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saisie pratiquée en Hollande ayant été levée à la suite de la prestation d'un cautionnement fourni avec le consentement des demandeurs, il ne serait pas de bonne foi de faire saisir de nouveau le navire; car, en consentant à ce qu'il fût affranchi de la saisie exercée en Hollande, les demandeurs avaient fait du Christiansboy un navire complètement libre, du moins en ce qui concernait leurs prétentions; la cour dit, à l'unanimité, que les deux procès ayant été intentés dans des pays différents, le second n'était pas à priori vexatoire, et la majorité décida que le fait qu'on avait donné caution aux Pays-Bas, et qu'une nouvelle caution était demandée en Angleterre était une circonstance spéciale, plus forte que la présomption, qui enlevait même aux demandeurs le droit de choisir la juridiction devant laquelle ils se désisteraient.

Le jugement en sens contraire du Maître des Rôles est encore d'une plus grande importance, à raison de ce qu'il nous semble s'attacher bien étroitement à l'esprit de la règle qui veut que l'exception de litispendance, soulevée devant un tribunal étranger, ne soit admise que si la procédure et les voies d'exécution employées devant cet autre tribunal s'accordent avec la procédure et les voies d'exécution admises en Angleterre. En adoptant cette opinion, le Maître des Rôles fait remarquer que les cours d'amirauté établies dans les différents pays, tout en appliquant, du consentement commun de toutes les nations, aux faits qui se sont passés sur la haute mer, la loi maritime, qui est la loi commune à toutes les nations, ne sont cependant que des cours municipales du pays dont elles relèvent respectivement; il fait aussi observer que ces cours, lorsqu'elles interprètent ces règles, n'exercent pas une autorité pleine et entière sur les tribunaux étrangers. Elles ne peuvent, en effet, que faire frapper de saisie le navire et l'en affranchir, dans le cas où une caution est fournie. Il fait aussi observer que, dans l'espèce, les demandeurs ne pouvaient, d'après lui, se faire donner caution dans les deux pays à la fois, et qu'il était vexatoire de leur part de l'exiger des armateurs.

Quant à ce dernier point, il nous paraît offrir une assez grande analogie avec la procédure en vigueur avant le statut 1 et 2 Vict. c. 110, qui a établi la contrainte par corps pendant le procès, et d'après laquelle une partie qui avait dû donner une caution pour obtenir sa mise en liberté, ne pouvait être con

trainte d'en fournir une seconde qu'à la suite d'un jugement spécial.

Le Maître des Rôles ajoute que l'intimé, ayant ainsi fait, dans une certaine mesure, la preuve mise à sa charge, doit démontrer, en outre, que les demandeurs ont les mêmes chances et les mêmes facilités de succès à l'étranger qu'en Angleterre, et il insiste sur ce fait que, dans le cas où la procédure en Hollande serait la même qu'en Angleterre, les demandeurs ne pourraient exercer aux Pays-Bas aucune voie d'exécution parce que, la saisie sur le navire ayant été levée à la suite d'une simple caution privée, il n'y avait, pour assurer l'exécution du jugement, ni navire (la res), ni caution - judiciaire et que par conséquent la cour, dépourvue de moyens pour faire respecter ses décisions, ne retiendrait plus la cause. De ce raisonnement, il conclut que si la procédure hollandaise et anglaise se ressemblent, il serait injuste d'imposer aux demandeurs le désistement du procès qu'ils ont engagé en Angleterre. Si, au contraire, les deux procédures different, il faut encore se poser la question suivante: «Un jugement hollandais, qu'on ne peut exécuter que contre un tiers, équivaut-il à un jugement anglais à la suite desquels une caution judiciaire a été donnée? » Le Maître des Rôles répond: « Certainement non », et dit que, pour cette raison, il serait injuste et contraire aux règles exposées cidessus de forcer les demandeurs à se désister du procès intenté en Angleterre.

Tels sont les principes qui servent de guide aux cours de justice anglaises. Peut-être méritent-ils d'attirer l'attention des jurisconsultes des pays où d'autres solutions sont admises.

H. H. PHEAR,

Solicitor près la Cour suprême de judicature, à Londres.

CHRONIQUE

Offenses et actes hostiles.

· Agent diplomatique.

Outrage et voie de fait contre l'attaché militaire d'une ambassade étrangère.

Répression pénale.

Affaire du commandant Hue, attaché militaire à l'ambassade de France à Berlin, frappé par un maquignon allemand. (France, Allemagne.)

Pendant les vacances de 1889, le 23 août, à Berlin, un maquignon du nom de Beermann, conduisant un breack, vint à croiser, au sortir du Thiergarten, le commandant Hue, premier attaché militaire de l'ambassade de France, qui finissait sa promenade à cheval. Le maquignon, du haut de sa voiture, frappa par deux fois le commandant français à coups de fouet. Ce dernier fut obligé d'inviter un agent de police à dresser procès-verbal et de saisir lui-même de sa plainte les juges compétents.

L'irritation du maquignon provenait de ce qu'il avait vendu au commandant un cheval plein de tares, et que l'officier français, ayant reconnu la tromperie, avait obtenu la résiliation de la vente.

M. Spuller, à cette époque, ministre des affaires étrangères de France, fit demander des explications à notre ambassadeur à Berlin, M. Herbette, alors en congé. L'affaire ayant été déférée à la justice locale, elle ne fut pas suivie par la voie diplomatique.

Le Tribunal correctionnel de Berlin rendit contre Beermann le jugement suivant :

Le Landgericht de Berlin (2e ch.), 11 mars 1890.

Au nom du Roi!

Dans l'instance correctionnelle dirigée contre Beermann, maquignon, né le 28 décembre 1859, à Salvermeisel, district de Francfort-sur-l'Oder, et arrêté à Berlin, Karlstrasse n° 9, pour délit de voies de fait; la deuxième chambre du Tribunal régional, réunie à Berlin, le 11 mars 1890, a déclaré le prévenu coupable de l'infraction sus-visée et l'a condamné à six semaines d'emprisonnement et aux dépens.

Ont pris part au jugement:

1 M. Bransewelter, président du Tribunal régional;

2° M. Grandke, conseiller de justice;

3o Comte Strackwitz, conseiller de justice;

4° Dr Andre, juge.

Kroner, assesseur de justice, et de Grotius, référendaire, faisant fonctions de greffier.

La décision sus mentionnée est intervenue en raison des faits suivants : Le premier attaché militaire de l'ambassade de France à Berlin, commandant Hue, avait, dans le courant de l'année 1889, acheté, pour le prix de 800 marks, un cheval de selle au prévenu. Il ne tarda pas, pour des raisons diverses, à être mécontent de son achat. Beermann s'était, en premier lieu, attribué la qualité de propriétaire, non celle de maquignon qui lui appartenait réellement, et le commandant avait déclaré à plusieurs reprises qu'il refusait de traiter avec un homme faisant métier de vendre et d'acheter des chevaux. Le prévenu avait, en outre, indiqué l'âge de 8 à 9 ans comme étant celui de sa bête, âgée, en réalité, de 14 à 17 ans. Il ressortait en dernier lieu, d'un examen plus attentif, que le cheval acheté par Hue était affligé de certains vices rédhibitoires et manquait, en revanche, de la plupart des qualités que lui avait complaisamment attribuées le revendeur.

L'attaché militaire somma le prévenu de résoudre le contrat intervenu. Beermann reprit le cheval et remboursa une partie du prix d'achat; il finit par rembourser le prix total, à la suite d'une nouvelle mise en demeure.

Ces incidents avaient eu pour effet de tendre outre mesure les rapports accidentels existant entre le commandant et le prévenu. Ces deux personnes venaient-elles à se rencontrer? Elles échangeaient quelques paroles, souvent injurieuses, et Hue manifestait fréquemment son mépris pour la conduite de son co-contractant, en crachant devant lui avec affectation. Il est impossible de dire de quel côté venaient les provocations et qui, de Bermann ou de l'attaché militaire, alla le plus loin dans la voie de l'injure.

Le 23 août 1889, vers 9 heures 1/2 du matin, le commandant Hue, venant du Thiergarten, suivait à cheval le chemin affecté aux cavaliers, sur la place Royale, en tirant vers la Roomstrasse. Au même instant passait le prévenu, dans un break à deux chevaux contenant trois autres personnes. Le break était lancé au grand trot, dans la même direction que Hue et longeait le chemin dans lequel celui-ci s'était engagé. Beermann aperçut le commandant; il approcha aussitôt de lui sa voiture, de façon à le toucher presque. Hue lui cria de rester sur le chemin affecté aux équipages. Le prévenu arrêta aussitôt le break qu'il conduisait lui-même et prononça quelques paroles injurieuses à l'adresse du commandant. Celuici ne répondit pas, tout au moins ne répondit pas sur le mème ton, mais il manifesta son mépris en détournant la tête et en crachant avec affectation devant lui. Beermann se leva aussitôt, se pencha en arrière et frappa le commandant Hue, à deux reprises consécutives, avec le fouet qui lui servait à conduire.

L'attaché militaire fut atteint à la tête, et cela si violemment, qu'il ressentit les coups insuffisamment amortis par son chapeau haut de forme. Il détourna son cheval, pria un agent de police de dresser procèsverbal et fit quelques pas pour recueillir le témoignage des personnes présentes. La voiture du prévenu, pendant ce temps, s'éloignait au grand

trot.

Ces faits ont été attestés sous la foi du serment par la victime ellemême, par le marchand d'imprimés Lebnigk, le jardinier Block et le sieur Gehvler, ainsi que par le garçon boulanger Kubon, interrogé en vertu d'une commission rogatoire et dont la déposition a été lue à l'audience.

Les déclarations sus visées se trouvent, du reste, dans une certaine mesure, en contradiction avec celles du maquignon Caspary, du maître d'écurie Joachimsthal et du maquignon Levy. Les deux premiers témoins ont déposé en personne et le troisième a fait, le 3 janvier 1890, sa déposi. tion à Aix-la-Chapelle devant une commission rogatoire. Ils affirment, et sur ce point leur témoignage se trouve être d'accord avec celui de Beermann, qu'étant dans la même voiture que ce dernier ils ont entendu le commandant Hue l'appeler « fils de Juif et escroc » ; qu'ils ont vu leur ami lever son fouet, mais qu'ils n'ont été témoins d'aucune violence matérielle. Caspary et Joachimsthal déclarent que le prévenu n'a pu frapper l'attaché militaire, car ce fait ne leur eût point échappé, tandis que d'après Lévy des coups ont pu être portés.

Le Tribunal n'a pas cru devoir attribuer une importance décisive à ces trois dépositions. Une confusion a pu s'établir dans l'esprit des témoins qui avaient peut-être présentes à la mémoire d'autres scènes de violence survenues entre le prévenu et le commandant. Caspary et Joachimsthal ont reconnu s'être promenés maintes fois dans la voiture de Beermann et avoir assisté à diverses altercations entre lui et l'attaché militaire français. Il ressort des documents soumis au Tribunal que le prévenu a frappé son adversaire avec un fouet et à deux reprises consécutives. Ce faisant, il agissait avec la volonté bien arrêtée d'infliger à Hue un châtiment corporel, et avec la conscience claire et distincte de la souffrance physique qu'il risquait de lui faire éprouver, et qui a été effectivement ressentie.

Le prévenu s'est par suite rendu coupable de voies de faits. On peut néanmoins faire valoir en sa faveur, comme circonstance atténuante, cette considération que le fouet, instrument de l'infraction, n'était, ni par sa nature, ni par la façon dont son propiétaire s'en est servi, susceptible d'occasionner une blessure quelconque.

Il ressort des documents joints au dossier que le commandant Hue a saisi les juges compétents dans les délais légaux et que Beermann s'est rendu coupable, le 23 août 1889, d'un délit tombant sous le coup de l'article 223 du Code pénal de l'Empire; que ce délit, d'un autre côté, n'a pas été commis à l'aide d'un instrument dangereux.

Le Tribunal se trouve donc en présence d'une atteinte grossière portée à la considération d'un individu, atteinte qui s'est traduite par des voies de fait ayant eu pour effet d'infliger à cet individu une souffrance physique. Cette double atteinte mérite d'autant plus d'être réprimée que le prévenu savait pertinemment se trouver en présence d'un homme revêtu par son gouvernement de fonctions diplomatiques, et ayant, par suite, droit aux plus grands égards.

Le Tribunal, pour ces motifs, n'a pas cru devoir prononcer une simple peine pécuniaire.

Il importait néanmoins de considérer que le commandant, lors de ses altercations avec le prévenu, s'était montré particulièrement outrageant à son égard; et que, le 23 août 1889, se trouvant en presence de Beermann, il avait craché devant lui avec affectation, et cela avant que les coups fussent portés.

Cet acte ne peut, il est vrai, être considéré comme l'équivalent des voies de fait subies et permettre au juge de renvoyer le prévenu des fins de la plainte conformément aux dispositions de l'article 233 du Code pénal. Hue, en cracbant avec affectation devant lui, se bornait à témoigner son mépris pour des injures subies sans provocation aucune. On ne saurait

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