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traités et l'intention présumée des contractants, laquelle dépend de cette nature même.

2. Or, il ne parait pas douteux que le recourant est soumis à l'autorité pénale de l'État italien pour les délits qui lui sont reprochés. En admettant même que la colonic Erythrée ne fasse pas partie du territoire italien dans le sens strict du mot, on ne saurait contester qu'elle soit soumise à la souveraineté et tout spécialement à la juridiction du royaume d'Italie. Le recourant objecte, il est vrai, que les lois pénales italiennes ne sont pas applicables à la colonie Erythrée, parce qu'elles n'y ont pas été promulguées, et que c'est le droit égyptien qui y est encore en vigueur; mais ce moyen, abstraction faite de sa portée au point de vue de l'obligation d'extrader, est, en tout cas, absolument sans valeur pour autant qu'il s'agit de ressortissants italiens, et notamment, comme en l'espèce, de militaires italiens. Ainsi que cela a déjà été exposé dans l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral en la cause Cini, les ressortissants d'Etats européens qui se trouvent au bénéfice de capitulations, les Italiens en particulier, sont soumis, en Égypte, non pas au droit égyptien, mais au droit pénal de leur pays d'origine. Ainsi donc, même abstraction faite de l'occupation de Massaouah par les troupes italiennes et de la soumission de ce territoire à la souveraineté du royaume d'Italie, le recourant serait soumis, non pas au droit pénal égyptien, mais au droit pénal italien. Mais, en outre, il est absolument incontes

1. Vattel avait formulé la règle très générale que voici : « Toutes les fois que les lois politiques ou les traités n'ont pas établi de distinctions contraires, ce que l'on dit du territoire d'une nation s'applique en même temps à ses colonies » (comp. Calvo, II, 2 40). Cependant, dans nombre de conventions internationales, et particulièrement dans les traités récents, les parties contractantes ont cru devoir régler la situation de leurs colonies ou possessions étrangères par des stipulations expresses. On peut citer comme très caractéristique à cet égard l'art. 19 de la convention internationale de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, d'après lequel les pays accédant à la convention peuvent, soit faire une déclaration générale par laquelle toutes leurs colonies ou possessions sont comprises dans l'accession, soit nommer expressément celles qui y sont comprises, soit se borner à indiquer celles qui en sont exclues. En ce qui concerne spécialement l'extradition, la pratique varie suivant les pays. Comp. Billot, Traité de l'extradition, p. 140; Bernard, Traité théorique et pratique de l'extradition, II, p. 606; Lammasch, Auslieferungspflict und Asylrecht. p. 91 et suivantes; Georg Meyer, Die staatsrechtliche Stellung der deutschen Schutzgebiete, p. 212 et suivantes. 2. V. la juridiction consulaire, Journal des Trib. de Lausanne 1891, p. 177.

table, suivant un principe reconnu du droit des gens, qu'en tout cas les soldats qui font partie des garnisons italiennes à Massaouah sont soumis au droit pénal italien, et non pas au droit égyptien (comp. art. 3 du Code pénal militaire italien) 1.

3. Quant au moyen consistant à dire que le Tribunal militaire de Massaouah, duquel émane le mandat d'arrêt et par lequel l'opposant doit être jugé, n'est pas une autorité italienne, et en tout cas pas une autorité compétente au sens du traité, mais bien un tribunal d'exception, inconstitutionnel et illégal, il y a lieu de remarquer ce qui suit le Tribunal militaire de Massaouah, bien que siégeant en dehors du royaume d'Italie, est incontestablement un tribunal italien, un organe de l'autorité publique, au moyen duquel l'État italien exerce son droit de juridiction. De plus le traité d'extradition ne limite pas l'obligation d'extrader aux délits qui relèvent des tribunaux ordinaires; par conséquent, l'extradition ne saurait être refusée par le seul motif que le mandat d'arrêt émane d'un tribunal militaire. La compétence des tribunaux de l'État requérant étant établie en principe, il n'appartient pas non plus à l'État requis d'examiner si le tribunal nanti de la poursuite pénale est compétent d'après les principes en vigueur dans l'État requérant au sujet du for et de la compétence, ou si, au contraire, d'après ces principes, la compétence appartiendrait à un autre tribunal de l'Etat requérant. La fixation de la compétence entre les différents tribunaux de l'État requérant est une pure question de législation intérieure, qui ne concerne pas l'autre État. Par contre, le juge chargé de statuer sur l'extradition a certainement le droit de rechercher si le tribunal dont émane le mandat est, d'une façon générale, une autorité judiciaire dans le sens donné à cette expression lors de la conclusion du traité, eu égard à l'organisation judiciaire de l'État requérant, ou si, au contraire, ce tribunal apparaît comme un tribunal d'exception, étranger à cette organisation et ne présentant pas les garanties de bonne administration de

1. Comp. Carrara, Programma del corso di diritto criminale, parte generale, II, 1033, note 1.

En 1865, lors de l'occupation de Rome par les troupes françaises, un sergent qui s'était rendu coupable des délits de vol et de faux, réussit à se réfugier sur le territoire italien. La France demanda et obtint l'extradition. Pasquale Fiore, Diritto internazionale pubblico, I, no 538. Comp. également Calvo, III, 1891 et 1894.

2. Le Tribunal fédéral s'est déjà prononcé dans ce sens dans l'affaire Abrard. Voir Clunet 1890, p. 745.

la justice dont les parties supposaient l'existence lors de la conclusion du traité. Il n'y a là aucune immixtion indue de l'État requis dans les affaires intérieures de l'État requérant, mais simplement une constatation licite de l'existence des conditions de l'extradition'. En effet, l'obligation d'extrader est assumée par les États contractants en considération de la confiance que leur inspirent les institutions judiciaires de l'autre partie. Or, le Tribunal militaire de Massaouah est, quant à sa composition et à sa procédure, un conseil de guerre de la nature de ceux qui peuvent être établis à teneur de la législation italienne, soit du Code pénal militaire du 28 novembre 1869 (article 540); en tant qu'il s'agit de personnes soumises à la juridiction militaire, ce tribunal ne saurait donc être considéré comme un tribunal d'exception, ne répondant pas aux institutions judiciaires telles que les parties les avaient en vue lors de la stipulation du traité d'extradition. Il importe peu qu'il ait été établi, non par une loi spéciale, mais par des ordonnances du commandant militaire en chef; en effet, le Code pénal militaire autorise en principe des ordonnances de cette nature, et, en l'espèce, elles ont évidemment été approuvées par le gouvernement et par le parlement, soit expressément, soit tacitement, pour autant du moins qu'il s'agit de sa compétence à l'égard de personnes soumises à la juridiction militaire.

4. Il suit de ce qui précède que la demande d'extradition doit être admise pour autant qu'il s'agit de délits prévus par le traité. Or, à teneur de l'article 2, chiffres 1, 7 et 10, les délits d'homicide, de péculat et de concussion, reprochés au recourant, apparaissent comme visés par ce dernier. Il en est autrement, en revanche, du délit de calomnie, ainsi que le Tribunal fédéral l'a déjà admis dans son arrêt du 10 avril 1885 concernant la cause Migliavacca 2. L'extradition doit donc être accordée pour les premiers de ces délits, mais refusée pour le dernier. P. C. M. Le Tribunal fédéral prononce : 1o l'extradition de Dario Livraghi au gouvernement royal d'Italie est accordée pour homicide, concussion et péculat; elle est, par contre, refusée pour le délit de calomnie; 2o communication du présent arrêt sera fait par copie en trois

1. Un tel droit d'appréciation du pays requis n'est pas reconnu par tous les auteurs. Il existe cependant chez beaucoup une défiance très légitime vis à vis des tribunaux d'exception. Voir les ouvrages déjà cités de Bernard, II, 381; Billot, p. 94 et 179, et surtout Lammasch, p. 494

à 497.

2. Recueil officiel, XI, p. 180.

doubles au Conseil fédéral suisse de Lausanne, le 20 juin 1891, au nom du Tribunal fédéral suisse.

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En somme, de la doctrine du Tribunal fédéral suisse se dégagent les propositions suivantes, dont plusieurs sont d'accord avec les principes déjà consacrés par la jurisprudence antérieure, et dont quelques autres ont l'intérêt de la nouveauté :

1. a) L'article 1er du traité italo-suisse de 1868 (son texte est à peu près celui des traités conclus par la Suisse avec les autres puissances) ne limite pas l'obligation d'extrader aux délits commis sur le territoire de l'État requérant. Il y aura lieu à extrader, même si le délit a été commis sur un territoire sur lequel l'État requérant prétend à tort ou à raison exercer le dominium.

b) L'effet des traités diplomatiques conclus avec un État s'étend même aux États indépendants, dépourvus de traités, qu'il s'est

ultérieurement annexés.

(Cf. Jurisprudence française en ce sens, Clunet 1891, p. 480 et la note.) c) Il n'est pas nécessaire de rechercher si, à défaut de mention expresse, les traités d'extradition s'appliquent aux colonies ou possessions plus ou moins définitives de l'État requérant. Par le fait que cet État y exerce l'autorité pénale, les délits qui s'y commettent sont censés accomplis sur son territoire.

2. Sur un territoire étranger occupé par les troupes d'un Etat, les militaires faisant partie de ces troupes sont soumis non à la loi et à la juridiction pénale du pays occupé, mais à celle de l'État occupant.

(Il faudrait admettre une semblable solution même si le délinquant n'appartenait pas à l'Etat occupant. Cf. Juridiction des armées d'occupa tion, etc. Clunet 1882, p. 511.)

3.

-

- a) Il y a lieu à extradition même quand le mandat d'arrêt a été délivré contre le réfugié par un tribunal militaire.

b) L'État requis n'a pas à rechercher si, d'après la loi intérieure de l'État requérant, ce tribunal était ou non compétent pour

connaître du délit.

c) Le juge du pays requis a simplement à rechercher si le tribunal pénal qui procède est une autorité régulière conformément à l'organisation judiciaire de l'État requérant, ou si, au contraire, ce tribunal est une juridiction d'exception ne présentant pas les garanties d'une bonne justice.

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4. Les délits d'homicide, péculat et concussion sont visés dans le traité italo-suisse de 1868, mais non celui de calomnie.

Dès lors, cette dernière inculpation ne peut servir de base à une extradition s'il en est différemment des premières.

Le 24 juin 1891, Livraghi a été remis à la police italienne. Transféré successivement à Rome, puis à la prison de San Francesco à Naples, il a été embarqué pour Massaouah, où la commission royale a déjà procédé à l'enquête prescrite, et où siègera le tribunal militaire appelé à juger les actes de l'inculpé.

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Guerre civile étrangère.

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Insurrection étrangère. GouBelligérants. Devoirs de neutralité. Validité des engagements pris par

vernement de fait. Capacité d'ester en justice. un des partis en lutte.

Affaire du conflit et des navires chiliens en Europe.

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I

Origine du conflit chilien. Une guerre civile vient de déchirer le Chili. L'Europe, habituée à considérer ce pays comme la république modèle du sud de l'Amérique, s'afflige de ce spectacle. Plus de 60 ans de sagesse politique, de stabilité gouvernementale, de régulier fonctionnement des institutions parlementaires autorisaient à croire que le mal des révolutions et des luttes intestines, à l'état endémique dans les républiques hispano-américaines, rencontrait sur le territoire chilien un sol trop ferme et trop sain pour s'y développer. Etait-ce là une conception trop favorable? Le Chili participe-t-il, en politique, de la nature volcanique des pays qui l'entourent? N'est-il éprouvé au contraire que par un phénomène violent, mais passager, qui semblable aux cyclones, laisse sans doute des ruines derrière lui, mais permet à un peuple industrieux et brave de les réparer rapidement ? Cette seconde hypothèse est sans doute la vraie. Le Chili a mérité par son passé que l'on espère beaucoup de sa sagesse et de sa vitalité.

Comment le conflit actuel est-il né?

Le Chili compte 3.200.000 habitants. Sa superficie est supérieure de moitié à celle de la France. Son budget se solde par un excédent de recettes de 350 millions.

La Constitution actuelle du Chili remonte au 25 mai 1833. Le pouvoir législatif est exercé par : 1o une Chambre des députés élue au suffrage universel direct et renouvelable tous les trois ans ;

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