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pensons que les signes de la mort réelle doivent être étudiés avec le plus grand soin par le médecin, et qu'il convient de les passer en revue dans un ouvrage de jurisprudence médicale. On a cru longtemps, et beaucoup de personnes croient encore à l'incertitude des signes de la mort. « L'idéal cherché, nous dit M. Tourdes (1), était un signe pathognomonique, constant, irréfragable, facile à constater par tous; les uns le placèrent dans l'extinction d'une fonction importante, les autres dans une modification organique. Si la certitude absolue semblait se refuser à chacun de ces travaux de détails, bientôt on s'aperçut que le problème était résolu, et que l'ensemble et l'association des caractères fournissent les éléments d'un diagnostic certain. »

Les signes de la mort ont été divisés en certains et en incertains. On les a également divisés en fonctionnels et en organiques: les premiers sont fournis par la cessation des fonctions qui caractérisent la vie, les seconds par les modifications qui se produisent dans les organes après la mort. Sans nous attacher à aucune division spéciale, nous allons décrire successivement les signes fournis par l'aspect général, la perte de la sensibilité, du mouvement, de la contractilité musculaire, l'abaissement de la température, l'absence de respiration et de circulation, les signes fournis par l'œil, et enfin la rigidité cadavérique et la putréfaction.

1o Face, attitude, aspect général. La face cadavérique n'est pas un signe caractéristique de la mort elle n'existe pas chez les individus qui succombent à la suite d'un accident ou d'une maladie aiguë, et on peut l'observer pendant la vie. Cependant on doit attacher une grande importance à la pâleur mortelle, à l'abaissement de la mâchoire inférieure et à l'ouverture des yeux et de la bouche.

L'expression de la face est très-variée et peut, dans certains cas, exprimer les sentiments éprouvés pendant les derniers moments de la vie. Nous pensons que l'expression

(1) Dict. encyclop. des sc. med., article MORT.

de la face, jointe à l'attitude du corps, peut quelquefois jeter de la lumière sur les circonstances de la mort, mais nous ne considérons pas l'expression faciale comme pouvant fournir un signe réellement utile dans le diagnostic du suicide ou l'homicide.

L'attitude peat, dans quelques cas, révéler le genre de mort. Elle est le plus souvent déterminée par la pesanteur et par la situation du corps au dernier moment de la vie. Dans le tétanos et dans d'autres affections on constate une raideur qui maintient le corps dans une attitude contraire aux lois de la pesanteur.

La flexion du pouce, résultat d'une dernière contraction musculaire pendant l'agonie, manque souvent. D'après M. Josat, ce signe manque sept fois sur dix, et il existe à peu près dans la même proportion avant la mort consommée. Les lividités cadavériques et les vergetures constituent un des signes les plus prompts et les plus certains de la mort. Le décubitus ayant lieu en général sur le dos, le sang abandonne la partie antérieure du corps et produit sur les parties déclives des colorations rougeâtres, violacées et blanchâtres, sous forme de plaques et de vergetures irrégulières qui dépendent de la pression des objets qui supportent le cadavre. Si l'on incise ces vergetures, on voit l'épiderme incolore et le réseau vasculaire distendu par du sang liquide, tandis que, lorsque la coloration de la peau est due à l'afflux vital du sang, le tissu du derme est piqueté et injecté par ce liquide. Ce signe est constant; il peut se produire quatre ou cinq heures après la mort, mais il existe des différences notables, suivant les sujets, pour l'intensité du phénomène et l'époque de son apparition. La seule objection sérieuse qu'on puisse faire à ce signe, c'est qu'il peut déjà se manifester pendant l'agonie.

2o La perte de la sensibilité doit être constatée, mais avec les précautions nécessaires pour que, en cas de survie, il ne reste pas des blessures graves. Les moyens les plus employés consistent en frictions, vésicatoires, acupuncture, applications de ventouses et brûlures. Ces procédés sont le plus souvent appliqués sur la partie supé

qu'elle entraîne immédiatement la cessation de la respiration et des fonctions du système nerveux, lorsqu'elle n'en a pas été précédée.

«Il reste à déterminer pendant combien de temps l'absence des battements du cœur peut n'être qu'une simple suspension, au bout de combien de temps cette absence des contractions du cœur doit être, sans crainte d'erreur, regardée comme une cessation définitive or, dans les agonies qui ont été observées, le maximum d'intervalle entre les derniers battements a été d'environ sept secondes. La Commission académique pense donc :

1° Que l'absence des battements du cœur, constatée par l'auscultation sur tous les points où ils peuvent naturellement ou accidentellement être entendus, et sur chacun, pendant l'intervalle de cinq minutes, c'est-à-dire pendant un espace de temps cinquante fois plus considérable que celui qui a été fourni par l'observation des bruits du cœur dans les cas d'agonie jusqu'à la mort, ne peut laisser aucun doute sur la cessation définitive de ces battements du cœur et sur la réalité de la mort (1). »

Quoiqu'on ait opposé à cette conclusion de l'Académie quelques observations dans lesquelles des malades ont été rappelés à la vie malgré la suppression des bruits cardiaques pendant une demi-heure et plus, on peut admettre que la cessation des battements du cœur, constatée par l'auscultation, est un des meilleurs signes de la mort. Si l'interruption momentanée de la circulation n'est pas une preuve absolue de la mort, on peut renouveler l'auscultation un grand nombre de fois et à quelques minutes d'intervalle, pour tenir compte des intermittences, et on acquerra ainsi la certitude de la mort.

L'innocuité des plaies du cœur, faites sur des animaux à l'aide d'aiguilles très-fines, a donné l'idée d'appliquer l'acupuncture à la constatation des mouvements de cet organe. Sous le nom d'akidopeirastique, M. Tourdes décrit, d'après Middeldorf, le procédé suivant: on enfonce une aiguille très-fine, longue de 10 centimètres, au milieu

(1) Bull. de l'Acad. de méd., 1818, rapport de M. Royer.

du point ou ordinairement on perçoit les battements du cœur, dans le cinquième espace intercostal, à trois travers de doigt du sternum, à deux au-dessous du mamelon; l'aiguille est poussée par un mouvement de rotation dans la paroi du ventricule gauche, 5 centimètres au plus de l'aiguille doivent pénétrer dans les tissus; on observe alors si elle est agitée par un mouvement oscillatoire, par un simple tremblement ou si elle reste immobile.

L'application de ligatures et de ventouses scarifiées a été proposée pour démontrer l'absence de la circulation capillaire. En plaçant une ligature sur l'avant-bras ou sur un doigt, l'extrémité du membre se colore d'un rouge plus ou moins violacé si l'individu est vivant, et la coloration disparaît quand on enlève le lien; rien de semblable ne se produit sur le cadavre. Il en est de même lorsqu'on applique une ventouse scarifiée; l'impossibilité d'amener le sang en dehors des vaisseaux indique l'absence de la circulation capillaire, et par conséquent la mort. Ces deux signes ont beaucoup de valeur, mais on peut leur objecter que les mouvements du cœur peuvent exister sans influencer la circulation capillaire.

L'état du sang fournit également des signes importants. Indépendamment de la coagulation qui s'opère de quatre à six heures après la mort, il faut encore tenir compte des caractères histologiques qui ont été décrits par MM. Feltz et Tourdes. Les modifications suivantes dans l'état du fluide nourricier sont des indices de la réalité et de la date de la mort 1° la persistance des globules en pile et de la forme nummulaire pour les premières heures du décès; 2o la disparition des piles, la déformation des globules, qui deviennent rugueux, ridés, parsemés à leur surface de petits grains blancs fibrineux, après une douzaine d'heures; 3o la réunion en masses irrégulières de ces globules altérés, mêlés, fondus, avec quelques globules blancs distincts, après quarante-huit heures et plus; 4o l'apparition des bâtonnets, dont la présence constitue une des phases de la destruction qui dure, en été et en automne, du cinquième au douzième jour; 5° la dissolution du liquide en gramulations fines, avec des globules de graisse et des cristaux

de formes diverses. A cette époque avancée, la structure du sang n'est plus à reconnaître.

7° « Le relâchement brusque et presque instantané de tous les sphincters, y compris celui de la pupille, est bien, chez l'homme, dans l'immense majorité des cas, l'effet de la mort et non d'un état morbide; cependant, le relâchement de tous les sphincters a lieu dans beaucoup d'agonies, et certaines affections cérébrales peuvent entraîner en même temps que le relâchement des sphincters, la dilatation de la pupille aussi vos commissaires pensent-ils que ce signe n'a pas un degré suffisant de certitude. » Ainsi s'exprimait M. Payer, dans son rapport à l'Académie, sur ce signe auquel les auteurs avaient attaché une si grande importance. Il est en effet certain que la dilatation des sphincters peut être le résultat de la syncope, qu'elle a été constatée chez des asphyxiés qui ont été rappelés à la vie, et que ce signe ne peut acquérir de la valeur que par sa persistance.

8° Les signes fournis par l'œil (thanatophthalmologie) << sont les plus nombreux et les plus sùrs depuis l'instant même du décès jusqu'à une époque avancée de la décomposition (Tourdes). » Voici les principaux :

A. Affaissement et flaccidité du globe oculaire. L'affaissement a lieu aussitôt après la mort, par suite de l'arrêt de la circulation. La flaccidité se montre un peu plus tard et est due à l'évaporation des liquides, principalement de l'humeur aqueuse. « Il n'y a aucune maladie, aucune révolution dans le corps humain qui puisse opérer un pareil changement; ce signe est caractéristique, j'ose le donner comme indubitable. » Ainsi s'exprimait Louis, qui plaçait avec raison le ramollissement de l'œil parmi les preuves les plus sûres de la mort.

B. Insensibilité de la conjonctive et de la cornée transparente; perte de l'éclat de l'œil et de la transparence des milieux. Le premier de ces signes est une bonne preuve de l'abolition de la sensibilité, mais il existe dans l'anesthésie et l'asphyxie incomplète. Le second a égale

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