisante à le réprimer!... Est-il permis de penser que l'obligation inscrite à l'article 10 du décret, ainsi conçue:

Les agents des concessionnaires signaleront à l'Administration les actes contraires à l'humanité dont ils seront les témoins.

constitue un moyen de répression ?... L'illusion serait vraiment par trop forte !...

Il semble qu'il y aurait un remède tout indiqué pour s'opposer à de pareils excès et les réprimer... ce serait d'augmenter le nombre des postes!... On se heurte alors à une difficulté budgétaire !... Le Congo est pauvre; il ne peut même, dans l'état actuel de ses finances, maintenir les postes existants; il est donc bien empêché de songer à en créer de nouveaux.

Une semblable constatation doit pénétrer les concessionnaires de cette idée c'est qu'ils ne doivent rien attendre de l'Administration, en tant que protection effective, autre que celle, notoirement insuffisante, qui leur est assurée par les postes actuellement établis. Elle n'a rien fait, mais ne pouvait pas beaucoup faire pour eux; nous entendons parler au point de vue matériel, car, comme influence et protection morale, elle pouvait beaucoup plus, puisqu'elle n'a rien tenté. Aussi, malgré toutes les assurances formelles données aux Sociétés, la protection et l'appui qui leur ont été promis resteront, pour longtemps encore, à l'état de lettre. morte dans les instructions du Département.

Les conséquences qui résultent de cette situation ont été nettement indiquées par M. le Myre de Vilers dans son rapport sur le budget des colonies:

Nous avons pris l'engagement moral d'administrer régulièrement le territoire. En ne le faisant pas, nous nous exposerions à des réclamations fondées et même à des demandes de dommages et intérêts. (Page 187.)

Si l'Administration ne fait rien, parce qu'elle ne peut rien faire, elle devrait au moins laisser faire !...

... en traitant les agents des Sociétés comme des collaborateurs........ comme le lui prescrivent les instructions (art. 4); elle devrait les associer à son œuvre de civilisation. Mais comment ?...

Le moyen est des plus simples !... Il consiste à donner aux représentants des Sociétés les pouvoirs de police que l'Administration locale est impuissante à exercer elle-même.

Cette question soulève de nombreuses controverses. Les principales objections sont tirées du fait que le maniement d'une force de police par les concessionnaires constituerait un abandon entre leurs mains d'une part de la souveraineté de l'Etat ; enfin, on fait surtout ressortir les dangers d'abus que l'on aurait à redouter.

Il est facile de réfuter ces deux objections. Est-ce que les gardes particuliers, en France, jouissant du droit d'arrêter, de dresser des procès-verbaux, d'être crus sur parole devant les tribunaux, ne constituent pas une force de police indépendante de l'Etat?... Est-ce que dans nombre de nos villes il n'existe pas non plus une force de police souvent importante dont dispose la municipalité et que le représentant de l'Etat ne peut que réquisitionner quand il en est besoin ?...

Quel danger l'Administration du Congo verrait-elle donc à donner

des attributions de police aux Ponel, aux Fondère, aux Superville et à bien d'autres ?... Hier encore, ils étaient fonctionnaires !... et aujourd'hui, parce qu'ils sont au service d'une Société concession naire, ils ne seraient plus dignes d'être investis d'aucune parcelle d'autorité ?... Le baptême ministériel serait-il donc si peu efficace qu'il ne leur reste, dans leurs nouvelles fonctions, aucune trace des qualités qui leur étaient reconnues jadis ?...

Peut-on contester que le directeur d'une Société qui a donné des preuves de ses aptitudes, dont l'expérience résulte d'un long commerce avec l'indigène ne pourrait remplir les attributions de police confiées à des jeunes gens n'ayant souvent que la connaissance de textes administratifs, aucune pratique, et pour toute recommandation que les quelques années passées dans une école ou dans les bureaux du ministère ?... De quel côté sont les meilleures garanties d'une conduite prudente et sage vis-à-vis des populations?... Et quand il y aurait excès ou abus, le Gouvernement ne possède-t-il pas les moyens de réprimer l'un et l'autre, puisqu'il a le droit de provoquer la révocation du représentant d'une Société pour un motif d'ordre public ?... L'article 11 du décret de concession lui donne le droit de l'exiger!...

Le représentant de la Société concessionnaire devra être agréé par le Ministre des Colonies qui pourra, après avis du Gouverneur, exiger son remplacement pour un motif d'intérêt public...

Nous sommes bien loin de demander que tous les directeurs de Sociétés soient investis de fonctions policières; elles ne devraient être attribuées qu'à ceux d'entre eux dont les établissements sont trop éloignés des postes établis, et seulement pour les régions qui échappent au contrôle direct des administrateurs ou du moins des postes dont la situation hiérarchique du chef justifie les fonctions qui lui sont confiées. Des arrêtés du Gouverneur détermineraient le rayon d'action des postes établis en dehors desquels les représentants des Sociétés pourraient exercer certaines attributions de police.

L'Administration ne perdrait rien de son prestige; bien plus, quand elle viendrait à la suite des concessionnaires, au fur et à mesure de leur pénétration effective dans le pays, elle trouverait un terrain bien préparé pour compléter l'œuvre de civilisation qu'ils n'auraient pu qu'ébaucher avec leurs moyens réduits.

L'article 12 du projet de la Commission du Sénat admettait le principe que certaines forces pourraient être placées sous l'auto

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