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haut, pour reconnaître à une infraction le caractère politique, qu'elle ait eu lieu pendant un mouvement insurrectionnel et pour favoriser le mouvement. Les principes de la Suisse sur les délits complexes se retrouvent cependant dans un arrêt de la Cour de cassation, rendu à l'occasion du meurtre du général Bréa et décidant que, « si l'acte aggravant la rébellion constitue par lui-même un crime de droit commun, il ne peut échapper à la peine que la loi commune prononce; en effet, la connexité avec l'insurrection, c'est-à-dire avec un autre crime, ne peut être considérée comme une excuse et déterminer une atténuation de la peine'. » Cet arrêt avait été d'ailleurs précédé d'un éloquent réquisitoire du procureur général Dupin, dans lequel il soutenait que le mélange du caractère politique ne doit pas couvrir les crimes d'une toute autre nature et que, bien au contraire, l'accession du crime de droit commun fait perdre au délit politique son caractère exceptionnel.

C'est cette dernière opinion qui s'est manifestée clairement dans la séance du Sénat français le 3 avril 1879. D'après le projet de loi voté par cette assemblée, l'extradition n'aura pas -lieu « quand les crimes ou délits auront un caractère politique ». Un sénateur ayant proposé d'ajouter « ou seront connexes à un délit politique, « le rapporteur, M. Bertauld, au nom de l'unanimité de la Commission, fit remarquer les dangers qu'il y aurait à inscrire dans la loi que la seule circonstance de la connexité avec un fait politique devrait exclure l'extradition et les inconvénients que présenterait une disposition aussi vague. Le Sénat s'est rangé à l'avis de la Com

mission.

un

Ajoutons toutefois qu'un Etat ne peut se lier avec autre, d'après les principes suivis dans la convention austrosuisse, que s'il trouve chez la partie contractante une législation et des juridictions présentant de grandes garanties. Ainsi il ne semble pas qu'un traité fondé sur ces bases pourrait être conclu avec la Russie. La loi de ce pays établit de notables différences entre les crimes ordinaires et les crimes politiques. Par exemple, en matière d'attentat contre la vie de l'empereur, le procès a lieu devant un tribunal militaire, la procédure est secrète : la peine édictée est la peine de mort

1. Ch. crim., 9 mars 1849; Dalloz 1849, 1. 60.

(art. 241 du Code pénal). On ne saurait donc dans l'espèce séparer le crime politique du crime de droit commun, et ne poursuivre que le dernier. La réserve stipulée par le traité austro-suisse serait ici illusoire.

Ces considérations ont été exposées devant le Sénat à Washington, le 15 janvier 1890, lors de la discussion du traité d'extradition projeté entre la Russie et les Etats-Unis. Le gouvernement russe proposait un article connu dans la presse américaine sous le nom de « Dynamite clause », qui disposait que le meurtre volontaire d'un souverain ou chef d'Etat ou d'un membre de sa famille, ainsi que la tentative ou la participation à ce crime, ne serait pas considérée comme délit politique. A la suite d'observations présentées par plusieurs orateurs qui ont fait remarquer que, à l'aide de cette clause, la Russie pourrait chercher à se faire livrer des personnes ayant participé à des entreprises révolutionnaires, la convention a été renvoyée à l'examen du Comité des affaires étrangères.

Quoi qu'il en soit, la solution donnée par la Suisse à la question des délits politiques et connexes doit être remarquée, car elle vient d'un pays qui n'est pas suspect en cette matière, puisqu'il a toujours tenu à honneur d'exercer le droit d'asile dans sa plus large acception. Il a d'ailleurs prouvé maintes fois, et récemment encore, qu'il savait résister énergiquement et efficacement à la pression des grandes puissances. Si donc il a cédé sur ce point, ce n'est pas par faiblesse ou condescendance pour de puissants voisins. En tout cas, le traité austro-suisse est une manifestation des efforts faits pour arriver à une solution plus approfondie de la question. S'il n'y a pas eu jusqu'ici de définition de l'infraction politique, une doctrine se dégage peu à peu qui exige certains éléments constitutifs de cette infraction.

Les juges anglais estiment qu'il ne suffit pas, pour qu'un fait revète le caractère politique, que l'auteur ait un but politique; il ne suffit pas que ce fait ait lieu au cours d'une insurrection ou d'un mouvement: il faut encore que ce fait en soit une partie intégrante.

Le gouvernement suisse reconnaît, en cas de complexité, que le crime de droit commun n'est pas couvert par le crime politique qui l'accompagne.

LENEPVEU DE LAFONT.

Le droit international privé en Bosnie
et Herzégovine.

L'article 25 du Traité de Berlin a remis au gouvernement austro-hongrois l'administration des provinces turques de Bosnie et d'Herzégovine'. Son texte laisse en suspens la question de savoir si les Bosniaques et les Herzégoviniens se rattachent encore par un lien quelconque à la nationalité ottomane. Même incertitude dans les termes de la Convention intervenue, le 21 avril 1879, entre l'Autriche-Hongrie et la Sublime-Porte2. Le préambule semble réserver les droits du sultan, et le texte de la convention elle-même renferme certaines dispositions, volontiers invoquées par les publicistes qui interprètent dans un sens favorable à la Turquie les clauses des divers actes consacrant son démembrement..... « Il ne sera pas, porte l'article 2, dérogé à l'usage actuellement existant d'arborer le drapeau ottoman sur les minarets... Le nom du sultan continuera à être invoqué dans les prières publiques. » Mais on ne saurait s'appuyer sur cette disposition pour attribuer à la Porte une souveraineté nominale sur les territoires placés hors de sa sphère d'action par le traité de Berlin. Le sultan, M. Lingg le fait remarquer avec beaucoup d'a-propos, joint à la qualité de souverain temporel celle de souverain spirituel; son drapeau est aussi et avant tout l'étendard du Chef des croyants 3. De graves objections s'élèvent également contre la doctrine qui attribue à l'occupation de la Bosnie par l'Autriche-Hongrie la valeur d'une véritable conquête. La situation juridique que nous examinons doit être interprétée par l'acte qui lui a donné naissance, et

1. Art. 25 du Traité de Berlin (13 juillet 1878). « Les provinces de Bosnie et d'Herzégovine seront occupées et administrées par l'AutricheHongrie..... >>

2. Les termes de la convention précitée ont été arrêtés par le comte F. Zichy, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Sa Majesté l'empereur d'Autriche, Caratheodory-Pacha, ministre des affaires étrangères, et Munif Efendi, ministre de l'instruction publique de l'Empire

ottoman.

3. Die staatsrechtliche Stellung Bosniens und der Hercegovina, » par le D E. Lingg de Prague. Archiv für öffentliches Recht. (Fribourg-enBrisgau), 1890, p. 503.

les termes de l'article 25 du Traité de Berlin excluent toute idée d'annexion. Nous ne mentionnerons que pour mémoire les théories qui font de ces deux provinces, soit un pays protégé, soit un Etat nouveau, temporairement privé des droits inhérents à la souveraineté. La diplomatie européenne a laissé une certaine incertitude planer sur cette partie de son œuvre, et il serait téméraire de rechercher quelle est, au point de vue de la science juridique abstraite, la situation des territoires rattachés à la Monarchie austro-hongroise par un lien si mal défini.

Evitant toute incursion dans le domaine du droit international public, nous nous bornerons à l'étude de quelques questions pratiques rentrant dans le cadre du Journal. Mettant à profit les remarquables travaux publiés sur la matière par MM. Lingg et Eichler', nous rechercherons quelle est la condition juridique: 1° des Bosniaques et des Herzégoviniens résidant dans leur pays d'origine; 2o de ces sujets Bosniaques et Herzégoviniens établis à l'étranger; 3° des Austro-Hongrois et des étrangers séjournant dans les deux provinces.

I

Le Traité de Berlin et la Convention additionnelle ne fournissant pas les éléments d'une réponse à la première de nos deux questions, il importe d'en chercher la solution dans les actes du gouvernement de Vienne. Une seule autorité, depuis l'occupation de la Bosnie et de l'Herzégovine, a exercé en fait le pouvoir d'y mettre en vigueur des lois, décrets et ordonnances, à savoir le Ministère commun2, auquel est subordonné, comme agent d'exécution, ayant dans certains cas un large droit d'initiative, le gouvernement local (Landesre

1. Das Justizwesen Bosniens und der Hercegovina, 1889. Imprimerie Impériale et Royale de Vienne.

2. Voir, sur l'organisation de la Monarchie austro-hongroise, Ann. de lég. étr., 1873, p. 347. - 1874, p. 256 et 257. Les ministres Communs sont au nombre de trois; l'un d'eux, le ministre des finances, est spécialement chargé de la direction des affaires bosniaques. Voir Eichler, p. 116, 117. Les délégations ont plusieurs fois réclamé en vain le droit de légiférer pour la Bosnie et de régler son budget.

gierung) de Serajewo1. L'un et l'autre de ces organes de la puissance publique ont entrepris, sous la haute direction de l'empereur, la réorganisation administrative et juridique des provinces occupées, en observant une ligne de conduite qui se résume dans les deux propositions suivantes : absorption de l'ancien Vilajet turc dans la Monarchie austro-hongroise; assimilation aussi complète que possible de ses habitants aux Austro-Hongrois.

Nulle barrière légale ne subsiste plus entre les pays du Dualisme d'un côté, la Bosnie et l'Herzégovine de l'autre. Ni le Bosniaque qui se rend en Autriche, ni l'Autrichien qui se rend en Bosnie n'auront à se munir d'un passeport proprement dit (Auslandspass 2). Une simple carte d'identité (Legitimationskarte), nécessaire à quiconque s'absente de sa province d'origine sans aller à l'étranger, sera considérée comme suffisante. La justice, dans les districts ressortissant au gouvernement de Serajewo, est rendue, comme en Autriche et en Hongrie, au nom de l'empereur-roi, par des Tribunaux dont les membres reçoivent l'investiture du pouvoir impérial. Ces Tribunaux connaissent, non seulement des litiges intéressant les Austro-Hongrois, mais encore des procès dans lesquels sont seules parties les indigènes, et la constatation de ce fait suffirait à infirmer la théorie qui ramène à une simple forme de protectorat le lien rattachant la Bosnie à l'Autriche-Hongrie 3. Leurs sentences sont exécutoires dans les pays du Dualisme, sous la seule condition qu'elles émanent d'un juge compétent et qu'elles aient acquis force de chose jugée Décrets du Gouvernement local, du 27 décembre 1879 pour l'Autriche et du 4 février 1880

1. Voir la loi du 27 octobre 1878, sur l'organisation administrative et judiciaire de la Bosnie et de l'Herzégovine: Eichler, p. 118 et suivantes. 2. Op. cit., p 505.

3. Cf. A. Wilhem, Théorie juridique des protectorats, Clunet 1890, p. 204 et suivantes. « Le protectorat, dit le savant auteur (p. 210), entraîne, de la part du protégé, l'abandon de sa juridiction sur les sujets de l'Etat protecteur, qui se trouvent ainsi soustraits à l'action des juges territoriaux. » La convention intervenue peut avoir pour effet d'étendre au delà de ces limites le pouvoir juridictionnel de l'État protecteur et nous renvoyons, sur ce point, aux pages que M. Wilhem consacre aux traités du Bardo, de Hué et de Tamatave; mais on ne saurait citer d'exemple de pays protégé renonçant au droit de faire juger par ses propres tribunaux les litiges qui viendraient à s'élever entre ses sujets.

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