Page images
PDF
EPUB

DOCIMASIE PULMONAIRE.

A. Docimasie par la balance. Le poids du poumon augmentant d'une manière notable lorsqu'il a été pénétré par l'air et par le sang, Ploucquet avait eu l'idée, en 1736, de rechercher les rapports qui pouvaient exister entre le poids des poumons et le poids total du corps suivant que l'enfant a ou n'a pas respiré. Se basant sur un petit nombre d'observations, il avait cherché à établir que le poids du poumon d'un enfant mort-né est à celui du corps entier dans la proportion de 1:70 et que, lorsque l'enfant a respiré, cette proportion est de 1:35. Ces chiffres avaient été acceptés par Fodéré et Mahon, mais les travaux de Devergie, d'Orfila et surtout de Casper ont démontré que cette proportion n'est pas exacte, qu'elle peut varier selon l'âge, le genre de mort, la constitution du sujet, etc., et qu'elle ne pouvait être d'aucune utilité pratique dans les expertises médico-légales relatives à l'infanticide.

B. Docimasie hydrostatique par la méthode de Daniel. Cette méthode qui n'a jamais été d'un usage général et qui n'est presque plus employée aujourd'hui date de 1780, elle est fondée sur le principe d'Archimède. On détache les poumons, le cœur et le thymus de la cavité thoracique après avoir pratiqué la ligature des gros vaisseaux afin de ne pas laisser perdre de sang et on les pèse à l'aide d'une balance très-sensible ayant un crochet adapté à la partie inférieure d'un de ses plateaux. On en sépare le cœur et le thymus et on les pèse de nouveau; on en déduit le poids du cœur et du tymus et on obtient ainsi le poids net des poumons. On suspend alors les poumons seuls au crochet du plateau de la balance, on les fait plonger dans l'eau et, s'ils immergent, on note sur l'échelle du vase le degré d'élévation du liquide et on met dans l'autre plateau le poids nécessaire pour rétablir l'équilibre. Si les poumons surnagent, on les fait immerger en les plaçant dans un petit panier en fil d'argent; on note également la masse

d'eau qu'ils déplacent et les poids nécessaires pour rétablir l'équilibre.

Ces expériences ont pour but de faire apprécier l'augmentation de volume et l'augmentation de poids sous l'influence de la respiration. Ainsi, les poumons qui n'ont pas respiré et qui n'ont qu'un petit volume déplaceront peu d'eau et perdront peu de poids, tandis qu'au contraire, les poumons qui ont respiré et qui ont un volume plus considérable devront déplacer beaucoup d'eau et perdre beaucoup de poids. Exemple: si les poumons non pénétrés d'air pèsent 50 à l'air libre, ils peuvent perdre 15 et il leur reste un poids de 35; si les poumons ont respiré ils peuvent peser 100 à l'air libre, perdre 30 par l'immersion et conserver un poids de 70. Nous avons dit plus haut que le poids du poumon qui a respiré augmentait presque du double.

La méthode de Daniel repose sur un principe invariable de physique, mais les variations individuelles du poids et du volume du poumon et les soins minutieux qu'exige son application ont empêché son emploi en médecine légale. Nous en dirons autant de la méthode de Bernt, de la méthode pneumo-hépatique qui repose sur le rapport qui existe entre le poids du poumon et celui du foie. Tous ces procédés doivent faire place à la méthode ordinaire que nous allons décrire, la seule qui puisse fournir des résultats décisifs.

C. Docimasie hydrostatique par la méthode ordinaire ou de Galien. Le procédé des anciens est le plus simple et le plus sûr de tous ceux employés pour constater que les poumons ont été dilatés par l'air et le seul qui mérite véritablement le nom de docimasie pulmonaire. Quoique ayant été indiqué par Galien dans son livre De usu partium, il ne fut introduit dans la médecine légale qu'en 1663 par Bartholin et en 1682 par Schreger. Il repose sur ce principe que, chez l'enfant qui n'a pas respiré, le poumon est plus dense que l'eau et ne doit pas surnager, tandis que, lorsque le poumon de l'enfant a été pénétré par l'air il est moins dense que l'eau et doit par conséquent

surnager.

Cette opération est extrêmement simple, mais il importe néanmoins qu'elle soit pratiquée avec le plus grand soin et que les résultats soient à l'abri de toute chance d'erreur. Voici du reste les recommandations fort simples qui nous sont fournies par M. Tardieu pour la pratique de la docimasie hydrostatique.

L'expert doit se procurer un vase plein d'eau assez large et assez profond pour que les organes que l'on doit y plonger puissent s'y mouvoir librement sans en toucher les parois et sans être attirés par elles. Un seau ordinaire est parfaitement approprié à l'expérience. Le vase sera rempli d'eau à la température ordinaire. La poitrine étant ouverte, il faut saisir avec les pinces l'extrémité supérieure du larynx et de l'œsophage, les trancher d'un seul coup, et pendant que la main qui tient la pince soulève et tire en avant, raser la colonne vertébrale avec le scalpel en détruisant toutes les attaches jusqu'à ce qu'arrivé au diaphragme, on ramène l'instrument horizontalement d'arrière en avant et l'on détache ainsi d'un seul coup la masse des viscères contenus dans la cavité thoracique. Sans lâcher la pince qui les tient on les porte immédiatement et tous ensemble dans le vase plein d'eau et on les y abandonne à euxmêmes. >>

Contrairement à plusieurs auteurs, M. Tardieu pense qu'il n'est pas nécessaire de pratiquer la ligature préalable de la trachée et des vaisseaux. Cette opération ne peut qu'augmenter sans utilité la longueur et les difficultés de l'expérience; la quantité de sang qui s'écoule est trop peu considérable pour faire varier notablement le rapport du poids au volume du poumon.

Lorsque les organes thoraciques sont ainsi plongés tous ensemble dans l'eau, on constate s'ils surnagent ou s'ils tombent au fond. On prend à cet égard des notes exactes, en signalant le plus ou moins de rapidité avec laquelle ils tombent, s'ils descendent jusqu'au fond ou s'ils restent suspendus à une certaine hauteur dans le liquide.

On répétera ensuite l'expérience en séparant les poumons des autres organes. On pratique la docimasie sur les poumons séparés du thymus et du cœur, sur chaque pou

mon, sur chaque lobe et même sur des fragments de la grosseur d'une amande, en ayant soin de signaler les résultats obtenus pour chaque fraction de tissu.

Les résultats immédiats de la docimasie peuvent se ramener à deux cas ou la masse surnage ou elle gagne le fond du récipient. Nous allons successivement passer en revue les particularités les plus importantes qui se rattachent à chaque cas.

a. Le poumon surnage. M. Tardieu fait justement remarquer que le médecin légiste qui conclurait d'emblée que la masse surnage parce que les poumons ont respiré, s'exposerait quelquefois à une grossière erreur. Trois circonstances peuvent, en effet, produire la pénétration des gaz dans le poumon et, par suite, la surnatation, ce sont la respiration naturelle, la putréfaction, qui donne lieu au développement de gaz putrides te l'insufflation, procédé souvent employé au moment de la naissance pour rappeler l'enfant à la vie.

Il est en effet incontestable que la putréfaction peut faire surnager les poumons, mais il faut dire que, surtout chez le nouveau-né, elle ne gagne que très-tardivement les poumons. On a vu des cadavres d'enfants restés dans l'eau pendant des mois, sur lesquels les résultats de l'épreuve docimasique n'étaient nullement altérés par la présence des gaz putrides; mais il est à remarquer que, aussitôt retiré de l'eau, le cadavre entre dans une décomposition rapide et, comme il s'écoule souvent plusieurs jours avant que l'autopsie soit possible, l'expert trouvera souvent de l'emphysème putride chez les nouveau-nés qui auront longtemps séjourné dans l'eau. Le poumon qui a subi un commencement de putréfaction se reconnaît à la présence de bulles nombreuses groupées à la surface du poumon et particulièrement vers la base. Il faut alors percer chacune de ces bulles et donner issue au gaz en pratiquant sous l'eau une légère pression. La docimasie sera ensuite pratiquée d'après les indications que nous avons données plus haut.

On ne connaît pas encore de cas où l'insufflation ait été une cause d'erreur dans la pratique médico-légale, mais

comme il est nécessaire que l'expert soit à même de reconnaitre les poumons insufflés, nous allons en retracer les principaux caractères. L'insufflation peut, en effet produire la surnatation, mais le poumon insufflé se distinguera par sa couleur rosée uniforme et par la petite quantité de sang contenue dans le parenchyme pulmonaire. Ce dernier caractère est important car l'introduction artificielle de l'air ne produit pas, comme dans la respiration naturelle, l'afflux du sang et si l'on exprime un petit fragment de poumon sous l'eau, on ne fait sortir que de l'air, mais pas de sang.

Dans un cas très-intéressant observé par M. Herbet, d'Amiens, un poumon fœtal qui avait subi la congélation a surnagé pendant quelques instants et n'a gagné le fond du vase qu'après avoir séjourné dans de l'eau chaude. Il suffit d'être prévenu de ce fait pour éviter cette cause d'erreur.

Le séjour dans l'alcool peut également donner au poumon fœtal une plus grande légèreté spécifique et le faire surnager pendant quelques instants. Dans un cas rapporté par M. Tardieu, le premier expert avait conclu que la respiration n'avait pas eu lieu, tandis que cinq jours plus tard, alors que les poumons avaient été placés dans de l'eau-de-vie, un deuxième expert voyait les mêmes organes surnager et ne gagner le fond que très-lentement.

Chaussier a décrit un emphysème des nouveau-nés qui pouvait, dans certains cas, produire la surnatation chez le mort-né, mais les auteurs modernes ont nié avec raison l'existence de cette affection qui reposait sur des faits mal interprétés.

M. Tardieu résume ainsi la conclusion médico-légale à tirer de la surnatation: « Lorsque les poumons surnagent soit en masse, soit isolément, entiers ou divisés, et qu'ils ne sont ni pourris ni insufflés artificiellement, ni congelés, ni macérés dans de l'esprit-de-vin, il est permis d'affirmer que l'enfant a respiré et que, par conséquent, il a vécu.» b. Le poumon ne surnage pas. Il ne faut pas en conclure immédiatement que l'enfant n'a pas respiré. Deux circonstances peuvent précipiter au fond de l'eau des pou

« PreviousContinue »