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Il faut donc dire en faveur du vapeur, que les cas, comme celui qui a été décidé par nous, ne doivent pas être traités simplement selon les art. 17, 22, mais qu'il faut considérer les circonstances et surtout examiner s'il y a lieu, pour le vapeur, de croire que le pilote désire l'aborder.

Les règles 23, 24 qui, du reste, n'étaient pas alléguées dans les instructions prussiennes, ne suffisent pas à résoudre la question, comme le croit M. Picard. Car l'art. 23 se borne à dire que les règles 14-22 ne doivent pas être appliquées quand il pourrait en résulter un danger imminent. Or, dans le cas ici considéré, l'application des règles 17, 22 n'aurait pas causé un tel danger. Elle aurait certainement suffi à faire éviter l'abordage. Mais elle aurait empêché les navires de se rapprocher l'un de l'autre et le cas était tel, que le vapeur avait des raisons suffisantes pour présumer qu'un rapprochement était désiré par le pilote. Les circonstances spéciales (art. 23) ne rendaient donc pas nécessaire d'agir contre les règles pour éviter l'abordage, mais elles rendaient les règles inapplicables parce qu'il s'agissait d'un rapprochement. En d'autres termes, les règles 14-22 ayant été édictées pour éviter les abordages et l'art. 23 poursuivant le même but, leur application ne peut pas être de rigueur dans des cas où il n'est pas certain qu'il s'agisse d'un rapprochement voulu. Enfin l'art. 24 ordonne l'observation de la prudence générale exigée par les coutumes des marins ou par les conditions spéciales. Cet article ne contient donc aucune règle ni ne change à aucun égard les règles précédentes.

Pour ces raisons, je crois encore que notre décision était juste, quoiqu'elle semble être contraire aux art. 17, 22 et qu'il y a une lacune dans les règles, qui doit être comblée par la jurisprudence.

Lors de la Conférence maritime à Washington, on a tâché de surmonter les difficultés d'un cas comme le nôtre en ajoutant de nouveaux signaux à ceux qui sont actuellement en vigueur pour les bateaux-pilotes. Le nouvel art. 8 prescrit aux Bateaux-Pilotes d'avoir prêts leurs feux de côté en cas de rapprochement d'un autre navire et de les montrer à de petits intervalles (flash or show them at short intervals) pour faire remarquer leur direction. Cela, il est vrai, ne suffit pas pour indiquer s'il y a intention de rapprochement ou non, mais on a trouvé trop difficile de découvrir un signal spécial pour ce but, le nombre des signaux étant déjà trop élevé. La question dont s'occupe mon mémoire gardera donc son importance même quand les règles de Washington seront adoptées.

Dr SIEVEKING,

Président de la Cour d'appel hanséatique de Hambourg.

Des moyens de constituer un état de cité ou une nationalité à un enfant qui en est dépourvu.

Comme on l'a dit avec raison', toute personne doit avoir une patrie. Pour arriver à l'entière satisfaction de ses appétits légitimes, l'homme a besoin de l'assistance de ses semblables; il doit donc, c'est une loi de nature, appartenir à un groupe social au sein duquel il développera et exercera ses facultés, et le premier devoir du législateur envers l'enfant nouveau-né est de lui assigner, en prenant conseil de son intérêt présumé, une nationalité qui le saisira à l'heure même de sa naissance et qu'il conservera jusqu'à ce qu'il ait la capacité requise pour en changer, s'il le juge à propos. En général, aujourd'hui, les lois sont faites et appliquées de telle sorte que tout enfant a effectivement une nationalité par le fait même de sa naissance; et s'il arrive quelquefois, par suite d'un conflit de législations, qu'il en possède deux, il est presque sans exemple qu'il n'en ait point du tout et qu'on ait plus tard l'embarras de chercher à lui en procurer une. Le cas s'est pourtant présenté dans les conditions suivantes, et il peut être intéressant d'examiner ici comment il est possible de résoudre la difficulté, étant admis qu'au moment où la question s'est posée il y avait de sérieuses raisons pour ne pas recourir à la voie de la naturalisation, avec les délais plus ou moins longs et les conditions préalables qu'elle comporte. Une jeune fille appartenant à la noblesse russe avait donné le jour, il y a une vingtaine d'années, à un enfant naturel, dans une maison de santé située dans un canton suisse, qu'il est inutile de désigner; car, dès avant la loi fédérale du 24 décembre 1874 sur l'état civil, tous les cantons avaient déjà, en matière de naissances, les mêmes principes il était de règle que, pour un enfant naturel, l'acte indiquât toujours le nom de la mère. Nous ne savons trop quelle aurait été la nationalité de l'enfant si cette règle avait été observée au cas particulier : la loi russe tient, en effet, pour nulle et non avenue toute reconnaissance volontaire ou forcée d'un enfant naturel par sa mère, quand celle-ci appartient à la noblesse de l'empire. Mais la

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1. Andre Weiss, Traité élémentaire de droit internat. privé, 2o édit., P. 319.

question ne se pose pas se jugeant sans doute lié par le secret professionnel, le directeur de la maison de santé où l'accouchement avait eu lieu ne chercha point à faire une déclaration qui n'aurait été reçue par le ministre du culte, officier de l'état civil, que moyennant indication du nom de la mère, et l'on se contenta de faire dresser un acte de baptême par un pasteur appelé de l'étranger et, par conséquent, radicalement incompétent pour certifier la naissance; cet acte constate que l'enfant, un garçon, est né à telle date, dans telle localité, de parents inconnus » et qu'il a été baptisé. Un acte ainsi libellé aurait, par impossible, été dressé par un pasteur du pays qu'il n'aurait pas conféré à l'enfant la nationalité suisse. Il ne suffit pas, en effet, pour être Suisse, de naître sur le territoire de la Confédération; il faut, en outre, se rattacher à une commune par les liens de la bourgeoisie, laquelle l'enfant n'acquiert que par droit de filiation légitime ou naturelle. C'est précisément pour cela que les lois suisses ont toujours exigé que l'acte de naissance indiquât, tout au moins, le nom de la mère. Elles font, sans doute, une exception pour les enfants trouvés; mais il y a là un cas de force majeure, qui ne comporte aucune extension par voie d'analogie.

On songea d'abord à régulariser la situation de l'enfant en faisant dresser vingt ans trop tard - l'acte de naissance en bonne forme, omis au moment de la naissance. Mais, comme il fallait s'y attendre, on se heurta d'emblée à des difficultés insurmontables. Outre la loi fixe pour que la réception des déclarations de naissance un délai très court, qui excluait la possibilité d'une inscription rétrospective, il aurait fallu, en 1890 comme en 1870, indiquer le nom de la mère : la loi fédérale de 1874 est formelle. Or les raisons de droit et les considérations de convenances personnelles qui avaient fait reculer devant cette reconnaissance lors de la naissance n'avaient rien perdu de leur valeur. En supposant qu'on eût passé outre, l'acte aurait constaté que l'enfant était issu d'une Russe et ne lui aurait conféré aucune nationalité. Il était done inutile de s'engager dans cette impasse.

A défaut d'acte de naissance, quels moyens les lois civiles offraient-elles pour constituer à l'enfant un état de cité et un état de famille, ou tout au moins le premier des deux ? Ces moyens se réduisent à trois : la légitimation par mariage sub

séquent, la simple reconnaissance et peut-être, dans une certaine mesure, l'adoption. Ils se heurtent tous trois, quant à la mère, au principe absolu du droit civil russe qu'une dame russe appartenant à la noblesse ne peut ni légitimer ou reconnaitre un enfant naturel, ni l'adopter au sens français du mot, c'est-à-dire créer entre elle et un enfant un lien artificiel de paternité et de filiation. Quant au père de l'enfant, il est mort depuis longtemps. Cela ne rendait pas la légitimation par mariage subséquent absolument impossible; car, le père étant légalement inconnu, il suffisait qu'un homme se trouvant dans les conditions légales voulues se montrât prèt à épouser la mère et à reconnaître l'enfant au moment de la célébration. Mais la mère n'était pas disposée à se prêter à cette combinaison; et, d'ailleurs, si la légitimation eût procuré à l'enfant la nationalité de son père putatif, elle aurait pu être contestée, quant à la mère, par les parents de Russie. Nous estimons toutefois que ce moyen aurait été, en droit, le plus efficace. La mère aurait pris, en se mariant, la nationalité de son mari. La simple reconnaissance par la mère, sans mariage, n'est possible qu'à la condition que la mère commence par changer de nationalité. Elle eût.donc exigé les mêmes délais que la naturalisation directe de l'enfant, avec divers inconvénients en plus; car, si l'on admet assez volontiers aujourd'hui que le père ou la mère qui reconnait un enfant après avoir changé de nationalité entre le moment de la naissance et celui de la reconnaissance confère à l'enfant sa nationalité actuelle, ce principe n'est pourtant pas, en droit international, de ceux qui s'imposent. Nous croyons que les intéressés pourraient Soutenir que l'enfant n'a d'autre nationalité que celle qu'avait la mère au moment de l'accouchemeut, surtout s'ils sont en thesure d'établir qu'elle n'a changé de patrie que pour éluder une prohibition expresse de sa loi nationale. Or, au cas particulier, l'enfant se trouverait sans nationalité comme auparavant, puisqu'il ne dépend pas de la mère de lui conférer sa nationalité d'origine, c'est-à-dire l'indigénat russe.

Reste l'adoption. La mère ne peut point adopter, parce qu'elle est Russe. Elle se ferait naturaliser Française, par exemple, qu'elle ne le pourrait pas davantage, parce qu'elle n'a pas, de beaucoup, l'âge requis par le Code civil. Un tiers de bonne volonté, satisfaisant aux conditions de la loi, le pourrait. Mais ici se pose une autre question assez délicate et qui, croyons

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nous, n'a encore été résolue ni par la jurisprudence, ni par les auteurs. Tout le monde admet, et nous avons soutenu cette thèse ici-même (Clunet 1882, p. 292), que l'adoption est sans influence sur la nationalité de l'adopté quand il en a une. Mais peut-elle lui en conférer une quand il n'en a point? Sans doute, les objections ne sont pas les mêmes que dans l'hypothèse précédente; il ne s'agit point de rompre une relation de droit public préexistante, et personne n'aurait qualité pour s'opposer à l'acquisition de la nouvelle nationalité, au nom de liens antérieurs. Mais on ne saurait se dissimuler qu'aucune loi, à notre connaissance, ne range expressément l'adoption parmi les modes d'acquisition de la nationalité et que cette naturalisation détournée paraît difficile à accepter dans une matière aussi grave, où tout est de droit étroit à raison des prérogatives et des obligations précises découlant de la qualité de régnicole. Il est dans nos lois plusieurs cas intéressants où un enfant peut, au moyen d'une simple déclaration de domicile, se mettre au bénéfice de la nationalité de ses parents ou ascendants. Mais il s'appuie chaque fois sur un texte précis, et aucun de ces textes ne s'applique à des parents simplement adoptifs. Nous hésitons, en conséquence, à penser que l'adoption, parfaitement apte à donner à l'enfant un état de famille, lui confère ipso facto un état de cité.

En dehors de la naturalisation directe et de la légitimation par mariage subséquent, le problème nous paraît done insoluble dans les conditions spéciales où il s'est posé.

Ernest LEHR,

Professeur honoraire à l'Université de Lausanne,
Membre de l'Institut de droit international.

Histoire de la condition juridique des étrangers dans la législation espagnole.

En s'établissant en Espagne les Visigoths, imitant en cela les autres peuples du Nord, permirent aux vaincus de conserver l'usage de leurs lois propres, et le régime personnel continua ainsi jusqu'à la publication du Fuero Juzgo. Une loi de ce code, sur laquelle Montesquieu appelle l'attention 2,

1. Loi 2, tit. 3, liv. 11.

2. De l'esprit des lois, liv. 21, chap. 18.

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