Page images
PDF
EPUB

impératives, car la famille est l'élément primitif et nécessaire de la société ; et si les parties pouvaient, à leur gré, étendre ou diminuer la puissance maritale ou paternelle, par exemple, elles s'exposeraient à introduire dans la famille un despotisme ou une anarchie également contraires au bien de l'Etat.

Dans le contrat de mariage, le principe opposé domine : les parties ont, dans leurs conventions, une liberté entière, qui n'a d'autre limite que le respect dû aux bonnes mœurs et à l'ordre public. Peu importe, en effet, que les patrimoines du mari et de la femme restent séparés ou soient plus ou moins confondus, que le mari les administre l'un et l'autre ou que chacun administre le sien; le but de la loi est atteint si les parties ont su trouver, dans une combinaison quelconque, cette sécurité qui est la source première d'une intimité réciproque, et cet intérêt à la prospérité commune, qui est l'aiguillon nécessaire du travail individuel.

Le Code trace, sans les imposer, les principales règles qui peuvent régir l'association conjugale. Il en forme, pour ainsi dire, quatre faisceaux distincts, appelés REGIMES. Nous allons exposer les caractères essentiels de chacun.

Régime de COMMUNAUTÉ. Ce régime est d'origine nationale, et la loi le préfère aux autres. Il consiste dans une sorte de société qui se forme entre le mari et la femme, société dont les règles sont en général empruntées au droit commun, mais avec de nombreuses et profondes modifications que la qualité respective des deux associés rendait ici nécessaires. Si les époux se sont mariés sans contrat, ils sont réputés l'avoir choisi et on leur en applique les dispositions.

La communauté, malgré le sens naturel du mot, n'implique pas la confusion de tous les biens du mari avec ceux de la femme, formant une masse indivise dont ils seraient copropriétaires. Ses éléments, il est vrai, sont puisés dans la fortune particulière de chaque époux; mais, une

fois constituée, la communauté est une personne morale, distincte et du mari et de la femme, ayant son actif et son passif, et jouissant d'une indépendance qui domine parfois l'autorité du mari et de la femme réunis. Ainsi le mari ne peut aliéner à titre gratuit ni les immeubles de la communauté, ni une quote-part de ses meubles, ni même un meuble déterminé, s'il s'en réserve l'usufruit ; et comme le consentement de la femme ne peut augmenter les pouvoirs du mari à l'égard des biens qui ne lui sont pas propres, il en résulte que la loi, en sauvegardant ainsi les droits qui appartiennent à la communauté, consacre formellement son existence et sa personnalité. Dans presque tous les cas cependant, le mari a les pouvoirs d'un propriétaire, quoiqu'il soit simple administrateur; car la loi présume que ses actes seront toujours inspirés par le désir de faire prospérer les intérêts communs. Son autorité ne reçoit de limites que lorsqu'elle devient véritablement abusive.

Le Code traite successivement de l'actif et du passif de la communauté, de son administration, de sa dissolution et de sa liquidation. On la voit ainsi naître, vivre, mourir et se partager.

Ce régime présente deux avantages principaux. D'abord il donne un grand crédit aux époux, car les obligations par eux contractées auront souvent la garantie de trois patrimoines; puis, comme les économies et les acquisitions résultant de leur fait personnel tombent dans la communauté, et que, lors du partage, chacun en prend la moitié, il est, par cela même, un stimulant énergique pour le travail individuel. Les époux ont confondu leurs chances de fortune ainsi que leurs destinées, et la communauté paraît être l'expression la plus parfaite de l'unité qui doit régner dans le mariage.

Cependant un tel régime a aussi ses inconvénients. Sans parler des difficultés et des procès que sa liquidation fait souvent naître, il faut avouer que les pouvoirs du mari sont

parfois compromettants pour les intérêts de la femme, surtout si elle a une fortune composée principalement de meubles.

Régime SANS COMMUNAUTÉ. - Sous ce régime, les patrimoines des époux restent tout à fait séparés. Seulement le mari devient administrateur et usufruitier de celui de la femme, sans qu'aucun avantage vienne compenser, pour elle un sacrifice aussi complet et de son indépendance et de ses intérêts.

[ocr errors]

Régime de SÉPARATION DE BIENS. Les patrimoines des époux sont encore distincts; mais chacun administre le sien et en perçoit les fruits. La femme verse un tiers de ses revenus entre les mains du mari, et ne doit aucun compte du surplus. Ce régime est aussi peu conforme à la dignité du mari, que le précédent était peu favorable aux intérêts de la femme. Il n'est guère adopté que dans le cas où la future épouse, ayant seule de la fortune, ne veut pas la soumettre à l'administration de son mari, ou bien lorsque, les deux futurs époux étant d'un âge avancé, la femme ne consent au mariage qu'à la condition de conserver la direction de ses affaires et la jouissance de son patrimoine.

Régime DOTAL. Il exclut toujours la confusion des biens d'un époux avec ceux de l'autre ; mais le mari est administrateur et usufruitier de la dot que sa femme lui apporte. Ce qui constitue la différence entre ce régime et celui sans communauté, ce sont les mesures exceptionnelles de conservation dont la dot est entourée. Les immeubles dotaux sont en effet inaliénables et imprescriptibles. Une jurisprudence constante applique même aux meubles le principe de l'inaliénabilité. Sous ce régime, la femme n'a rien à gagner, mais elle y trouve une sécurité complète.

De vives critiques ont été dirigées contre le régime dotal, qui, d'un côté, n'intéresse point la femme à la prospérité commune, et, de l'autre, met une entrave à la circulation de ses immeubles par l'inaliénabilité et l'imprescriptibilité dont

il les frappe. Il est certain que les raisons sous l'empire desquelles il s'établit ont disparu. Le régime dotal se développa surtout aux jours de la décadence romaine, lorsque le mariage était devenu le moyen non d'avoir des héritiers, mais des héritages. Le divorce n'était plus qu'un jeu, et la fragilité des unions avait le double inconvénient d'exposer la dot à de nombreux périls, et de forcer les femmes à convoler à de nouvelles noces. Il importait de protéger leur fortune contre toute atteinte, car, sans dot, elles fussent restées sans mari. Les jurisconsultes romains le disaient nettement et sans périphrases: interest reipublicæ dotes mulierum salvas esse, propter quas nubere possunt. L'inaliénabilité et l'imprescriptibilité du fonds dotal furent donc, tout ainsi que les lois caducaires, un de ces moyens factices auxquels les gouvernements ont recours, lorsque, dans la dissolution des mœurs, l'intérêt devient le premier mobile des mariages, et la seule garantie contre l'anéantissement de la population légitime.

Aujourd'hui le même but n'est plus à atteindre; aussi les rédacteurs du Code voulaient-ils supprimer le régime dotal. Il ne fut maintenu que sur les réclamations unanimes des pays de droit écrit.

De graves raisons peuvent encore le justifier. Lorsque les affaires des époux prospèrent, ses inconvénients se font peu sentir, car le crédit du mari est suffisant pour que les tiers n'aient jamais à compter sur les biens de la femme, et peu leur importe alors qu'ils soient inaliénables ou imprescriptibles.

Si, au contraire, un désastre menace les époux, il est utile de protéger fortement la dot, exposée à tous les coups de la mauvaise fortune, non peut-être dans l'intérêt de la femme, car souvent elle aura pris part aux dépenses exagérées ou aux spéculations téméraires du mari, mais dans l'intérêt des enfants, qui n'ont pu ni prévoir ni empêcher le malheur qui va les frapper. Par là, on épargne aux familles ces irritations

[ocr errors]

et ces haines domestiques qu'engendre la misère venue après l'opulence, et à l'État un déclassement de personnes, toujours regrettable et parfois dangereux.

CHAPITRE PREMIER

DISPOSITIONS GÉNÉRALES.

ART. 1387. La loi ne régit l'association conjugale, quant aux biens, qu'à défaut de conventions spéciales, que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs, et, en outre, sous les modifications qui suivent.

1388. Les époux ne peuvent déroger ni aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, ou qui appartiennent au mari comme chef, ni aux droits conférés au survivant des époux par le titre de la Puissance paternelle et par le titre de la Minorité, de la Tutelle et de l'Émancipation, ni aux dispositions prohibitives du présent Code.

1389. Ils ne peuvent faire aucune convention ou renonciation dont l'objet serait de changer l'ordre légal des successions, soit par rapport à eux-mêmes dans la succession de leurs enfants ou descendants, soit par rapport à leurs enfants entre eux; sans préjudice des donations entre-vifs ou testamentaires qui pourront avoir lieu selon les formes et dans les cas déterminés par le présent Code.

1390. Les époux ne peuvent plus stipuler d'une manière générale que leur association sera réglée par l'une des coutumes, lois ou statuts locaux qui régissaient ci-devant les diverses parties du territoire français, et qui sont abrogés par le présent Code.

1391. Ils peuvent cependant déclarer, d'une manière générale, qu'ils entendent se marier ou sous le régime de la communauté, ou sous le régime dotal. Au premier cas, et sous le régime de la communauté, les droits des époux et de leurs héritiers seront réglés par les dispositions du chapitre II du présent titre. Au deuxième cas, et sous le régime dotal, leurs droits seront réglés par les dispositions du chapitre III. « Toutefois, si l'acte de célébration du mariage porte que les époux se sont mariés sans contrat, la femme sera réputée, à l'égard des tiers, capable de contracter dans les termes du droit commun, à moins que, dans l'acte qui

« PreviousContinue »