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a rien de changé en France, si ce n'est qu'il s'y trouve un Français de plus, est sublime; mais c'est une noble utopie, comme la balance des pouvoirs de Sièyes, la paix perpétuelle, etc. Les princes rentraient avec les royalistes de toutes les conditions; ils avaient à traiter pour les intérêts de cent mille familles nobles, qui leur eussent demandé, comme en 1816, s'il n'y avait qu'une légitimité. Les princes eussent été placés à la tête de la contre-révolution, et moi à la tête de ceux qui ne pouvaient pas la tolérer. J'aurais porté ma tête sur l'échafaud ou consolidé mon ouvrage; l'alternative n'était pas agréable. Il n'y aurait eu qu'un moyen d'arranger la chose, c'eût été de faire le Monck en France, et d'aller ensuite chercher un refuge en Italie, en plaçant la couronne de roi des Romains sur ma tête. Une lettre anonyme fort spirituelle m'en avait donné le conseil à l'époque des négociations de CampoFormio, et j'ai pensé qu'elle venait de Louis XVIII. Mais, eussé-je été plus légitime roi d'Italie qu'empereur des Français ? l'Autriche se fût-elle accommodée de la fondation d'un état qui l'expulsait pour jamais de la Lombardie? la France m'eûtelle soutenu? et, dans la certitude contraire, quel insensé eût quitté le commandement de 500 mille Français victorieux, pour celui de 30 peuples italiens qui ne s'entendaient pas entre eux, qui

Résultats de l'établis

l'empire.

n'étaient pas encore fondus et amalgamés pour former une seule nation, enfin qui n'avaient rien de prêt pour leur défense?

Revenons à l'empire. Jamais révolution ne fut sement de aussi douce que celle qui renversa cette république pour laquelle on avait répandu tant de sang; c'est qu'on maintenait la chose; le mot seul était changé, c'est pourquoi les républicains n'ont point redouté l'empire. D'ailleurs les révolutions qui ne déplacent pas les intérêts sont toujours douces.

La révolution étant enfin terminée, elle devenait inébranlable sous une dynastie permanente. La république n'avait satisfait que des opinions ; l'empire garantissait les intérêts et les opinions.

Ces intérêts étaient ceux de l'immense majorité, parce qu'avant tout les institutions de l'empire garantissaient l'égalité. La démocratie y existait de fait et de droit, dégagée de tous ses inconvénients. La liberté seule y avait été restreinte, parce qu'elle ne vaut rien pour les temps de crise; mais la liberté n'est à l'usage que de la classe éclairée de la nation, encore en fait-elle rarement bon usage: l'égalité sert à tout le monde. C'est pourquoi mon pouvoir est resté populaire, même dans les revers qui ont écrasé la France.

Mon autorité ne reposait pas, comme dans les vieilles monarchies, sur un échafaudage de castes

et de corps intermédiaires; elle était immédiate. et n'avait d'appui qu'en elle-même; car il n'y avait dans l'empire que la nation et moi. Mais dans cette nation tous étaient également appelés aux fonctions publiques. Le point de départ n'était un obstacle pour personne; le mouvement ascendant était universel dans l'état. Ce mouvement a fait ma force, je n'ai pas inventé ce systême il est sorti des ruines de la Bastille; il n'est que le résultat de la civilisation et des mœurs que le temps a données à l'Europe. On aura de la peine à le détruire; il se maintiendra par la force des choses, parce que le fait finit toujours par se placer là où est la force. Or, la force n'était plus dans la noblesse depuis qu'elle avait permis au tiers-état de porter les armes, et qu'elle n'avait plus voulu être la seule milice de l'état. Elle n'était pas non plus dans le clergé depuis que le monde en avait reconnu l'abus et le danger.

Le gouvernement le plus sage est celui qui sait s'appuyer sur la partie la plus vigoureuse de la nation, en lui imposant des limites pour la maintenir dans une direction salutaire : c'est le parti que j'ai pris en jetant un édifice tout neuf.

La chute des préjugés avait mis en France la source des pouvoirs à découvert. Il fallait donc refaire l'autorité sur un autre plan; il fallait qu'elle se passât du cortége des préjugés; il fal

Etat de l'Eu

rope après

ment au

trône.

lait qu'elle se passât de cet aveuglement qu'on appelle la foi. Elle n'avait hérité d'aucuns droits; il fallait donc qu'elle fût entière dans le fait, c'est-à-dire dans la force.

Je ne montais pas ainsi sur le trône comme un héritier des anciennes dynasties, pour m'y asseoir mollement sur les prestiges des habitudes et des illusions; mais pour mettre les lois en accord avec les mœurs, et pour rendre la France redoutable, afin de maintenir son indépendance.

Je m'attendais bien que la reconnaissance de mon avene- cet empire ne se ferait pas sans opposition : Louis XVIII, retiré alors à Varsovie, avait donné le signal à tous les souverains par une protestation énergique contre ce qu'il nommait mon usurpation. Outre cela, l'atmosphère politique du continent n'était plus aussi serein. La Russie annonçait des intentions moins favorables.

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Brouille de la Russie.

L'empereur Alexandre était jeune et passionné pour le militaire; nourri dès son berceau des grandes actions de Catherine et de Pierre-le-Grand, cherchant avec avidité l'occasion de se montrer leur digne successeur, il devait courir la même carrière que moi soit qu'il s'alliât à mes projets contre l'Angleterre, soit qu'il se réunît à l'Angleterre pour s'opposer à mes desseins, nous devions nous rencontrer dans les champs de la gloire. Dans l'un et l'autre cas, il ne manquerait pas d'a

grandir les destinées de son empire, et de se placer dans l'histoire au niveau de ses illustres aïeux. Jusqu'en 1803 il avait paru assez disposé en ma faveur. Le canon de Copenhague, retentissant en quelque sorte jusqu'à Cronstadt et St.-Pétersbourg, avait sonné l'alarme contre les prétentions anglaises. C'en était assez pour faire pencher ce prince en ma faveur, et la bonne intelligence avec laquelle nous réglâmes de concert la grande affaire des indemnités d'Allemagne, en 1803, prouve assez dans quelles dispositions il était à cette époque pour moi.

Mais dès lors une multitude d'événements entraîna Alexandre dans un autre sens.

Il avait proposé, à la fin de la même année, sa médiation pour la paix avec l'Angleterre ; on demandait au préalable que j'évacuasse la Hollande, l'Italie et la Suisse. Quant à ce dernier point, je ne fis nulle difficulté; mais les autres conditions en pouvaient me convenir, vu l'incertitude de la réussite de cette médiation : c'est tout ce qu'on aurait pu exiger de moi en signant un traité préliminaire. Je proposai un armistice et un congrès en laissant les choses au point où elles étaient jusqu'à la paix. Le cabinet de Londres exigea, avant d'admettre la médiation, que j'évacuasse le Hanovre, et, dans l'impossibilité de nous entendre, il fallut renoncer à traiter. Mon refus mit de la

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