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verts; on pouvait ajouter que les nombreux comptoirs établis à la 'Côte ne pouvaient rien créer, qu'ils ne pouvaient s'y livrer qu'à des opérations de troc ne constituant qu'un moyen insuffisant de colonisation.

Ses adversaires, partisans du statu quo, ou seulement des concessions de petite étendue, disaient qu'il serait injuste de concéder les régions alimentant le commerce des factoreries, que ce serait la ruine de celles-ci; que, d'autre part, ce serait aller au-devant d'embarras sérieux, car beaucoup d'étrangers possédaient des établissements sur les territoires à concéder et protesteraient auprès de leur Gouvernement.

Le Ministère des Colonies, à cette époque (1889), était favorable au principe de la création de grandes compagnies pour s'en servir comme d'auxiliaires dans l'œuvre de colonisation à accomplir. Pour réaliser cette idée, il était indispensable de la faire accepter par l'opinion publique en présentant l'œuvre des grandes Compagnies à créer, non comme une opération financière, mais comme une entreprise d'intérêt général.

Dans le but de préparer les esprits à cette idée, M. Jules Roche, Ministre des Colonies, sous l'inspiration de M. Etienne, soussecrétaire d'Etat, institua une commission administrative chargée de l'étudier. Celle-ci formula un projet qui fut soumis à l'examen du Conseil supérieur des Colonies.

Sur le rapport favorable de cette Assemblée, le Gouvernement déposa sur le bureau du Sénat, le 16 juillet 1891, un projet de loi basé sur le principe de la création de grandes Compagnies privilégiées, en vue de coloniser et de mettre en valeur les territoires situés dans les possessions françaises ou placées sous l'influence de la France.

Les changements ministériels qui se produisirent de 1891 à 1894 arrêtèrent dans sa marche l'action du Sénat; le projet de 1891 fut, en fait, abandonné.

La question ne fut reprise qu'en 1896, par M. André Lavertujon, sénateur, qui, en son nom personnel, déposa une proposition de loi sur la «< constitution de Compagnies privilégiées de colonisation ».

Une Commission de dix-huit membres, parmi lesquels nous relevons les noms de MM. de Freycinet, Constans, de Marcère, Trarieux, anciens ministres, et ceux de MM. Allègre, baron de Lareinty, Isaac, ayant une expérience et une autorité indiscutables en matière coloniale, examina la proposition de M. Lavertujon.

Les modifications qui y furent apportées, ainsi que le nouveau texte de loi proposé, sont présentés et discutés dans un volumineux rapport portant la date du 12 juillet 1897.

Ce rapport, qui résume les idées et les vues générales de la Commission du Sénat, témoigne d'une étude approfondie et consciencieuse de la question, en même temps qu'il établit la compétence de son auteur, M. Pauliat, sénateur, en matière de colonisation.

Malheureusement, ce travail ne servit à rien !..... Le projet de la Commission du Sénat, pourtant si bien conçu et si complet, n'eut jamais l'honneur de figurer à l'ordre du jour de la Haute Chambre.

Il était indispensable de prendre une décision, car c'est peu de temps après le dépôt du rapport de la Commission du Sénat que se produisit le « rush » colonial qui porta bon nombre de nos compatriotes à solliciter des concessions.

Par un décret du 16 juillet 1898, rendu sur la proposition de M. Trouillot, Ministre des Colonies, fut instituée une Commission, dite « Commission consultative » (1), chargée d'examiner et de donner son avis sur toutes les demandes de concessions concernant les possessions d'outre-mer, le Département en avait déjà reçu plus de trois cents à cette époque.

Nous parlerons plus loin du rôle et de l'action de cette Commission dans l'oeuvre des entreprises congolaises.

Pendant de longues années, et presque jusqu'en 1898, les colonies françaises de la Côte occidentale d'Afrique n'ont été, pour ainsi dire, que des comptoirs établis sur le littoral.

Le commerce français n'y était représenté que par quelques maisons importantes des ports de Bordeaux et de Marseille, monopolisant à la fois les transports et les échanges. Par une sorte d'entente tacite, Bordeaux, à l'exclusion de Marseille, n'étendait pas son rayon d'action beaucoup plus loin que la Guinée, il tirait du Sénégal ses principales richesses; tandis que, plus au sud, en allant vers l'équateur, Marseille y régnait sans partage.

C'était le temps des opérations fructueuses sans grand peine !...

(1) Cette Commission se composait de vingt membres dont un conseiller d'Etat, président, un inspecteur général des Finances, cinq maîtres des requêtes au Conseil d'Etat ou conseillers référendaires à la Cour des Comptes, les directeurs au Ministère des Colonies, le directeur de l'Office national du Commerce extérieur, trois membres du Comité des travaux publics aux Colonies, deux secrétaires et un secrétaire adjoint.

Le commerçant, installé à proximité du port de débarquement, n'avait qu'à attendre, tranquillement assis derrière son comptoir, l'arrivée des caravanes lui apportant, à époque fixe, les belles pointes d'ivoire, les gommes, l'huile, etc., en échange desquels il donnait quelques perles de verre ou des coquillages (cauris) sans valeur, un peu de fil de laiton, quelques mètres d'étoffes grossières, etc... Il n'y avait pas, ou très peu de concurrence, aussi les bénéfices étaient-ils assez élevés; mais on se gardait bien d'en parler!...

Ces opérations, des plus rémunératrices pour les particuliers, n'étaient pas également profitables au commerce national. Les statistiques officielles, le rapport de la Commission du Sénat, celui de M. Le Myre de Vilers sur le budget des colonies (1900), établissent que le mouvement commercial de nos colonies, soit à l'importation, soit à l'exportation, a toujours accusé la suprématie du commerce étranger sur le commerce français.

On a constaté également que l'ancien commerce n'a fait nulle part œuvre de colonisation. On peut dire qu'il n'a entrepris aucun travail d'utilité publique, créé aucun port, ouvert aucune voie de pénétration.

Les conditions commerciales dont nous venons de parler n'imposaient à ceux qui s'y livraient que l'obligation de construire des magasins, des maisons d'habitation, et non de créer à grands frais des établissements industriels ou des exploitations agricoles. Cette constatation permet de se rendre compte des raisons pour lesquelles le gros commerce de Bordeaux et de Marseille est resté étranger au mouvement qui a abouti à la délivrance des concessions, pourquoi les grandes maisons de ces ports, qui ont conservé cependant leurs comptoirs de la Côte d'Afrique, n'en ont pas demandé pour elles-mêmes.

Ces maisons parurent indifférentes aux premières concessions accordées en 1889, tant en Casamance qu'aux îles Tristao. Elles pouvaient espérer ne se trouver en présence que d'entreprises isolées, vouées à un échec quasi certain, ou, pour le moins, dont le peu d'importance ne devait les gêner aucunement. Mais, quand elles eurent connaissance des premiers résultats heureux obtenus par la Compagnie de la Casamance, elles se sentirent menacées et résolurent d'agir.

Les premières hostilités, contre les concessions et les concessionnaires, furent engagées en 1891 par le Conseil général du Sénégal. Cette Assemblée n'était qu'un instrument entre les mains.

des maisons de Bordeaux - leurs représentants à Saint-Louis, ou leurs obligés, en composaient la majorité.

La solution de cette première affaire ne fut donnée qu'en 1898 par un arrêt du Conseil d'Etat, tout favorable d'ailleurs à la Compagnie de la Casamance; mais, en attendant, d'autres concessions étaient accordées.

Elles ne concernaient pas uniquement des territoires d'Afrique. Nous les récapitulons ci-dessous en y comprenant celles qui avaient été données en 1889:

1° Concession de la Casamance à M. Albert Cousin (14 août 1889);

2° Concession des îles Tristao à M. Gaston Faidherbe (26 décembre 1889);

30 Concession des salines du lac Assal à M. Chefneux (4 août 1892);

4o Pêcheries du cap Blanc (10 mai 1893);

50 Concession des îles Kerguelen (31 juillet 1893);

60 Concession Verdier à la Côte d'Ivoire (21 octobre 1893);

70 Concession Daumas au Congo (17 novembre 1893);

80 Concession du Fernand-Vaz à la Société d'Études et d'Explorations du Congo (30 juillet 1894);

90 Concession du Rio Compony à la Société Flers-Exportation (20 août 1894);

10° Concession des îles Saint-Paul et Amsterdam (20 août 1894). Les concessions Verdier et Daumas furent vivement critiquées; non, comme on pourrait le croire, au moment de leur délivrance, mais seulement deux ans plus tard, en 1895; ce qui s'explique à la rigueur par le peu de publicité qui leur fut donnée. Les doléances du commerce des ports de Bordeaux et de Marseille, auxquelles vinrent s'ajouter les réclamations justifiées de quelques colons français, vraiment sacrifiés en l'espèce, furent d'autant plus écoutées que la passion politique se mit de la partie. Les concessions Verdier et Daumas furent révoquées par le Ministre des Colonies d'alors, M. Chautemps.

Le Conseil d'Etat fut saisi de la question; il donna tort au Ministre. Celui-ci fut obligé de transiger et d'accorder des compensations à ceux dont il avait méconnu les droits.

Les protestations contre les concessions accordées à MM. Verdier et Daumas, les débats retentissants qui eurent lieu à ce sujet, tant à la Chambre qu'au Sénat (Chambre, séances du 2'mars et du 27 juin 1895; Sénat, 5 avril 1895), eurent un résultat bien diffé

rent de celui qu'on pouvait prévoir; ce fut de jeter dans la masse du public des idées qui ne devaient pas tarder à y germer. Il ne manquait qu'une étincelle pour rallumer une ardeur, pour faire revivre et déterminer tout un mouvement de renaissance de notre ancienne expansion coloniale qui, depuis Richelieu jusqu'à la fin du XVIIe siècle, avait fait de la France la première nation d'Europe sous le rapport de la colonisation.

Ce phénomène se produisit vers 1897, lorsqu'on apprit la réussite des entreprises de colonisation et d'exploitations agricoles tentées dans l'Etat Indépendant; car, pendant que nous discutions sur le meilleur système à adopter pour mettre en valeur nos colonies, les Belges avaient agi!...

Nous apprenions, non sans étonnement, que les opérations de nos voisins, si décriées à leur début, réalisaient des bénéfices importants.

Ce fut alors un véritable engouement!... Les capitaux qui, jusqu'alors, s'étaient montrés aussi sceptiques que réfractaires aux entreprises coloniales, s'offrirent pour y participer. Le Congo devint à la mode!... Chacun désirait avoir un morceau plus ou moins grand de ce merveilleux pays, en vue de s'y livrer à des opérations qui devaient être - on n'en doutait nullement aussi rémunératrices sur la rive droite du Congo, où flotte le pavillon français, que sur la rive gauche qui appartient aux Belges.

Ce mouvement fut spontané, irréfléchi!... On ne se demanda pas si les opérations qu'on ne faisait pourtant qu'entrevoir rencontreraient, chez nous, des conditions tout aussi favorables que dans l'État Indépendant; et si le succès des Belges, succès incontestable après cependant plusieurs années d'efforts stériles, ce qu'il était important de ne pas perdre de vue, n'était pas dû, pour la plus grosse part, à la ténacité, aux encouragements, à l'appui matériel et moral donnés à ces entreprises par le roi Léopold, plutôt qu'à la richesse propre du territoire!... On n'approfondit rien de tout cela!...

Le Gouvernement ne pouvait rester indifférent à ce mouvement d'opinion sans s'exposer aux plus vives critiques!... Il dut, sans plus attendre, aller de l'avant et accorder des concessions.

La colonie du Congo fut choisie comme un premier champ d'expériences. Avec une connaissance approximative de la topographie du pays, et principalement des régions à attribuer aux futurs concessionnaires, on se livra sur la carte du Congo à un travail de répartition forcément défectueux, étant données les conditions de

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