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Après ces précédents, il faut mentionner le rescrit bien connu du Stathalter d'Alsace-Lorraine. Ce rescrit s'applique à quatre classes de personnes; la quatrième correspond exactement à la situation qui s'est présentée à Francfort. Il s'agit des jeunes gens qui ont émigré munis de l'acte d'affranchissement, et qui, rentrant en Alsace-Lorraine encore en âge de subir le service militaire, s'y fixent d'une manière durable. S'ils produisent la preuve qu'ils ont acquis une autre nationalité, ils doivent être expulsés, comme les jeunes gens de Francfort; il leur est seulement permis de faire dans le pays d'empire un bref séjour de quinze jours à trois semaines par année, chez leurs père et mère ou parents. S'ils n'ont pas acquis une nationalité étrangère, ou si, l'ayant acquise, ils l'ont perdue, ils doivent être incorporés à l'armée, conformément au § 11 de la loi militaire de l'empire. Leur situation juridique est alors réglée, comme si l'affranchissement de la nationalité allemande obtenu par eux avait été infirmé par le défaut d'émigration dans le délai de six mois, et qu'ils eussent par suite recouvré leur nationalité allemande. L'objet des trois premières catégories se rattache sans doute à la pratique administrative prussienne déjà mentionnée, mais la dépasse en ce point essentiel que des jeunes gens dont la nationalité étrangère est bien établie sont placés dans l'alternative d'accepter la nationalité allemande ou de subir l'expulsion, ou bien expulsés sans qu'aucune alternative leur soit laissée, s'il existe quelque considération contre l'octroi de la naturalisation. En tant qu'il s'agit ici des fils de Français mineurs, arrivés à l'âge du service militaire, ce traitement s'écarte tout à fait de celui auquel sont soumis les étrangers dans le reste de l'empire. En tant qu'il s'agit des enfants mineurs d'Alsaciens-Lorrains qui ont valablement opté ou de personnes qui, nées en Alsace-Lorraine, ont été déclarées étrangères par la commission d'option, le rescrit contient une réserve additionnelle relative aux uns et aux autres, pour leur séjour ou leur retour dans le pays d'empire.

Dr KLOEPPEL,

Avocat au tribunal d'empire et Privat docent à l'Université à Leipzig.

Traduits et annotés par MM. LOUIS LE SUBUR et EUGÈNE DREYFUS, docteurs en droit. attachés au ministère de la justice.

Des conflits entre le Code italien et la loi française du 26 juin 1889 sur la nationalité.

Le Code italien, aussi bien que la loi française du 26 juin 1889 sur la nationalité, tout en reconnaissant que les enfants des nationaux acquièrent la nationalité jure sanguinis quel que soit le lieu de naissance, s'écarte de ce principe, dans certaines circonstances, à l'égard des étrangers. Ainsi le Code civil italien (art. 8) considère comme Italien l'individu né dans le royaume d'un étranger qui y est domicilié sans interruption depuis dix ans; mais il lui laisse la faculté d'opter pour la nationalité étrangère dans l'année qui suit sa vingt-etunième année.

La nouvelle loi française sur la nationalité (V. texte Clunet 1889, p. 750) contient une disposition tout à fait semblable à l'égard des individus nés en France d'un étranger qui n'y est pas né, et qui se trouvent en France domiciliés lors de leur majorité, mais elle déclare Français (art. 8, no 3), sans lui reconnaitre aucun droit d'option, « Tout individu né en France d'un étranger qui lui-même y est né. » Cette disposition aboutira certainement à de graves conflits en ce qui concerne la nationalité de l'individu né en France d'un Italien qui, lui aussi, y est né. C'est que, si en France il est Français, il sera toujours considéré en Italie comme sujet Italien, précisément parce que « Est Italien tout individu né d'un Italien. » (C. italien, art. 4. Les conflits pourront même surgir plus souvent si la jurisprudence française, en faisant application du nouvel article 8, n° 3 du Code civil, croit devoir comprendre la femme étrangère, née en France, dans les mots : « d'un étranger qui lui-même y est né ». S'il en est ainsi, tout individu né par hasard en France d'un père italien et d'une mère d'origine française, devenue Italienne après son mariage, sera considéré en France comme Français et en même temps comme Italien en Italie.

En ce qui concerne le service militaire, la loi française sur le recrutement de l'armée du 15 juillet 1889 reconnaît pourtant que les individus qui se trouvent en même temps appar

1. Audinet, Observations sur le projet de loi relatif à la nationalité française. V. Clunet 1889, p. 199.

tenir à une double nationalité, peuvent se soustraire en France au service militaire en établissant leur qualité d'étranger. L'art. 11 dit : « Les individus déclarés Français en vertu de l'article 1er de la loi du 16 décembre 1874 sont portés, dans les communes où ils sont domiciliés, sur les tableaux de recensement de la classe dont la formation suit l'époque de leur majorité. Ils sont soumis au service militaire s'ils n'établissent pas leur qualité d'étranger. » Et, les individus qui sont déclarés Français en vertu de l'art. 1er de la loi du 16 décembre 1874 sont précisément, comme le fait observer M. Weiss', les individus nés en France d'un étranger qui lui-même y est né.

Il est parfaitement juste de dire, comme l'a fait M. Weiss, que cette disposition de la loi du recrutement est en contradiction manifeste avec l'art. 8, no 3, du Code civil. Mais une revision de l'art. 11 de cette loi ne serait pas à désirer, si, tel qu'il est, celui-ci sert à empêcher que des individus soient astreints au service militaire dans deux Etats à la fois, et qu'ils soient poursuivis comme réfractaires dans l'un des deux pays, alors qu'ils ont accompli leur service dans l'armée de l'autre 2.

Dans le cas où un individu naît en Italie, d'un Français domicilié en Italie depuis dix ans, a loi italienne lui reconnaît le droit d'opter pour la nationalité française après avoir atteint la majorité, mais si celui-ci n'accomplit aucun acte d'option, il reste toujours Italien. D'un autre côté, le nouvel article 17 du Code civil français considère comme ayant perdu la qualité de Français par l'effet de la loi, tout individu qui, sur sa demande, a acquis une nationalité étrangère. En interprétant donc à la lettre cet article, on devrait, en France, toujours traiter comme Français l'individu, d'origine française, qui acquiert la nationalité italienne sans l'avoir demandée. Mais il faut espérer que la jurisprudence acceptera une tout autre interprétation c'est que, si l'individu, né d'un Français en Italie, n'a pas lors de sa majorité opté d'une manière expresse, pour la nationalité italienne, il l'a pourtant

1. Weiss, La nouvelle loi sur la nationalité dans ses rapports avec le recrutement militaire. V. Clunet 1890, p. 16.

2. Pour avoir une interprétation française de la loi militaire, consultez Questions pratiques, n°56-61 (et surtout Q. 60) Clunet 1890, p. 98 et 62-63, ibid., p. 270.

fait d'une façon tacite; et s'il n'a pas accompli la formalité de la déclaration qui lui aurait fait perdre la qualité d'Italien et acquérir celle de Français, on peut dire qu'il a néanmoins manifesté indirectement sa volonté de rester Italien.

Si, en France, on juge que cette circonstance peut équivaloir à une déclaration expresse de volonté, on évitera des cas nombreux de double nationalité.

Le changement de nationalité opéré par un chef de famille. pourra aussi donner lieu à des conflits entre la loi française et la loi italienne.

:

Si un Italien se transporte avec sa famille en France et y obtient la naturalisation, sa femme perdra la nationalité italienne de plein droit. L'art. 11 du Code civil italien établit que la femme et les enfants mineurs de l'individu qui a cessé d'être Italien deviennent aussi étrangers s'ils n'ont plus leur résidence dans le royaume. De l'autre côté, l'art. 12 du Code français dispose que « La femme mariée à un étranger qui se fait naturaliser Français et les enfants majeurs de l'étranger naturalisé pourront, s'ils le demandent, obtenir la qualité de Français sans condition de stage. » Si donc la femme omet de demander à être naturalisée avec son mari, elle restera sans nationalité, car elle ne sera plus Italienne après s'être transportée à l'étranger avec son mari qui a obtenu une nationalité étrangère et elle ne sera pas même Française, puisqu'elle n'aura pas acquis cette qualité.

A l'égard des enfants mineurs, la nouvelle loi française du 1889 a fait cesser le conflit qui existait auparavant entre les lois antérieures sur la nationalité et le Code italien. Les enfants mineurs d'un Italien d'origine, naturalisé Français, qui ne résident pas en Italie, seront désormais considérés comme Français, non seulement en Italie, mais aussi en France.

Mais la situation ne serait pas la même si un Français obtenait la naturalisation en Italie. Dans ce dernier pays, on estimera Italiens la femme et les enfants mineurs de l'étranger naturalisé, s'ils résident dans le royaume; en France, au contraire, on peut croire que la loi française du 26 juin 1889, même sans le dire expressément, accepte le principe. que la perte de la nationalité doit toujours être individuelle'.

1. Cogordan, La nationalité au point de vue des rapports internationaux, 2 édition, p. 249.

Le nouvel art. 19 du Code français ne laisse plus de doute sur la nationalité de la femme d'origine française qui, après avoir épousé un étranger résidant en France, devient veuve, C'est une disposition qui concorde parfaitement avec la loi italienne. On pourrait néanmoins croire le contraire, si l'on se bornait à faire application de l'art. 9 du Code italien qui dispose que : « La femme étrangère qui épouse un national acquiert la nationalité et la garde pendant le veuvage. » Mais il faut aussi faire application de l'art. 11, no 2, du même Code qui déclare avoir perdu la nationalité italienne l'individu qui a acquis une nationalité étrangère. Si donc c'est sur sa demande que la femme a obtenu d'être réintégrée dans la qualité de Française, elle doit perdre par là même, et conformément à l'art. 11 du Code civil, la qualité d'Italienne1. C'est qu'en effet, d'après la loi française du 26 juin 1889, la femme d'origine française, mariée à un étranger, n'est plus réintégrée de plein droit dans la qualité de Française si elle réside en France lors de la mort de son mari, « mais elle recouvre la qualité de Française avec l'autorisation du Gouvernement, pourvu qu'elle réside en France ou qu'elle y rentre en déclarant qu'elle veut s'y fixer. »>

A la suite de cette déclaration, qui est donc nécessaire pour le recouvrement de la nationalité française, même dans le cas de résidence, nous croyons que la veuve a perdu sa qualité d'Italienne même d'après la loi italienne.

Si l'on veut rechercher quel effet, suivant la législation italienne, peut produire sur la nationalité des enfants mineurs un changement de nationalité opéré par une femme après la dissolution du mariage, il ne faut pas oublier que le Code italien a consacré le principe de l'unité de la famille. Il faut encore considérer que ce Code, dans le cas de survivance de la mère, a tout-à-fait assimilé celle-ci au père en ce qui concerne l'exercice de la puissance paternelle; il faut donc en conclure, même si le Code italien ne le dit pas expressément, qu'un changement de nationalité, opéré par une une femme veuve, a, sur la nationalité des enfants, le même effet qu'un changement opéré par le père s'il était encore vivant 2. Si

1. Bianchi-Corso, del Codice civile italiano, vol. IV, p. 235. Dispensa 13. Torino, Unione Tipografico Editrice.

2. Catellani. Il Diritto Internazionale privato e i suoi recenti progressi, vol. II, p. 120, n° 298. Torino, Unione Tipografico, Editrise, 1885.

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