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était arrivé à Bourges le 17 février 1816, immédiatement après sa nomination insérée au Moniteur du 4 ; il en était reparti le 24, et son retour datait du 16 mars; c'était cependant le 3 avril qu'il prononçait mon exil, sans me connaître, sans m'avoir entendu. Le premier acte de son administration était un acte arbitraire, attentatoire à la liberté, violateur de la charte, infracteur même de la loi du 29 octobre 1815; c'était ainsi qu'il commençait à signaler son existence politique à ses nouveaux administrés du centre de la France!

Je ne concevais pas comment et pourquoi M. le marquis était empressé de choisir pour le premier objet de son animadversion, un médecin plus que sexagénaire, vivant depuis douze ans loin des hommes, au milieu des bois, livré principalement à l'agriculture sur un terrein dont le défrichement nourrissait, par ses soins, un grand nombre de malheureux journaliers.

A la vérité, je n'ai pas été le seul que M. de Villeneuve ait atteint de ses actes arbitraires dans le département du Cher, un des plus paisibles de la France, celui que l'administration douce, bienveillante et éclairée de M. le duc de Massa, prédécesseur immédiat de M. le marquis, avait pénétré de reconnaissance envers le roi.

Dans un journal que M. le préfet s'est approprié, et auquel tous les moires ont été contraints de s'abonner, malgré les défenses réitérées des ministres, le département du Cher est représenté par les proclamations de M. le marquis, comme menacé des plus graves séditions, et désolé précédemment par des rapines; et je suis désigné, ainsi qu'un autre exilé, comme un chef de discorde. ( Journal de Bourges du 15 mai 1816). A la suite de cette injure faite à tout le departement, M. le préfet exila encore treize pères de famille, et ordonna l'insertion périlleuse sur leurs passeports, du but et du motif de leur voyage, comme pour

les

signaler en route à toutes les fureurs de l'esprit de parti. Dans une autre feuille ( celle du 18 août 1816), il rappelait plusieurs de ces exilés, en leur appliquant à tous la flétrissante dénomination de bannis hors du département, faisant ainsi une double insulte à la grammaire et à l'honneur des citoyens qu'il avait persécutés, et contre laquelle j'ai vainement réclamé.

Je n'ai dû le retour dans mes foyers qu'à la justice de S. Exc. le ministre de la police générale, et dans mon recours à l'autorité supérieure, M. le marquis n'a vu qu'un motif de me molester de nouveau, en résistant à un acte de justice qui n'émanait pas de lui.

J'ai reçu par M. le comte de Floirac, préfet de l'Hérault, le 11 novembre 1816, connaissance de l'ordre supérieur qui levait mon exil sans restriction. M. le comte de Floirac me l'avait transmis avec un empressement dont il est de mon devoir de lui témoigner ma reconnaissance; mais M. de Villeneuve, prit de suite un nouvel arrêté pour me mettre en surveillance dans ma commune. Il me fallut recourir encore à l'autorité, qui leva cette mise en surveillance, sans que le préfet ait daigné m'en donner avis, ce qui m'a retenu, malgré les dispositions de la loi, hors de mes foyers, jusqu'au 15 août 1817.

J'ai donc été enlevé pendant plus d'un an arbitrairement à mes habitudes, à mes affaires, et plus que tout cela à mes pauvres malades, auprès desquels je n'étais pas remplacé : je n'en ai pas moins reçu dans des feuilles publiques et par des proclamations solennelles de M. le marquis, l'infamante qualification de BANNI.

MOYENS.

Je ne connais pas de motifs qui m'obligent à ne point dénoncer cette double atteinte portée à ma réputation et à ma liberté!

La loi du 29 octobre 1815 ne concernait que « les pre» venus de crimes ou délits contre la personne et l'autorité » du roi, contre les personnes de la famille royale ou contre » la sûreté de l'état. »

Pour être prévenu, il faut être l'objet d'une plainte suivie d'une information, à l'occasion d'un crime ou d'un délit.

Il n'y avait contre moi ni plainte, ni information, ni indication de crime ou de délit. M. le marquis serait dans l'impuissance de soutenir le contraire. L'arrété qui prescrivait mon bannissement était absolu, sans aucun considérant, par conséquent en style vraiment oriental.

et

Dans le cas même de la prévention légale, le renvoi sous la surveillance de la haute police était, d'après l'article 3 de la loi du 29 octobre 1815, tel qu'il est réglé au chapitre 3 du livre rer. du code pénal, dont l'article 44 permet de se dispenser de l'exil en donnant caution. J'ai été privé de ce bénéfice ainsi, sans me connaître, sans m'avoir entendu, lorsqu'il n'y avait ni plainte, ni information, ni indication de crime ou de délit, M. le marquis m'a traité plus durement encore qu'un condamné qui aurait pu jouir du bénéfice de la caution.

:

Mais ce qui, par-dessus tout, est inexcusable, ce sont les expressions outrageantes dont ses proclamations et ses arrêtés sont remplis.

Suivant la proclamation du 14 mai 1816, je suis un chef de discorde, je suis du nombre des plus remarquables par le mal qu'ils ont fait, et des plus résolus à en faire encore, je suis un banni. M. le marquis doit souffrir que je lui prouve judiciairement la calomnie de telles imputations, et que je rejette publiquement, par la solennité des débats judiciaires, de si infamantes qualifications. Rien ne l'empêchait de s'éclaircir avant de me diffamer; et dans aucun cas la diffamation ne lui était permise.

Mais comment obtenir justice dans l'état actuel de la lé

gislation, avec un sénatus consulte impérial du 22 frimaire an 8, dont l'art. 5 ne permet pas de poursuivre les agens du gouvernement pour des délits relatifs à leurs fonctions, qu'en vertu d'une décision du Conseil d'Etat. Cette disposition étrange, si on l'oppose encore aux plaignans, n'ouvre-t-elle pas un asyle où l'on ne peut plus atteindre ceux dont on ne peut faire punir les écarts qu'en en demandant permission à l'autorité qui les emploie? Parmi les nombreux actes arbitraires dénoncés à la Chambre des Députés; parmi ceux bien plus nombreux encore qui ne lui ont pas été révélés, est-il un seul exemple d'une autorisation accordée par le Conseil d'État pour intenter une poursuite judiciaire contre les agens du gouvernement?

Tant que cette prétendue loi subsistera, la charte ne sera qu'une belle théorie sur la sûreté des personnes et des propriétés, parce que les agens du gouvernement pourront tout faire impunément. Le gouvernement lui-même sera toujours dans l'impossibilité de connaître le mal et d'y appliquer le

remède.

Qu'un fonctionnaire du rang de M. le marquis soit inculpé par une plainte au Conseil d'Etat, manquera-t-il de moyens pour colorer sa conduite, pour effrayer l'imagination par des calomnies secrètes contre ceux qui l'auront dénoncé, pour intéresser même à son triomphe la sûreté de l'état qu'il soutiendra compromise par sa défaite; pour exagérer le danger, d'affaiblir les nerfs de l'administration publique, en faisant subir à ses agens l'humiliation d'un débat judiciaire, et souvent la honté d'une condamnation? N'aura-t-il pas toujours raison contre un absent qui n'est pas appelé au Conseil d'Etat pour contredire les assertions de l'agent inculpé? Combien de pétitions semblables ne sont-elles pas restées perdues dans les bureaux, sans avoir même été soumises à l'examen du Conseil d'Etat!

Si l'acte arbitraire émane d'une autorité supérieure à celle

des préfets, autorisera-t-elle une poursuite qui réfléchirait sur elle? S'il est commis par un fonctionnaire inférieur, ne trouvera-t-il pas dans le préfet un défenseur intéressé à prévenir des exemples de punitions dangereux pour luimême ?

Pendant que cet obstacle invincible aux plus justes réclamations subsiste, le mal s'accroît, les abus se multiplient par l'impunité, le désespoir d'obtenir justice aliéne les cœurs. CONCLUSIONS.

Je demande donc que S. M. soit suppliée par la chambre de proposer une loi qui autorise l'action judiciaire individuelle contre les agens du gouvernement qui se rendent coupables d'actes arbitraires, afin que tous ceux qui ont été ou seront victimes de tels actes, puissent obtenir une juste réparation. Je serais bientôt consolé de mon malheur s'il devenait l'occasion de donner sur ce point une bonne loi à ma patrie, et une véritable garantie à mes concitoyens. Présentée, avec une confiance respectueuse, le 31 janvier 1818, par le soussigné,

AUB RY,

Docteur médecin, ancien médecin des armées.

Imposition extraordinaire.

Boulogne, 26 janvier.

On a imaginé ici de mettre un impôt sur la ville au profit des pauvres; on a obtenu une ordonnance du roi pour la levée de cet impôt. Au moment du recouvrement, les cinq sixièmes de la ville ont refusé de payer en disant qu'il fallait une loi pour des impôts, et non pas une ordonnance. L'autorité qui n'a pas voulu fléchir, a garnisé toute la ville. Depuis quatre jours toutes les maisons sont pleines de soldats; mais il y a des gens qui ont refusé de recevoir les garnisaires, tels que Pilet libraire, Brumaire aubergiste, Niane capitaine de navire, et autres. On les a mis en prison. Ces gens vont attaquer l'autorité en violation de la liberté individuelle.

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