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et 1852. «Nous reconnaissons le traité de Londres, dit M. le Comte de Rechberg, d'une manière absolue et le tenons pour valide sans aucunes conditions; les engagements pris par le Danemark envers nous en 1851 et 1852 sont étrangers au traité, et leur non-exécution ne nous empêche pas de le reconnaître; seulement nous disons au Danemark: «Tant que vous n'avez pas accompli vos engagements, vous n'avez pas le droit de nous sommer de tenir les nôtres; en un mot, vous n'avez pas le droit de nous demander quelque chose.» En 1852, nous étions en guerre et nous tenions le Sleswig; le Danemark prend vis-à-vis de nous des engagements à la suite desquels nous nous retirons; puis, quand nous sommes partis, il viole ses engagements; avant de l'entendre de nouveau, il faut que nous ayons ce qu'il nous a promis. Ainsi donc, repris-je, vous reconnaissez le traité de Londres, mais vous en subordonnez l'exécution à l'accomplissement des engagements du Danemark? C'est précisément cela, répondit M. le Comte de Rochberg. Nous ne mettons pas de condition à la reconnaissance, mais à l'exécution. Vous m'avez parfaitement compris. » Mais M. le Ministre des Affaires étrangères d'Autriche se trompait, car, à vrai dire, je ne le comprends pas, et je cherche en vain ce que peut signifier un traité qu'on reconnaît, mais qu'on n'exécute pas. Je crois bien qu'il serait possible de définir cette nuance au point de vue théorique et spéculatif, mais l'histoire et l'expérience nous enseignent ce que valent ces subtilités quand il s'agit de les opposer aux ardeurs des partis ou aux élans d'un sentiment populaire. Quoi qu'il en soit, le Cabinet de Vienne déclare qu'il se considère toujours comme lié par le traité de Londre, tant que le Danemark n'aura pas commencé les hostilités contre une des Puissances contractantes. Ces hostilités auraient pour effet naturel d'anéantir le traité lui-même; mais jusque-là il subsiste, et ni l'Autriche ni la Prusse ne veulent en contester la valeur.

Quant aux engagements du Danemark tant de fois cités et jamais définis (1), le Comte de Rechberg explique le vague qui semble planer à dessein sur cette question par l'impossibilité où

(1) Cf. p. 31, note 2, et le télégramme du duc de Gramont, du 31 décembre 1863 (ci-dessus, p. 55).

se trouvaient jusqu'ici la Prusse et l'Autriche de formuler un programme au nom de l'Allemagne sans en avoir reçu à cet effet un mandat spécial. A mon avis, cette excuse n'est pas admissible, car les engagements du Danemark sont définis par les actes mêmes qui les constituent, et le mandat fédéral ne peut ni les étendre, ni les modifier. On ne peut exiger du Danemark que ce qu'il a promis, et les Cabinets de Vienne et de Berlin n'ont pas besoin de mandat pour savoir ce qui leur a été promis. Je n'ai donc pas laissé ignorer au Comte de Rechberg combien je trouvais sa réponse peu satisfaisante, et lui ai représenté la nécessité de préciser les exigences de l'Allemagne en les résumant dans un programme défini et discutable. J'ai lieu de croire qu'il a reconnu la justesse de cette observation et qu'il s'entendra avec le Cabinet de Berlin à cet effet. Les engagements du Danemark, a-t-il dit, sont contenus et formulés dans une série de documents qui ont été échangés entre la Cour de Copenhague et l'Autriche, avant l'évacuation du territoire des Duchés, en 1852. On en trouve la substance, sauf ce qui se rapporte au Sleswig proprement dit, dans la Lettre patente de 1852 (1), promulguée par le feu Roi après la retraite des troupes allemandes. L'ensemble des engagements peut d'ailleurs se résumer ainsi :

1° Non-incorporation du Sleswig dans la Monarchie danoise, ce qui implique nécessairement le retrait de la nouvelle Constitution, car cette Constitution, de l'aveu même de M. Hall, qui l'a conseillée, a pour but et pour effet d'incorporer le Sleswig au Danemark;

2o Conservation de la langue allemande comme langue officielle dans la partie allemande du Sleswig;

3o La non-danisation du Sleswig allemand, expression que je transcris comme je l'ai entendue, et qui signifie le rappel d'un ensemble de mesures qui, à ce qu'il paraît, auraient pour but d'amener graduellement l'anéantissement du germanisme dans les populations rurales du Duché. Ce serait, d'après le Comte de Rechberg, une série de vexations dont les enfants mêmes ne seraient pas exemptés, et qui poursuivraient, depuis l'école jusqu'au tribunal et même à l'église, ceux qui n'auraient pas adopté la

(1) Du 28 janvier 1852.

langue et les usages du Danemark. En un mot, le Gouvernement danois devrait cesser de faire en Sleswig ce que les Tchèques et les Slaves reprochent au Gouvernement autrichien de faire en Bohême, en Moravie et en Galicie, et surtout ce que la Prusse pratique absolument dans le Duché de Posen.

Tels seraient, Monsieur le Ministre, les engagements du Danemark; mais Votre Excellence sait aussi bien que moi que, si l'Allemagne a toujours refusé de les préciser dans un document. officiel, c'est qu'elle a préféré s'en faire une arme ou un prétexte pour poursuivre le véritable but de ses efforts, c'est-à-dire l'union intime des deux Duchés comme transition à l'incorporation définitive du Sleswig-Holstein tout entier dans la zone fédérale.

Après avoir provoqué de la part du Ministre des Affaires étrangères d'Autriche le surcroît d'explications qu'il était possible d'en obtenir, je suis entré avec lui dans le développement des considérations que notre position nous oblige à peser avant d'adhérer aux propositions du Cabinet de Londres. Le Comte de Rechberg apprécie toute la justesse des observations de Votre Excellence; il comprend d'autant mieux nos hésitations qu'il n'y a pas longtemps, dit-il, le Cabinet de Vienne, pour les mêmes raisons, a dû en éprouver de semblables; mais, à ses yeux, le caractère du mouvement qui s'empare de l'Allemagne doit éclairer les Gouvernements sur la nécessité de porter un prompt remède à la situation actuelle; les Princes et les Cabinets des Etats secondaires en ont déjà perdu la direction; ils sont à la remorque d'un parti pour qui la question des Duchés n'est qu'un prétexte, mais dont le but véritable est l'unité démocratique d'une Allemagne révolutionnaire. Or ce parti unitaire est entre tous le plus hostile au Gouvernement de l'Empereur, et son triomphe, ne fût-il que passager, aurait pour effet immédiat de grouper tout le long de notre frontière un faisceau de forces ennemies dont le voisinage, sans inquiéter la France, ne peut cependant que lui être désagréable. La Conférence est encore aux yeux du Cabinet de Vienne le seul moyen de prévenir la guerre, et, dûtelle échouer dans ses efforts, les grandes Puissances européennes ne pourraient que se féliciter d'avoir au moins tout essayé pour prévenir un conflit dont il est difficile de mesurer la portée.

Le Cabinet de Vienne insiste donc plus que jamais sur l'urgence de la Conférence, et, sans contester la valeur des objections que cette mesure peut soulever, il pense que la gravité des circonstances et l'imminence d'un conflit redoutable doivent l'emporter sur toute autre considération.

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Dans la dépêche à laquelle j'ai l'honneur de répondre, Votre Excellence, en parlant de la Russie, s'exprime ainsi : « La Russie est éloignée. Le Cabinet de Pétersbourg paraît néanmoins vouloir prendre part au débat d'une façon tout à fait explicite, car il a fait déclarer tout récemment à Vienne qu'il était décidé à faire valoir ses droits sur le Holstein si le traité de Londres était mis en question, et ces droits, Votre Excellence le sait, sont de nature à être pris en sérieuse considération le jour où il s'agirait de peser les prétentions de chacun d'après les règles du droit des gens. M. le Comte de Rechberg ayant à plusieurs reprises insisté sur cette circonstance, j'ai cru devoir la rappeler ici.

Votre Excellence connaît déjà l'accueil qui a été fait par les grandes Puissances allemandes à la proposition de l'Angleterre de combiner une démarche collective de la France, de l'Angleterre, de la Russie et de la Suède auprès des Cabinets de Vienne et de Berlin. Le Cabinet de Vienne croit qu'une semblable démarche serait plus nuisible qu'utile, car elle aurait pour effet de séparer l'Autriche et la Prusse du reste de l'Allemagne, encore plus que ne le fait le dissentiment qui s'est élevé entre elles et la majorité fédérale. Les deux grandes Puissances allemandes croient nécessaire de conserver autant que possible leur situation fédérale intacte tant que le conflit ne sera pas arrivé à ses dernières limites, et elles veulent puiser dans cette attitude fédérale, jusqu'au dernier moment, l'influence médiatrice qu'elles se flattent encore de pouvoir exercer. Le Cabinet de Vienne repousse donc l'idée d'entrer séparément en rapport avec les Cabinets non allemands au sujet de la question danoise, et persiste à vouloir que la question soit traitée dans une Conférence avec la coopération de la Diète.

Enfin, Monsieur le Ministre, avant de terminer cette dépêche déjà trop longue, je ne dirai qu'un mot d'une seconde proposition anglaise qui m'est à peine connue, car je n'ai pu qu'entrevoir un

instant le télégramme qui la formulait (1). Il s'agissait de demander au Cabinet de Vienne s'il acceptait pour bases des délibérations d'une Conférence 1° le maintien de l'intégrité de la Monarchie danoise; 2° l'établissement de garanties suffisantes pour assurer de la part du Roi de Danemark un bon gouvernement, a good government, à ses sujets allemands. Le Comte de Rechberg trouvait cette communication tellement vague qu'il lui paraissait difficile d'y répondre. Qu'entendre par un bon gouvernement»? Ce qui est bon pour les uns ne l'est souvent pas pour les autres; une base aussi élastique ne lui paraissait pas remplir le but qu'on se proposait en voulant établir un programme préliminaire.

78. DROUYN DE LHUYS AU PRINCE DE LA TOUR D'AUVERGNE, AMBASSADEUR À LONDRES. (Minute. Angleterre, 728. n° 9 (2).)

Paris, 14 janvier 1864.

Lord Cowley a été chargé de me faire une communication donɩ il a bien voulu me remettre le résumé ci-joint (3). Le Gouvernement de S. M. Britannique propose que les quatre Puissances non allemandes signataires du traité de Londres de 1852 se réunissent pour représenter à la Diète que l'envahissement du Sleswig serait un acte de guerre, et qu'elle encourrait une lourde responsabilité si elle prenait sur elle de rompre la paix avant qu'une Conférence ait pu s'assembler. Ainsi, les quatre Puissances feraient parvenir à la Confédération germanique des représentations que le Cabinet anglais formule, et, à cet effet, elles s'adresseraient directement à l'Assemblée fédérale (4).

(1) La proposition est formulée dans un télégramme de lord Russell à lord Bloomfield du 8 janvier. Cf. la dépêche de lord Bloomfield à lord Russell, du 14 janvier (Arch. diplom., 1864, t. II, p. 32-33).

(2) Cf. Arch. diplom., 1865, t. II, p. 335-336 (incomplètement reproduite), et Documents diplom., Affaire des Duchés de l'Elbe, p. 5-6.

(3) A la suite de la dépêche se trouvent : 1° le résumé de la proposition, rédigé en anglais par lord Cowley; 2° une copie du texte anglais faite au Département; 3° la traduction française.

(4) La dépêche de lord Russell est du 10. Elle parvint à lord Cowley le 14.

ORIG. DIPL.

- 1.

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IMPRIMERIE NATIONALE.

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