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défendues; et si les pétitions individuelles sont rejetées, quel moyen reste-t il aux citoyens, sur-tout à ceux qui sont dans le fond des provinces ou au cachot, de faire parvenir au pied du trône leurs réclamations ?

Dira-t-on que la loi du 29 octobre, qui a permis au ministre de faire arrêter arbitrairement un citoyen, interdit à celui-ci de réclamer contre une détention prolongée audelà du terme nécessaire à l'enquête des faits, ou contre une captivité plus rigoureuse que le délit, même prouvé, ne le comporte? Non sans doute, une loi qui donne au ministre des moyens d'abuser, en lui conférånt un pouvoir extraor→ dinaire, ne fait que renforcer sa responsabilité, au cas qu'il abuse. Plus on lui a témoigné de confiance, plus il serait coupable de la trahir. C'est ainsi que la Chambre, en portant cette loi, l'a entendu, et que le ministère, en la proposant, l'a entendu lui-même.

La loi du 29 octobre suspend la liberté individuelle des citoyens. Ainsi le citoyen, même le plus innocent, ne peut se plaindre d'être ou d'avoir été trop long-temps détenu; il peut se plaindre de rigueurs inutiles ajoutées à sa détention; car la détention prolongée et les rigueurs inutiles ne sont ni dans l'esprit, ni dans la loi, puisqu'elles sont contraires à la loi de l'humanité à laquelle on ne déroge pas. Ainsi la loi ordonne d'arrêter un homme suspect, et de détenir un homme coupable, et ne permet de rigueur que contre un homme condamné. Le soupçon motive l'arrestation pendant le temps moral nécessaire à l'éclaircissement des soupçons. Le délit prouvé, ou même moralement certain, motive la détention prolongée; la condamnation seule motive les rigueurs nécessaires.

Tels sont, je crois, les principes sur cette matière; et malheur à la société où l'on est obligé d'en faire l'appli

cation, lorsqué toutes les règles du juste et de l'injuste, du devoir et de la vertu ont été faussées.

'Lettre de M. le Duc DE BROGLIE, à M. CHEVALIER.

MONSIEUR,

Je suis chargé par un grand nombre de citoyens, quí, sans connaître plus que moi votre personne, honorent votre caractère, et partagent vos principes, de vous prier de pas mettre obstacle au désir qu'ils ont formé.

ne

La procédure que vous avez subie leur paraît si étrange, l'état de notre législation si défectueux, les décisions des tribunaux si menaçantes, qu'ils désirent partager avec les écrivains qui consacrent leur plume à défendre les droits de la nation, le poids d'un ordre de chose qui ne peut durer.

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Vous êtes le premier en ordre de date qui ayiez encouru, sans motif apparent, une condamnation personnelle et pécuniaire. Souffrez que nous partagions de cote-partie de la peine; veuillez me faire connaître à combien se montent l'amende et les frais judiciaires que vous devez payer; je vous prierai de vouloir bien disposer d'une somme égale sur les fonds qui sont entre mes mains pour cet objet.

En accueillant la proposition que j'ai l'honneur de vous faire, vous servirez utilement votre patrie, et vous aurez de nouveaux droits à la reconnaissance publique; car il ne peut y avoir rien de plus avantageux qu'une manifestation sage, régulière et constitutionnelle de l'opinion dans des matières de cette importance.

Agréez, Monsieur, l'assurance de ma haute considéra

tion.

Le Duc DE BROGLIE,

Pair de France,

ENTREVUE DE LORD AMHERST AVEC BONAPARTE.

Extrait du Journal des Opérations de l'ambassade à la Chine rer. Juillet 1817..

On nous avait tant parlé au Cap des variations d'humeur auxquelles Bonaparte était sujet, que nous avions peu d'espoir d'être admis en sa présence; heureusement pour nous, l'ex-empereur était de bonne humeur, et l'entrevue a eu lieu aujourd'hui.

Lord Amherst a été premièrement présenté à Bonaparte par le général Bertrand, et il est resté seul avec lui pendant plus d'une heure. J'ai été appelé ensuite et présenté par Lord Amherst. Après que Bonaparte a eu continué de parler pendant environ une demi-heure, le capitaine Maxwell et les gentilshommes de l'ambassade ont été ensuite introduits et présentés. Il a fait à chacun des questions relatives à leur situation respective, et nous nous sommes tous accordés à dire que ses manières étaient simples et affables, sans manquer de dignité. J'ai été surtout frappé de la franche aisance de son air et de sa tenue; il n'aurait pas pu être plus exempt de gêne et de timidité au comble de sa puissance aux Tuileries.

Bonaparte déclamait plutôt qu'il ne conversait, et pendant la demi-heure que lord Amherst et moi avons passée avec lui, il a paru avoir seulement à cœur d'exprimer ses sentimens de manière à les graver dans la mémoire de ses auditeurs, peut-être afin qu'ils pussent les redire. Sa manière de parler est fort épigrammatique, et il s'exprime avec la ferme confiance d'un homme accoutumé à produire la conviction. Le ton dont il discute de grandes questions politiques serait pris pour de la charlatanerie dans un autre,

mais chez lui ce n'est qu'un développement du systême empirique qu'il a adopté en général. Malgré toute l'attention qu'on croirait qu'il a donnée à la nature de notre gouvernement, il en a certainement une connaissance très-imparfaite; toutes ses observations sur la politique de l'Angleterre, eu égard, soit au passé, soit à l'avenir, tendaient à un despotisme; et il n'est pas en état ou il ne veut pas prendre en considération la différence qui résulte de ce que le monarque est subordonné, non seulement aux intérêts, mais à l'opinion de son peuple.

Il a fait un ample usage de métaphores et de comparai¬ sons, tirant en grande partie les dernières de la médecine ; son élocution était rapide, mais claire et nerveuse, et son ton et son langage ont également surpassé mon attente. Le caractère de son visage est plutôt intelligent qu'impérieux, et le principal trait remarquable est la bouche, la lèvre supérieure variant avec la diversité et la succession de ses idées. Quant à sa personne, Bonaparte est si loin d'être très-corpulent, comme on l'a dit, que je crois qu'il n'a jamais êté plus en état qu'à présent de supporter les fatigues d'une campagne. Je dirais qu'il est petit et musculeux, sans être plus disposé à la corpulence que les hommes ne le sont souvent à son âge.

Les plaintes de Bonaparte relativement à sa situation à Ste.-Hélène n'auraient pas, je crois, excité beaucoup d'attention, si l'on n'en avait pas fait un sujet de discussion dans la Chambre des Lords; mais comme il a nié que nous eussions le droit de le considérer comme prisonnier de guerre, en opposition aux principes les plus manifestes de la raison et de la loi, on ne devait pas s'attendre qu'aucun traitement qu'il recevrait après avoir été considéré comme tel, lui serait agréable. D'un autre côté, admettant qu'il est prisonnier, il est difficile d'imaginer sur quel fondement il peut se

plaindre des restrictions limitées qui lui sont imposées à Ste.-` Hélène.

Ses plaintes sur l'insuffisance des provisions et des vins (car je regarde Montholon comme l'organe de Bonaparte) sont trop absurdes pour mériter aucune attention, et il est impossible de ne pas regretter que la colère, vraie ou fausse, ait porté un si grand homme à soutenir des faussetés aussi minutieuses. Je dois avouer que les rapports positifs qui avaient été faits relativement aux mauvais traitemens et entretiens qu'il recevait à Longwood, m'avaient partiellement inspiré des préventions; mais elles ont été dissipées par ce que j'ai vu moi-même. La maison de Longwood, considé-. rée comme une résidence de souverain, est certainement petite et peut-être insuffisante; mais, envisagée comme la demeure d'une `personne de haut rang, qui veut vivre sans éclat, elle est commode et respectable. On peut trouver de plus beaux sites dans l'île, et Plantation-House est à tous égards une résidence supérieure; mais elle est destinée à la réception de nombreux convives, et réservée pour la pompeextérieure qui convient à l'emploi de gouverneur.

Les deux autres objets qui, dans la situation de Bonaparte, méritent attention, sont les restreintes qui affectent sa liberté personnelle, et celles qui concernent ses communications avec d'autres. Quant aux premières, Bonaparte pose en principe que son évasion est impossible tant qu'il sera observé par les forts et par des vaisseaux de guerre, et qu'en conséquence sa liberté dans l'enceinte de l'ile ne devrait pas être entravée. La vérité du principe est évidemment récusable, et la conséquence est réfutée par le fait qu'il est prisonnier, et que sa détention est assez importante pour justifier les précautions les plus rigoureuses. Sa propre induction est néanmoins admise au point qu'il lui est permis d'aller dans toutes les parties de l'île, pourvu qu'il soit

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