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Quant au reste de la noblesse, lorsqu'un gentilhomme avoit de vingt-cinq à trente mille livres de rente, il étoit cité dans sa province. Dix mille livres de rente passoient pour une fortune. A mille écus de rente on étoit réputé très à l'aise, et un cadet qui avoit quinze cents francs à dépenser par an, était richissime. La pauvreté du gentilhomme étoit devenue proverbiale, et cette pauvreté étoit le plus bel ornement de l'ancienne noblesse. La révolution a plus détruit de colombiers que de châteaux: aussi son crime social n'est pas d'avoir violé tel genre de propriété, mais la propriété elle-même. Celui qui a été dépouillé de la chaumine de son père, a été plus maltraité et éprouve peut-être des regrets plus amers, que celui à qui l'on a ravi des foyers de marbre.

Tout considéré, si l'on réunit les grandes fortunes militaires actuelles, les grandes fortunes qui se sont formées par un moyen quelconque depuis une trentaine d'années, les grandes fortunes de banque, les grandes fortunes conservées de l'ancien régime, on

trouvera que la grande propriété individuelle est à peu près aussi considérable en 1826 qu'elle l'étoit en 1789.

On dit que la grande propriété est favorable à la liberté cela demande explication. Jetez les yeux autour de vous en Europe, vous verrez qu'il n'y a presque point d'État, si foible et si petit qu'il puisse être, où les grands propriétaires ne soient plus nombreux, proportion gardée, qu'en France. Dans ces pays où la grande propriété existe (l'Angleterre exceptée), les nations sont-elles plus libres? La grande propriété maintient la liberté chez les peuples régis par des lois constitutionnelles; elle favorise le despotisme dans les gouvernements absolus.

Pour résumer tout ceci et pour conclure : l'absence de la grande propriété, dans une partie de la Chambre héréditaire, ne nuit pas autant à l'esprit aristocratique qu'elle le devroit faire, à cause de la diminution générale de toutes les fortunes de la France, et parce que les individus de l'ancien corps aris

tocratique étoient en général assez pauvres. Il y a cependant parmi les Pairs des indigences qui, bien qu'honorables aux personnes, n'en sont pas moins scandaleuses pour la dignité de la couronne, la grandeur de la monarchie et la considération de la première dignité de l'État.

Mais s'il y a quelque raison, dans l'ordre actuel des choses, à la médiocrité de la propriété d'une partie de la Chambre des Pairs, il n'y a point de compensation au défaut de publicité des séances de cette noble Assemblée. La France perd les instructions qu'elle recevroit, si elle étoit témoin des débats admirables qu'amène la présentation des lois à la tribune des Pairs science, clarté, convenance, éloquence improvisée ou écrite de toutes les sortes, brillent au plus haut degré dans ces débats. La Chambre héréditaire renferme dans son sein la plupart des hommes qui, depuis trente années, à différentes époques, ont déployé des talents utiles à la patrie. La religion, les lois, la guerre, les sciences, les lettres, l'administra

TOME XXIII.

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tion ont leurs représentants dans ce corps illustre. Il seroit difficile de traiter un sujet, de quelque nature que ce soit, qui ne trouvat sur-le-champ un Pair capable de l'approfondir.

J'ai assisté aux séances du Parlement britannique au temps des Burke, des Sheridan, des Fox et des Pitt; j'ai vu attaquer et défendre, il y a peu d'années à Westminster, la question de l'émancipation des Catholiques les discussions dans la Chambre des Pairs en France sont indubitablement plus fortes que les discussions dans la Chambre des Pairs en Angleterre.

C'est une grande erreur de la Charte d'avoir fermé la Chambre des Pairs lorsqu'elle ouvroit la Chambre des Députés. Même dans le système de précaution qui dictoit cet article, on se trompoit encore; car si l'on craint les effets de la tribune, ce ne sont pas les séances secrètes de la Chambre héréditaire, qui feront le contre-poids des séances publiques de la Chambre élective.

La publicité des séances de la Chambre

des Pairs diminueroit encore les inconvénients qui résultent de l'article 38 de la Charte combiné avec la septennalité. Cet article fixe à quarante ans l'âge éligible du Député. La septennalité, excellente en principe, mais pernicieuse sans le changement d'âge et sans une plus grande garantie des droits électoraux, est venue ajouter son vice au vice de l'article 38. De sorte que le citoyen qui n'est guère élu député avant d'avoir atteint quarante-cinq ou cinquante ans, et qui charge encore ces années de la période septénaire, peut difficilement avoir appris ou conservé l'éloquence. On ne commence point une carrière à quarante-cinq ans ; quelques exemples extraordinaires ne font point règle. La septennalité, telle qu'elle est établie, frappera nécessairement d'une paralysie ministérielle la Chambre élective. Cette Chambre s'enfoncera tellement dans la vieillesse qu'un homme qui seroit élu deux fois sous l'empire du renouvellement septennal, pourroit regarder sa seconde élection comme un arrêt de mort.

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