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CHAPITRE X.

Projets sur la Pologne. Campagne d'hiver. Les Russes arrivent sur la Vistule et envahissent la Moldavie. Batailles de Pultusk et d'Eylau. Quartiers d'hiver. Opérations contre les Suédois. Siégés de Dantzick et des places de Silésie. Menaces de l'Espagne. Démonstrations de l'Autriche. Les Anglais devant Constantinople; ils échouent contre l'Égypte. Négociations diverses avec la Perse, la Porte, la Suède et les coalisés. Ouverture d'une seconde campagne. Batailles d'Heilsberg et de Friedland. Traité de Tilsit.

Le roi de Prusse s'était retiré à Koenigsberg. De toute son armée il lui restait à peine 20 mille hommes en état de tenir la campagne; mais 100 mille Russes venaient à son secours et s'avançaient sur la Vistule. Je marchai à leur rencontre; j'arrivai en Pologne. Un nouveau théâtre s'ouvrait à nos armes ; j'allais voir cette vieille terre de l'anarchie et de la liberté courbée sous la domination étrangère; les Polonais attendaient ma vénue pour secouer le joug allemand.

la Pologne.

Il aurait fallu ignorer l'histoire du 18° siècle Projet sur pour méconnaître tout le parti que je pouvais tirer de la Pologne; mais, pour qu'elle pût servir

à la fois de barrière à la Russie et de contrepoids à l'Autriche, il fallait un rétablissement complet. Une guerre très-longue et très-heureuse pouvait seule amener ce résultat : mes ministres n'étaient pas d'accord sur son opportunité; Talleyrand, vieux et usé, soupirait après son hôtel de Paris, et se souciait peu d'une promenade d'hiver en Pologne; il s'y montra contraire. Maret pensait qu'on pouvait en faire l'essai, parce qu'il y voyait d'immenses avantages et des chances de succès.

Les promesses de Dombrowsky et de Zayonscheck étaient engageantes. Une députation solennelle de la grande Pologne, présidée par le comte Dzadinski, vint fixer mes idées en m'assurant une prompte levée de ce qu'ils nomment l'insurrection polonaise, espèce d'arrière - ban où chaque gentilhomme monte à cheval et conduit un certain nombre de ses paysans. Déja mes ordres étaient préparés, lorsqu'un mémoire d'un officier attaché à ma personne vint ébranler ma résolution. Il me représenta, sous les couleurs les plus vives, l'avantage que je trouverais à préférer l'alliance de la Prusse, à qui il serait généreux de pardonner, et qu'on pourrait agrandir de toutes les parties du territoire polonais qu'il serait possible de réunir par la suite, en conservant à celles-ci leur nationalité : c'était obtenir l'espèce de contrepoids qu'il importait

à ma politique de créer, et c'était l'obtenir sans m'exposer aux chances d'une guerre interminable contre la Prusse, la Russie et l'Autriche.

Ce mémoire s'appesantissait surtout sur le danger de donner un point de réunion éternel à la politique de trois puissances naturellement rivales, et sur ce qui nous arriverait de fâcheux en passant la Vistule, si l'Autriche débouchait avec 150 mille hommes derrière nous, sans que nous pussions nous appuyer sur la Prusse. Il faisait ressortir aussi l'avantage qui résulterait, pour la nation Polonaise, de sa fusion avec un peuple éclairé et industrieux. C'était une grande idée.

J'avoue que je me sentis sur le point d'être entraîné; déja l'armistice se négociait; mais les réflexions que firent naître les inconcevables capitulations d'Erfurth, de Stettin, de Prenzlow, de Magdebourg et de Lubeck, me firent attacher moins de prix à l'alliance d'une armée si démoralisée. Les conditions de l'armistice s'en ressentirent, et comme je m'attendais que l'arrivée des Russes le ferait refuser, je résolus d'essayer des Polonais, sans me laisser intimider par les approches de la mauvaise saison. Dans le fait, il m'en coûtait moins d'aller à Varsovie combattre l'armée russe au milieu d'une population prête à se joindre à nous, que de l'attendre au milieu

des Prussiens humiliés, et qu'un revers de mon armée eût fait revoler aux combats.

Kocziusko se trouvait depuis plusieurs années à Paris, je l'appelai près de moi; mais il se souciait peu de renouveler une levée de bouclier partielle. Il demandait la restauration formelle et complète de sa patrie, et je ne pouvais pas m'engager trop loin en proclamant la résolution de relever un royaume dont l'Autriche avait accaparé le tiers. C'était à la fois fermer la porte à tout rapprochement avec la Russie et m'attirer l'Autriche sur les bras. Je me contentai d'envoyer Dombrowski et Zayonscheck à Posen, pour les assurer de l'intérêt que je prendrais à leur pays, s'ils me secondaient, et leur annoncer que je les suivais de près. Je partis de Berlin le 24 novembre, et arrivai le 28 à Posen. J'y fus reçu avec un enthousiasme qui m'étonna et parut d'un heureux présage. On nous donna des fêtes qui auraient fait honneur aux plus brillants salons de Paris. Je restai dans cette ville une quinzaine de jours : ce temps n'était pas perdu, puisque mes colonnes filaient dans cet intervalle sur Varsovie, et qu'il me suffisait de quelques jours pour arriver en poste aussitôt qu'elles.

Malgré l'espèce d'élan que je produisis à Posen et à Varsovie, les Polonais n'ont pas rempli entièrement mes vues. C'est un peuple pas

sionné, chevaleresque et léger: tout se fait chez eux par inspiration, et rien par système. Leur enthousiasme est grand, mais ils ne savent ni le régler ni le perpétuer. Ceux qui ont suivi mes drapeaux ont été d'une fidélité et d'une valeur admirables; je leur en paie ici les tributs de ma reconnaissance : mais comme nation, la Pologne eût pu faire davantage. Ce n'est pas la faute des hommes, c'est celle des choses. Si la Pologne avait eu un tiers-état plus puissant et plus nombreux, elle se fût levée en masse pour nous. Peut-être qu'en donnant aux Polonais un plan, un système, un point d'appui plus solide que la maison de Saxe, ils auraient pu se former avec le temps et se maintenir par eux-mêmes. Quoique mon caractère ne m'ait jamais porté à faire les choses à demi, je n'ai cependant fait que cela en Pologne, et je m'en suis mal trouvé; mais ce fut la faute de ma situation politique, on ne saurait me l'imputer en rien.

Mesures

pour assurer

Je mis à profit le séjour que je fis à Posen, en signant la paix avec l'électeur de Saxe, et en ren- les derrières forçant, de cet ancien allié de la France, le sys- de l'armée. tême de la Confédération du Rhin. Un premier contingent de 8 mille hommes se mit en marche pour me joindre sur la Vistule. Je donnai aussi la dernière main aux mesures nécessaires pour assurer nos derrières.

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