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l'action propre du droit positif dont nous avons démontré l'existence et dont nous reconnaissons la légitimité Il est d'abord un vaste domaine dans lequel le droit positif exercera, sans conteste comme sans inconvénient, son influence, c'est le domaine dans lequel le droit scientifique est, pour des raisons de fait ou de droit, frappé d'impuissance. Nous connaissons ce domaine, nous n'y reviendrons pas. Notre question ne devient délicate que si l'on considère le droit positif comme pouvant apporter à la rigueur de la doctrine des tempéraments et aux relations internationales des améliorations que le droit scientifique seul n'eût jamais réalisées. Certaines de ces améliorations existent, nous l'avons prouvé, mais ici où devra-t-on s'arrêter? On est tenté d'oser beaucoup sous le couvert du progrès, et il n'est pas de loi nouvelle, si contraire aux principes qu'elle soit en réalité, que l'on ne puisse présenter comme un élément de progrès et, en fait, les lois les plus diverses rendues sur le même objet n'ont-elles pas toujours été inspirées par le désir de faciliter les relations internationales? Trop d'indulgence sur ce point aurait pour conséquence d'augmenter en notre matière l'anarchie que le désir commun des jurisconsultes est de faire disparaître. Il faut donc établir un principe de restriction. Voici quelle est à notre sens la voie par laquelle on pourra y parvenir.

D'abord il est certain que l'intervention du droit positif en vue de corriger la doctrine n'est utile que lorsque cette intervention a pour but, dans une situation donnée, de permettre ou de faciliter la jouissance d'un droit qui, sans elle, eût été ou impossible ou moins facile. Toute intervention du législateur en sens contraire serait absurde, contraire à l'esprit de notre droit, funeste aux relations internationales'. Cette première condition est nécessaire, mais non suffisante. Il faut encore que la loi ne sacrifie pas les droits de l'individu à ceux de la société internationale; il faut, de plus, que sa décision soit telle qu'elle ne favorise aucune nation au détriment des autres.

Le législateur obéit trop souvent à la tendance qui porte à ne se soucier que des intérêts généraux et à leur sacrifier, même en dehors d'une nécessité absolue, les droits des parti

1. Telle serait une loi qui rendrait la règle Locus regit actum absolument obligatoire.

culiers. C'est oublier que la société est faite pour l'individu et non l'individu pour la société. Cet oubli est fréquent en droit international comme en droit intérieur, et le désir de faciliter à tout prix les relations internationales force souvent le législateur et ses interprètes à sacrifier d'un cœur léger les intérêts les plus légitimes des individus. Pareille méthode est incorrecte et va droit à l'encontre de l'objet de notre science. C'est pour donner à l'individu la plus grande somme possible de droits, c'est pour rendre aussi étendu et aussi sùr qu'il est susceptible de l'être l'exercice des dits droits que l'on recherche quelle est, en dehors de toute question de frontières, la portée rationnelle de chaque loi. Faire du droit positif la cause d'une diminution non absolument nécessaire des droits de l'individu, c'est l'employer non pas à servir et à améliorer, mais à corrompre et à détruire le droit international 2.

Le danger le plus grand n'est pas encore là. C'est une idée banale, à force d'ètre juste, que celle de la généralité de la loi internationale. Notre science n'a de valeur théorique qu'autant que pratiquement elle conserve partout la même justesse et elle ne satisfait à cette condition qu'en prenant pour base la notion de l'égalité parfaite des personnes et des sociétés les unes par rapport aux autres 3. C'est à quoi un

1. C'est pour cette raison que nous ne pouvons approuver la tendance actuelle de la législation la plus récente à décider, dans certaines hypothèses qui ne touchent pas du reste à l'ordre public, que la capacité d'un individu doit être jugée suivant la loi du pays où il contracte (loi féd. suisse, 1er janv. 1882, art. 10). Pareille solution, destinée en apparence à augmenter les droits de l'étranger, en réalité les diminue, car elle aboutit à le dépouiller dans une certaine mesure d'une protection que sa loi nationale, seule reconnue compétente en principe, avait jugé nécessaire de lui donner.

2. Nous ne pouvons adhérer à l'opinion de M. de Bar (t. I, p. 393) qui considere comme impossible la démonstration de cette idée, que celui qui d'après son statut personnel est incapable doit être réputé incapable, mème en pays étranger. Point n'est besoin pour établir cette proposition de faire appel à l'autorité de la coutume. Du moment où l'on admet en principe que l'autorité rationnelle d'une loi peut s'étendre à l'étranger, on est forcé de reconnaitre cette propriété à des lois qui ont été de tous temps et par tous considérées comme attachées à la personne.

3. La disposition de l'art. 2 de la loi du 14 juillet 1819 est à signaler comme mauvaise, en ce qu'elle consacre au profit des nationaux français un prélèvement directement contraire aux principes de notre science.

Nous critiquons également la disposition des lois suisse et autrichienne distinguant au point de vue de la capacité entre étrangers et nationaux.

législateur particulier se risquera difficilement ; peut-être même en le faisant croirait-il trahir les intérêts qui lui sont confiés. Ses solutions internationales ne le seront que de nom; en réalité, il aura sa façon nationale et particulariste de résoudre les conflits, et, de près ou de loin, directement ou indirectement, cette façon aboutira à favoriser ses nationaux au détriment des étrangers. A cet égard, le défaut est si naturel, la propension si forte que l'on ne peut pas raisonnablement espérer de voir les lois positives apporter de sensibles améliorations au droit international privé. Leurs innovations les plus heureuses sont presque inévitablement condamnées à manquer leur objet, faute d'impartialité. La voie des traités est meilleure surtout s'il s'agit de conventions embrassant un grand nombre d'Etats; enfin, la voie primitive de la coutume est certainement, en dépit de sa lenteur, de beaucoup la meilleure. Le seul fait de sa formation progressive et de son acceptation universelle démontre suffisamment qu'elle constitue un progrès et que ce progrès n'est acheté au prix d'aucun sacrifice regrettable. Même à notre époque de civilisation avancée la coutume a son importance, en matière internationale au moins. Sa formation doit être observée avec soin, on doit la faciliter si possible, au moins ne l'entraver en rien, elle est le véhicule du progrès, le meilleur agent de réaction du droit positif sur la doctrine.

Essayons de conclure en résumant brièvement les idées que nous avons émises. Il n'y a pas d'antinomie nécessaire ni même naturelle entre la doctrine et le droit positif en matière internationale. L'un et l'autre ont leur sphère d'action propre et ils doivent être combinés pour l'édification d'un bon système de droit. La doctrine doit demeurer à la base de l'édifice. Celui qui veut travailler au progrès de cette branche du droit devra done, avant tout, chercher à établir une théorie générale qu'il ira chercher non pas dans telle ou telle hypothèse plus ou moins satisfaisante, mais dans la considération directe ou attentive de tous les faits contemporains qui paraissent posséder une influence sur la nature des lois et leur portée d'application. Cette doctrine, une fois solidement établie, sera déduite dans ses conséquences et appliquée aux divers ordres de conflits du domaine de notre science. Il emploiera le droit positif d'abord comme serviteur de la doctrine et pour lui donner la force exécutoire qui

lui manque, de même que dans la vie quotidienne nous employons sous notre direction le ministère de nos serviteurs là où nos propres forces ne suffisent pas. Il l'emploiera ensuite pour combler les lacunes nécessaires ou fortuites que toute doctrine, quelle que soit sa perfection, ne peut manquer de présenter. Il l'emploiera enfin pour réaliser des améliorations pratiques générales et incontestables, et préparer par là les progrès que la doctrine est appelée à emprunter aux progrès mêmes de la société internationale.

C'est en suivant cette voie que l'on pourra, à notre avis, arriver à diminuer, voire même à faire disparaître ces incertitudes, cette confusion dont on ne cesse de se plaindre, depuis que l'on a entrepris de donner une solution méthodique aux conflits de lois, et hélas! toujours avec autant de raison.

A. PILLET,

Professeur agrégé à la Faculté de droit de Grenoble.

De la nationalité de l'individu né en France d'un étranger qui n'y est pas né, pendant sa minorité.

La loi du 26 juin 1889 sur la nationalité française a apporté dans cette matière de sérieuses améliorations : elle a codifié des dispositions jusqu'alors éparses, résolu des questions douteuses, et enfin remplacé par des règles nouvelles des principes qui ne paraissaient plus répondre aux besoins sociaux et à l'intérêt de la France; mais il est regrettable que certaines de ces innovations, les mieux justifiées par ailleurs, soient conçues en des termes tels qu'elles laissent une grande place à l'incertitude et à la controverse.

1. Il est juste d'observer que les juriconsultes, dont le système consiste à rechercher pour tout conflit la solution la plus conforme à la nature des choses (Savigny, de Bar, Despagnet), peuvent prétendre avec quelque apparence de raison, professer une doctrine exempte de lacune. Ne pourra-t-on pas, en effet, toujours trouver la solution la plus conforme à la nature des choses? Mais, d'autre part, leur formule certainement exacte est-elle autre chose qu'une pure formule et contient-elle en germe la solution des conflits? On peut en douter.

Le législateur, il est vrai, préoccupé d'atteindre un résultat pratique et d'accroître le nombre des Français en diminuant celui des étrangers, a, comme de parti pris, négligé les considérations doctrinales; mais il ne faut pas croire que les difficultés dont nous parlons soient d'ordre purement théorique. Quoi de plus pratique et de plus indispensable pour une personne que de savoir exactement quelle est, à un moment donné, sa nationalité? Or, à cette question, la loi ne donne pas toujours une réponse suffisante. La condition des enfants nés en France d'étrangers qui n'y sont pas nés nous offre un exemple frappant de cette obscurité. Les auteurs de la loi ont attaché la plus grande importance à étendre l'application du jus soli et à conférer la nationalité française, de plein droit, et même parfois malgré eux, aux enfants nés en France de parents étrangers. « A nos yeux, » disait M. Antonin Dubost, dans son rapport à la Chambre des députés, « c'est là toute la loi qui vous est soumise'. » Les enfants nés en France et dont les parents eux-mêmes y étaient nés sont Français dès leur naissance et définitivement. Il peut se faire qu'ils aient en même temps une autre nationalité c'est une cause de conflit qu'il aurait, croyons-nous, mieux valu éviter; mais, du moins, leur nationalité n'est, en France, à aucun moment, incertaine. Quant aux enfants nés en France d'étrangers, et dont les parents n'y étaient pas nés, ils sont également Français, mais sous une double condition. D'abord, le seul fait de la naissance en France ne suffit pas à leur conférer la nationalité française; il peut, en effet, résulter du hasard; il faut encore qu'ils soient domiciliés en France à leur majorité, ce qui fait présumer qu'ils y ont toujours habité et qu'ils sont établis à demeure dans notre pays; en outre, ils ont le droit de décliner cette qualité, en prouvant qu'ils ont conservé une nationalité étrangère et, s'il y a lieu, qu'ils ont satisfait à la loi militaire de leur pays. C'est donc au moment de la majorité que la loi s'est placée pour déterminer la nationalité de l'étranger né et domicilié en France. Si, dans l'année qui la suit, il ne manifeste pas expressément une volonté contraire, il est Français et assujetti aux mêmes obligations que ses compatriotes, en particulier au service militaire; s'il réclame, dans les conditions voulues par la loi, une nationalité étrangère, il est

1. Chambre des députés. Documents parlementaires, 1887, p. 231.

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