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substance, si redoutée des gens du monde, impressionna péniblement l'auditoire: magistrats, jurés et public.

Delanglard fit alors demander au président quelle a été la préparation mercurielle employée. Du mercure pur, fut-il répondu, du vif-argent, du mercure à baromètre.

Delanglard ayant instruit le président du caractère inoffensif de cet agent métallique, celui-ci manda le docteur Guérard et lui demanda s'il avait conservé quelques souvenirs du séjour de la malade dans les salles de son service. Ce praticien consulta les cahiers de service et ne trouva rien dans ses prescriptions qui pût faire supposer une fausse couche ou une perte utérine. Le séjour à l'hôpital avait été très-court et la médication trèssimple.

Le président demanda alors à Guérard si le mercure à l'état métallique peut produire l'avortement. Sa réponse négative vint confirmer l'opinion qu'avait émise Delanglard et le procès changea de face immédiatement. Les trois témoins furent arrêtés séance tenante et la femme fit bientôt des aveux complets. Le prévenu fut acquitté.

De pareils faits n'ont pas besoin de commentaires, nous dit M. Tardieu. On a répété bien souvent que tout est possible; cela est vrai, surtout de quelques-uns des faits qui se présentent à l'observation du médecin légiste, et parmi ceux-ci l'avortement simulé occupera désormais une place à part. Mais il ne nous est pas donné de prédire dans quelles circonstances nouvelles d'autres faits de cette nature pourraient se produire.

DE L'AVORTEMENT MÉDICAL.

L'avortement pratiqué dans un but thérapeutique a soulevé au même titre que le céphalotribe l'opposition d'un grand nombre de médecins. Dans la discussion qui eut lieu à ce sujet à l'Académie de médecine en 1852, tous les orateurs, à l'exception de Begin et de Moreau, reconnurent la nécessité et la légitimité de l'avortement provoqué dans certains cas déterminés.

Il sera donc utile au médecin légiste d'avoir présentes à l'esprit les circonstances qui autorisent l'intervention. Il

faut pour cela que la vie de la mère coure un danger sérieux, car on n'a plus ici, comme dans l'accouchement prématuré, la chance d'obtenir un enfant vivant. L'Académie ne s'est occupé dans sa discussion que des rétrécissements du bassin inférieur à 65 millimètres et des vomissements incoercibles, mais Joulin signale d'autres motifs tout aussi impérieux d'avoir recours à l'opération. Elle est également indiquée dans les cas de tumeurs ne pouvant être opérées ou mobilisées et qui agissent par leur volume à la manière des rétrécissements inférieurs à 65 centimètres. La rétroversion utérine est également une circonstance qui peut nécessiter l'intervention. Mais il est excessivement rare que l'éclampsie, l'hémorrhagie et les autres affections qui peuvent nécessiter l'accouchement prématuré exigent la déplétion de l'organe avant l'époque de la viabilité (Joulin).

Mais on pourra toujours réfuter les arguments mis en avant par l'accusé qui se retrancherait derrière ce système de défense, en rappelant cette loi professionnelle que, dans aucun cas, l'avortement provoqué ne doit être tenté sans qu'il y ait eu une consultation avec des confrères. C'est là une règle absolue qui ne souffre aucune exception, car l'opération n'est jamais urgente et on a toujours le temps de s'y préparer.

QUESTIONS MÉDICO-LÉGALES RELATIVES A L'AVORTEMENT.

1° Existe-t-il certaines substances capables de produire l'avortement. Les développements que nous avons donnés plus haut nous empêchent de traiter longuement cette question qui sera fréquemment posée à l'homme de l'art appelé à déposer devant les tribunaux. Ollivier d'Angers et Tardieu pensent que les substances prétendues abortives ne jouent qu'un rôle insignifiant ou secondaire dans la plupart des cas d'avortement. En résumé, dit ce dernier auteur, si l'on cherche à se rendre un compte exact des effets réels des substances réputées abortives, on voit que le plus grand nombre ne méritent pas cette quali

fication et que si l'action vénéneuse de l'if, de la sabine et surtout de la rue, se combine avec une sorte d'influence spéciale sur la matrice, il n'en est pas de même de l'ergot de seigle qui, impuissant à provoquer la contractilité de cet organe n'agit sur lui que par une sorte de stimulation secondaire. On est ainsi conduit à reconnaître que dans l'immense majorité des cas, les breuvages ne jouent qu'un rôle apparent dans la perpétration du crime d'avortement et qu'il faut en chercher ailleurs les agents réels et directs.

L'expert pourra donc, dans cette circonstance, reproduire cette opinion qui a été soutenue avec tant d'autorité par les médecins légistes les plus éminents. Dans tous les cas, il évitera toujours de donner une réponse affirmative et se contentera de dire que certaines substances ont la réputation de produire l'avortement, mais que ces propriétés abortives n'ont pas encore été établies par des faits scientifiques rigoureusement observés.

2° Existait-il une maladie qui pût justifier l'avortement. Les développements que nous avons fournis à propos de l'avortement médical aideront beaucoup à la solution de cette question. Si l'accusé se retranche derrière la doctrine dangereuse de la légitimité de l'avortement l'expert pourra facilement apprécier la certitude et l'urgence des indications en même temps que l'omission de toutes les garanties qu'exigent le devoir et la sécurité professionnelle.

3° L'accusée a-t-elle pu ignorer la nature des manœuvres qui étaient pratiquées sur elle. Lorsque la femme se décide à faire décrocher ou à faire couler son enfant elle ignore le plus souvent la nature des manœuvres qu'elle aura à subir; nous l'avons dit plus haut, ces manœuvres sont d'une très-grande simplicité, et nous admettons, avec M. Tardieu, qu'elles puissent être pratiquées sur une femme sans que celle-ci ait une idée précise de l'acte qui s'accomplit. « C'est ainsi que beaucoup de victimes soutiennent de la meilleure foi du monde que la sage

femme s'est bornée à leur introduire un doigt dans la matrice et que cette introduction n'a différé des précédentes que par les suites. » Il est bien évident que, dans l'immense majorité des cas, lorsqu'une femme est enceinte et se met entre les mains d'une sage-femme, ses intentions doivent être soupçonnées; mais, nous le répétons, elle peut ignorer le moment précis où l'acte criminel a été accompli.

RÉSUMÉ.

L'avortement est l'expulsion prématurée et violemment provoquée du produit de la conception, indépendamment de toutes les circonstances d'âge, de viabilité et même de formation régulière (Tardieu).

L'avortement est un crime fréquemment pratiqué, et les coupables sont, le plus souvent, des femmes.

C'est entre le troisième et le cinquième mois que l'avortement criminel est le plus souvent provoqué.

L'expert doit toujours avoir présentes à l'esprit les causes qui produisent l'avortement spontané et accidentel. Ces causes peuvent provenir du père, de la santé géné rale et de l'habitude de la mère, de l'état de la matrice et de ses annexes, des maladies de l'oeuf et du foetus. Les causes déterminantes, telles que commotions, chutes, coups, agissent ordinairement en décollant le placenta et en provoquant la rupture et l'inflammation des membranes.

Les moyens employés pour produire l'avortement criminel se divisent en préparatoires, indirects ou médicaux, directs ou chirurgicaux.

Les premiers qui consistent en bains, saignées, pédiluves irritants, etc., sont tentés au début de la grossesse, et sont généralement sans action.

Les moyens médicaux comprennent certaines substances médicamenteuses qui ont une action élective sur l'utérus. Les plus importantes sont la rue, l'iodure de potassium, l'ergot de seigle, la sabine et l'if. Les propriétés abortives

de ces substances sont loin d'être constantes et au-dessus de toute contestation.

Les moyens directs sont le décollement du placenta avec une sonde introduite dans le col et contournant l'œuf; l'ouverture de la poche ammiotique avec un instrument pointu; l'introduction d'une éponge préparée dans la cavité du col; les injections d'eau chaude dans l'utérus. En général, quand l'avortement est connu de la justice, c'est qu'il n'a pas réussi.

Les manœuvres abortives sont extrêmement dangereuses. Sur 116 cas d'avortement criminel, 60 ont été suivis de mort.

L'expert pourra reconnaître l'avortement en examinant la femme et le produit expulsé. On constate ensuite si le produit expulsé appartient bien à un foetus, et si l'embryon est porteur d'une maladie dont l'existence peut causer l'avortement naturel.

Il existe des observations dans lesquelles l'avortement a été simulé dans un but criminel.

L'avortement médical ou obstétrical est celui que le médecin a le droit de faire pour sauver une femme. L'accouchement prématuré artificiel se pratique lorsque l'enfant peut vivre et est viable. Quand le rétrécissement est au-dessous de 6 cent. 1/2, il faut provoquer l'avortement; s'il est de 7 cent. 1/2, il faut pratiquer l'accouchement prématuré. L'avortement médical se pratique aussi dans les cas de rachitisme, de tumeurs du bassin et de vomissements incoercibles; mais il ne doit jamais être tenté sans qu'il y ait eu consultation avec un confrère.

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