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la sympathie des honnêtes gens dans le monde entier. Ni le patriotisme, ni l'éloquence, ni l'audace, ni la persévérance, ni l'habileté, ne vous ont fait défaut. Mais, hélas! il vous a manqué ce que rien ne remplace, la conscience et le respect de la conscience d'autrui.

Vous prétendez maintenant résoudre la question romaine en prouvant au monde les bienfaits de l'alliance entre la liberté et la religion.

Que voulez-vous dire?

Je sers cette noble alliance depuis trente ans : j'en crois le triomphe indispensable au salut de la société, et c'est pour cela même que je vous combats, car nulle politique n'a jamais rendu ce triomphe plus difficile que la vôtre. Vos paroles, que j'accepte, sont absolument démenties par vos actes, que je réprouve.

Je demeure plus que jamais fidèle à la conviction que vous avez signalée dans mes écrits. Toutes les libertés civiles et politiques, qui constituent le régime normal d'une société civilisée, bien loin de nuire à l'Église, aident à ses progrès et à sa gloire. Elle y trouve des rivalités, mais des droits; des luttes, mais des armes, et celles qui lui conviennent par excellence, la parole, l'association, la charité. Mais la liberté ne convient à l'Église que sous une première condition, c'est qu'elle jouisse elle-même de la liberté. Je parle ici en mon nom, sans mission, sans autorité, appuyé seulement sur une expérience déjà longue et singulièrement éclairée par l'état de la France depuis dix ans. Mais je dis sans hésiter: « L'Église libre au sein d'un État libre, voilà pour moi l'idéal. »

J'ajoute que, dans la société moderne, l'Église ne peut être libre que là où tout le monde l'est. A mes yeux, c'est un grand bien et un grand progrès. Dans tous les cas, c'est un fait.

Que l'on ne reproche pas à l'Église de ne pas accepter toutes les libertés que les États se donnent. En tous pays, elle les accepte, et qui plus est, elle s'en sert, en Angleterre comme aux États-Unis, en Prusse comme en Hollande, partout en un mot, lorsqu'on ne lui met pas un bâillon ou des entraves spécialement inventées pour elle.

L'accord serait complet, si, à leur tour, les États ассерtaient toutes les libertés dont l'Église a besoin, au lieu de les marchander par des lois surannées, comme en France, de les confisquer par d'odieuses vexations, comme en Russie, ou de les fouler aux pieds par de brutales iniquités, comme en Italie.

Or l'indépendance de l'Église repose, avant toutes choses, sur la liberté absolue de son chef, docteur et gardien de la foi, et cette liberté a, depuis dix siècles, pour bouclier, une souveraineté temporelle constituée en dehors de tous les États. Elle repose, en outre, dans l'intérieur de chaque État, sur la liberté d'association, la liberté d'enseignement, la liberté de la charité, droits qu'aucun homme sensé ne prétend réserver à l'Église seule, mais qui ne sont pas des droits s'ils sont gênés par des obstacles préventifs, au lieu d'être simplement soumis à la répression, dans les cas définis par des lois, et jugés par des tribunaux indépendants avec publicité, avec appel.

Voilà les garanties et les conditions de la liberté de l'Église. Or vous les violez toutes à la fois : la première en supprimant le pouvoir temporel du Pape, la seconde en dispersant les communautés, la troisième en violentant les évêques, la quatrième en confisquant leur patrimoine.

Comment voulez-vous donc que la religion soit d'accord avec une liberté qui commence par supprimer la sienne? Êtes-vous prêt à rendre au Souverain Pontife sa souverai

neté temporelle, une souveraineté qui lui assure assez de puissance et assez de ressources pour qu'affranchi de toute pression et de toute obligation, il n'ait à tendre les mains que vers Dieu ?

Êtes-vous prêt à accepter l'entière liberté de l'Église dans vos États agrandis?

Êtes-vous prêt, dans les six mois que vous voulez bien nous accorder, à demander aux souverains de l'Europe de garantir cette liberté dans leurs États, en France, en Russie, en Prusse, en Autriche, en Angleterre?

Alors, vous pourrez parler de réconcilier la religion avec la liberté.

Mais, au lieu de cela, depuis dix ans, vous avez violé, sans autre prétexte que le droit du plus fort, tous les traités, tous les engagements solennellement contractés entre le Piémont et le Saint-Siége. Vous poursuivez par d'indignes procès de presse les trop rares écrivains qui élèvent la voix pour la cause pontificale. De plus, vous avez dénoncé le Souverain Pontife au Congrès de Paris, vous avez calomnié ses intentions, vous avez travesti ses actes, vous avez exilé ses évêques, vous avez bravé ses sentences, vous avez violé ses frontières, vous avez envahi ses États, vous avez emprisonné ses défenseurs, vous avez insulté, écrasé, bombardé ses soldats; vous donnez à Garibaldi rendez-vous dans six mois sur le tombeau des apôtres! Puis vous dites aux catholiques: « Je suis la liberté, et je vous tends la main. >>

Non, non, vous n'êtes pas la liberté, vous n'êtes que la violence! Ne nous condamnez pas à ajouter que vous êtes le mensonge! Nous sommes vos victimes, soit : mais nous ne serons pas vos dupes. Vous pouvez annexer au Piémont des royaumes et des empires, mais je vous défie bien de rallier à vos actes une seule conscience honnête. L'accord bienheureux

et nécessaire de la religion et de la liberté aura son heure; mais, si elle est pour longtemps retardée, ce sera votre faute et votre éternel déshonneur.

CH. DE MONTALEMBERT.

La Roche en Breny, 22 octobre 1860.

FIN DU TOME SECOND

DES OEUVRES POLÉMIQUES ET DIVERSES.

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS CE VOLUME.

DES INTÉRÊTS CATHOLIQUES AU XIX SIÈCLE (novembre 1852).
CHAPITRE I. Contraste entre la situation du catholicisme
en 1800 et en 1852. . .

CHAP. II. Caractère spécial de la renaissance actuelle du
catholicisme

CHAP. III. Le catholicisme a seul profité des crises de la
société moderne

CHAP. IV. Comment le catholicisme a-t-il vaincu ?

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CHAP. V. 1848 et 1852. Contraste et analogie.
CHAP. VI. La religion a besoin de la liberté; la liberté a
besoin de la religion .

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CHAP. VII. Du gouvernement représentatif et des reproches

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CHAP. VIII. De ce qu'on pourrait substituer au gouverne-
ment représentatif, et de ce qui l'a précédé. .
CHAP. IX. Du régime représentatif et de l'ancien régime,

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au point de vue catholique.

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