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OPINION

SUR LE PROJET DE LOI

RELATIF A LA DETTE PUBLIQUE

ET L'AMORTISSEMENT,

PRONONCÉE A LA CHAMBRE DES PAIRS,
Dans la séance du 26 avril 1826.

M

ESSIEURS, un des moindres inconvénients que j'éprouve en paroissant à cette tribune, après des hommes d'un grand mérite, c'est de venir répéter ce qu'ils ont dit beaucoup mieux que je ne le dirai. Les deux orateurs qui ont parlé contre le projet de Loi ont dévasté mes chiffres, et emporté mes principaux arguments. Si je retranchois de mon discours tout ce qui ne sera pas nouveau, il n'y resteroit rien: vous y gagneriez du temps, Messieurs, et moi aussi. Toutefois, la gravité de la matière m'impose le devoir de me faire entendre.

Il est certain qu'un moyen puissant de conviction pour beaucoup de personnes, c'est de

voir que des esprits divers se sont rencontrés dans une même vérité. Ensuite chaque esprit a sa nature; la génération des idées ne s'y fait pas de la même façon, les principes et les conséquences s'y enchaînent d'une manière différente, et il arrive que tel auditeur se rend à une raison qui ne l'avoit pas frappé d'abord, parce qu'elle étoit autrement développée; c'est donc ce qui m'engage à vous présenter mon travail sans y rien changer.

Les orateurs qui ont soutenu le projet de Loi ont vu échouer leur habileté contre ce projet insoutenable.

C'est toujours la liberté d'une conversion, qui ne sera pas libre; le dégrèvement des contribuables, qui ne seront pas dégrevés; l'accroissement de l'industrie, qui ne s'accroîtra pas; la diminution de l'intérêt de l'argent, qui ne diminuera point; l'élévation des fonds publics, qui ne monteront que pour descendre; le refoulement dans les provinces des capitaux, qui viendront et resteront à Paris; enfin le triomphe du crédit, qui sera perdu. Nous reverrons tout cela.

Maintenant, nobles Pairs, voici la disposition de la matière, et l'ordre de la marche que je vais suivre dans mes raisonnements.

Je jetterai d'abord un coup d'œil sur l'ensemble du projet; ensuite j'examinerai les deux nécessités

qui forcent, nous dit-on, le Gouvernement à prendre la mesure financière qu'on nous propose d'adopter; je dirai quels sont les rapports de cette mesure avec la Loi d'indemnité, et je terminerai mon discours par des considérations générales.

Venons à l'ensemble de la Loi.

Le premier article de ce projet, en engageant la caisse d'amortissement jusqu'au 22 juin 1830, nous met dans l'impossibilité de nous défendre contre les événements qui peuvent survenir, à moins de reprendre cette caisse et de manquer à nos engagements envers les trois pour cent de l'indemnité, envers les trois à soixante-quinze de la conversion, de même que nous retirons aux anciens cinq pour cent leur gage spécial.

Ceci répond à ce que nous a dit, à propos de la caisse d'amortissement et du cas de guerre, un Ministre qui exprime les faits recueillis par sa longue expérience, avec ce ton de modération qui donneroit la puissance de la vérité aux choses les plus contestables.

L'article III imprime à la caisse d'amortissement un mouvement tout-à-fait arbitraire, et comme les cinq pour cent pourroient être un centime au-dessus du pair, tandis que les autres fonds s'approcheroient beaucoup du pair, depuis soixante jusqu'à cent; il résulte du texte

même de l'article III, qu'il y auroit ruine pour le Trésor à racheter des trois ainsi ascendants vers leur pair, au lieu des cinq descendants vers leur pair.

Les trois pour cent au-dessus de quatre-vingts donnent une perte plus considérable que les cinq pour cent à 100 francs et au-dessous; et comme les trois pour cent sont déjà cotés à quatre-vingts, la perte pour les contribuables seroit certaine, si l'on pouvoit racheter dès aujourd'hui des trois pour cent.

Étoit-il possible de déterminer l'emploi des sommes affectées à l'amortissement pour les différentes valeurs? Le noble Président de la Commission de surveillance a indiqué avec science et mesure le besoin d'une base d'opération, et il a posé des questions qui sont encore, Messieurs, présentes à votre esprit : une simple règle de proportion suffiroit pour établir entre les cours des trois et des cinq, le taux relatif où chaque fonds doit être racheté à l'avantage de la caisse, c'est-à-dire pour le bien des contribuables. Rien de semblable n'existe dans le projet de Loi.

Après ce que vous avez entendu hier de la bouche de deux nobles Comtes, sur la caisse d'amortissement, sur l'impossibilité d'en retirer le gage aux cinq pour cent, sans manquer à la foi donnée; sur l'administration de cette caisse,

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qui n'est point, quoi qu'on en ait dit, semblable à l'administration de l'amortissement anglais, il y auroit, Messieurs, présomption à remanier un sujet si supérieurement traité.

La conversion, dite facultative, accordée aux rentiers cinq pour cent par l'article iv, est une conversion forcée, et, afin qu'on n'en doute pas, on vous a déclaré, dans l'exposé des motifs du projet de Loi, qu'on a remis à l'avenir l'exercice du droit de remboursement, si la faculté de conversion n'amenoit pas des résultats tels qu'il soit permis d'y renoncer complétement. Sous le coup de cette menace, qui restera dans les cinq pour cent ? Quand la Loi déclare que les cinq pour cent convertis en quatre et demi, auront garantie contre le remboursement jusqu'au 22 septembre 1835, n'est-ce pas dire que les autres cinq pour cent n'ont pas la même garantie, et qu'on les force à se réduire eux-mêmes ?

Si les porteurs des cinq pour cent pouvoient garder ces valeurs aux mêmes titres, aux mêmes conditions qu'ils les ont reçues, avec le gage de la caisse d'amortissement, hypothèque qui leur étoit particulièrement assignée, et sans laquelle beaucoup d'entre eux n'auroient pas prêté leur argent, on pourroit dire que la conversion est véritablement facultative; mais lorsque pour obliger les rentiers à échanger leurs effets, on

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