Page images
PDF
EPUB

éteint. Chacun regarde autour de soi et n'étend pas ses vues au-delà du moment présent, on songe à en jouir, et celui qui voudroit engager à porter plus loin ses regards, semble un ennemi et répand l'effioi par l'intérêt même qu'il témoigne.

Au moment du réveil, tout ce peuple, avec un souvenir vague de ses anciennes habitudes, avec un instinct de caractère inextinguible, qui ne sert plus qu'à l'égarer, se voit avec étonnement sans lois, sans gouvernement, sans mœurs publiques, sans religion, sans institution nationale. Partout des

essais informes avoient renversé ce que l'expérience des siècles avoit consacré, et au nom de la philosophie on avoit détruit tous les liens qui resserrent la société et rendent les hommes si nécessaires les uns aux autres.

Le besoin d'un garant, qui assure la confiance, sans laquelle il n'y a ni union entre les individus, ni solidité dans les gouvernemens, rappelle à la religion, qui seule peut donner un motif aux sacrifices, un fondement aux devoirs, une base à la vertu. Une religion auguste, dont les dogmes majestueux ajoutent une nouvelle dignité à la nature humaine, élevent ses vues et agrandissent sa destinée pendant que sa morale consolante et pure, reglant les droits, fixant les rapports mutuels, lie tous les hommes par une chaîne de devoirs, dont le premier anneau va s'attacher au tróne de Dieu même; une religion consacrée par dix-huit cens ans de bienfaits, et qui, pendant quinze siécles, avoit fait la prospérité nationale, se présente aux esprits avec toute son utile influence, avec toute sa dignité, avec toute cette pompe majestueuse de cérémonies qui la rend si imposante aux hommes dont la pureté de sa doctrine assure le bonheur.

Les sacriléges tentatives des méchans avoient bien pu en interdire le culte extérieur, en massacrer, en bannir les ministres, essayer d'avilir les dépositaires de la doctrine, par le choix de ceux à qui ils disoient l'avoir confiée. Mais on ne parvient pas aisément à éteindre dans le cœur de l'homme des sentimens confirmés par l'éducation, devenus le guide de ses actions, la consolation de ses infortunes et le fondement de son espérance. Le culte extérieur étoit anéanti; mais la France étoit religieuse, la France étoit Chrétienne et Catholique. Quelques milliers d'infortunés, qui cherchoient à s'aveu gler eux-mêmes, quelques hommes égarés par une vanité ambitieuse, par une hardiesse sophistique, quelques usurpateurs épouvantés des restitutions immenses qu'une morale inflexible alloit leur prescrire, ne pouvoient long temps balancer la masse nationale; et au premier moment où l'on cut pouvoir respirer, la nation entière se proclamoit Chrétienne et rede

mandoit la religion de ses pères. Cette liberté d'exprimer son vœu fut un bienfait du gouvernement, et quel que soit le motif qui l'ait déterminé à l'écouter, c'est toujours un changement réel, une amélioration véritable dans la situation du peuple françois il put alors se former un espoir légitime du retour à l'ordre et au bonheur.

la

Mais ce vœu énoncé par les peuples, écouté par l'adminis tration, étoit vague, indéterminé; c'étoit le culte libre, c'étoit pompe des cérémonies seule que la plupart redemandoient; au moins leurs yeux, qui partout ailleurs ne leur présentoient que des formes nouvelles, que des objets étrangers, auroient retrouvé là les établissemens de leurs pères et les usages si chéris de leur enfance; c'étoit sa morale que les ennemis peu nombreux du christianisme redoutoient; et de là vient que le rétablissement d'un culte demandé par la grande majorité d'un peuple chez qui il est de maxime que la majorité fait la loi, devint, par une négociation inconcevable, l'objet d'une capitulation sans exemple, je ne dis pas dans les fastes de l'église, mais dans les annales de l'humanité.

A ce cri d'un peuple qui réclame son Dieu, le culte, la mo rale qui fit la gloire et le bonheur de ses ancêtres, le père commun des fidèles se hâta de joindre avec le zèle le plus ardent, avec la charité la plus pure, les sollicitations de la tendresse et de la piété: le gouvernement paroît vouloir répondre à ses invitations et sentir lui-même que la religion est la base des empires: mais pendant que ces démarches se font des deux côtés, l'intrigue, les passions, l'ambition déjouée, toujours attentives à profiter des circonstances, viennent traverser cette régénération nationale, associer leurs viis intérêts, leurs laches calculs, aux propositions que dictoient le bonheur du peuple et le besoin des mœurs publiques.

Que le gouvernement actuel de la France ait été de bonne foi ou non dans cette résolution de rendre la liberté de culte aux catholiques, ce n'est pas ici le lieu de l'examiner; mais que les mesures qu'il a prises et auxquelles il a contraint le souverain pontife d'accéder soient celles que la nation désiroit, que les formes antiques prescrivoient, que le retour aux principes eut indiquées, c'est ce qui certainement ne peut s'ac corder.

Cependant le zèle s'échauffoit, les gens pieux se divisoient, l'amour de la religion, le désir sincere du bien public fournissoient des opinions différentes, et le malheureux penchant de l'humanité à vouloir communiquer aux autres et prescrire impérieusement ce qu'on a jugé vrai et utile donnoit la cha

leur de la rivalité à des sentimens qui partant d'un même vou, d'un même désir, ne devoient naturellement produire qu'un examen réfléchi et une discussion de bonne foi.

Telle étoit la disposition des esprits lorsque fut connu le bref adressé aux évêques de France. Alors toutes les opinions s'enflammèrent, s'exagérèrent; ce ne furent plus simplement les dépositaires de la doctrine qui discutèrent entr'eux, le public se saisit de la question, les motifs humains la firent prendre sous différens points de vue. Le gouvernement françois avoit vu dans le rétablissement du culte un moyen de s'affermir; chaque individu vit dans la circonstance un moyen d'obtenir ce qu'il désiroit. Le prêtre pieux n'envisagea que la gloire de Dieu, le salut des âmes; et ne considérant que le moment présent et la facilité de porter des secours, il ne regarda pas plus loin: jugeant de la droiture d'administrateurs captieux par celle de son propre cœur, il n'imagina pas qu'on pût du rétablissement extérieur de la religion, se promettre la destruction de la morale, la confirmation de dispositions injustes et le triomphe de la rébellion: il ne vouloit point examiner: il cédoit sans réflexion à l'attrait d'un cœur vertueux, il s'indignoit même des résistances, et par piété étoit tenté de condamner, de désapprouver la sage et prudente circonspection de ses supérieurs: quelques théologiens, par une fatalité inexplicable, qui fait qu'on s'attache plus en quelque sorte à ce qui n'est que d'opinion qu'à ce qui est de vérité indispensable, y voyoient le triomphe de leurs sentimens particuliers: la lassitude d'une trop longue épreuve, l'amour paternel égaré, l'espoir de revoir une patrie que le séjour chez l'étranger rendoit encore plus chère, le désir si vif de se retrouver encore une fois au milieu de concitoyens qu'on n'a jamais cessé de chérir malgré leurs injustices, la confiance dans le caractère national, engageoient d'un côté à adopter toutes les mesures quelles qu'elles fussent. De l'autre, l'austère devoir, une certaine rigidité de principes accrue encore par le sentiment des souffrances que l'on avoit éprouvées pour eux, la conviction intime qu'il est impossible de calculer où l'on s'arrêtera, quand une fois on a dépassé les bornes si sagement posées par l'antiquité dans des temps où la partialité n'avoit aucune influence, la prudence, qui étend ses vues sur l'avenir, et qui ne voit tous les siècles que comme une longue chaîne dont tous les anneaux doivent être également tendus vers le même but, qui ne mesure point les devoirs sur les avantages du moment, mais sur l'utilité permanente, qui n'applique point d'abord sa mesure aux hommes, mais veut auparavant la déterminer sur les lois

d'une justice immuable, prescrivoient impérieusement à quelques autres l'indispensable obligation de connoître et d'examiner. Ils se voyoient comptables à l'univers, à la postérité, d'une décision sans exemple, d'une démarche dont les effets étoient irremédiables.

A ces raisons si respectables, la fidélité à ses souverains, le respect pour soi-même, la religion du serment, la commisération même pour des princes infortunés, qui ne souffroient que parce qu'ils avoient été nos maîtres: l'obligation de transmettre à ses enfans son nom, son existence sociale, telle qu'on l'avoit reçue, sans jamais consentir à leur dégradation, venoient ajouter de nouveaux motifs de résistance. On s'échauffoit, on se permettoit mutuellement des reproches, des inculpations, on devenoit mutuellement injuste, on vouloit prévenir les avis, des conciliabules se formoient, et déjà la diffamation sembloit se faire redouter.

C'est en ces circonstances que parut la lettre de M. l'Arch. d'Aix. Quel fut son motif? sans doute il étoit juste; mais le public n'étoit point son juge, et il en connoissoit les dispositions, il savoit quelle chaleur régnoit dans les esprits; ses confrères se taisoient; lui seul sembloit en appeler au peuple, et cette pièce nouvelle vint donner le signal d'une véritable di

vision.

Pénétré de douleur pour un effet aussi déplorable, ne tenant à aucun parti, à aucune école particulière, sans liaisons avec aucun de Messieurs les Evêques existans à Londres, autres que M. l'Archevêque d'Aix, je crus, au milieu des clameurs, pouvoir faire entendre quelques réflexions impartiales. En garde contre la présomption qui décide, je me bornai à fixer le véritable état de la question, tel qu'il existoit au moment où j'écrivois. Ce qui se passoit à Londres concernant les démissions demandées, étoit seul véritablement connu, est seul encore authentiquement connu. Quatre Evêques avoient accédé à la demande du Souverain Pontife, quatorze, sans refuser, désiroient être plus amplement instruits. Scrupuleux observateurs des formes, ces derniers bornoient leur correspondance au Souverain Pontife, à qui seul ils devoient compte de leurs résolutions et de leurs motifs. Les autres publioient des lettres, des instructions, où, pour appuyer leurs résolutions, ils détailloient les principes qui les avoient dirigés, de manière à laisser voir qu'ils croyoient insoutenable la conduite de leurs confrères, il les voyoient en contradiction avec le S. Père, avec eux-mêmes, avec les principes, avec les autres églises, avec leur clergé, et par conséquent ce qu'ils n'osoient

pas dire, mais ce que des gens beaucoup moins réservés qu'eux assuroient avec audace, en contradiction avec leurs devoirs.

Je pris le terme moyen et posai en fait que Messieurs les Évêques avoient pu suspendre leur assentiment à l'œuvre de charité qui leur étoit proposée, sans tomber dans toutes ces contradictions, qui seroient, nous le confessons, le plus déplorable des malheurs (1) Voilà ma proposition générale, qu'aucun de vous, Messieurs, n'a voulu attaquer. Je la divisai pour le développement en plusieurs branches, qu'aucun de vous, Messieurs, n'a suivies : vous vous êtes arrêtés aux détails, à chicaner sur quelques citations, à expliquer, à votre manière, des faits controversés par les critiques; vous avez substitué un systême théologique à des vérités historiques, et pour appuyer vos réponses, quelques-uns de vous ont employé la falsification de mes paroles. Cette méthode est aisée, mais n'est pas généreuse: je tâcherai de ne pas l'imiter en vous suivant, cependant, dans toutes vos difficultés, dans toutes les ressources que vous avez cru pouvoir employer.

J'ai dit, 1. Le Souverain Pontife n'a pu proposer qu'un

avis.

2. Les Évêques, juges avec lui, mieux instruits des vrais besoins de leurs églises, sont libres d'accepter et n'ont pu se départir de leur qualité essentielle de juges.

3. La proposition faite par trente évêques en 1790, n'a pu lier le corps épiscopal.

4. Quand elle l'auroit pu, les circonstances étant absolument changées, la proposition, les résolutions mêmes sur lesquelles elle se fût appuyée, doivent changer, pour être conformes à l'esprit, aux règlemens, aux besoins de l'église.

5. Les autres églises particulières ne peuvent être juges en cette circonstance, et quand elles le seroient, leur témoignage seroit indubitablement en faveur des Évêques de France

6. La religion demande encore plus impérieusement la conservation de la morale dans toute sa pureté que la public té du culte.

7. Les Evêques ne peuvent craindre de se trouver en contradiction avec leur clergé.

Enfin, sortant de la question principale, et entraîné hors de mon premier but, par l'équivoque de quelques expressions très-peu intelligibles de M. l'Archevêque d'Aix, et dans lesquelles il sembloit avoir à dessein mis de l'obscurité, j'examine

(1) Page 16.

« PreviousContinue »