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tement: et peu de temps après le prince Ernest de Hesse, descendant du landgrave, rendit pu

trice son épouse, entretenoit publiquement un commerce criminel avec la dame Egenfeld. Quelques ministres de sa communion lui firent apparemment des reproches sur le scandale de sa conduite; mais l'électeur voulut leur imposer silence, en leur opposant la théologie plus indulgente de Luther. Il concluoit de ce que Luther avoit permis à un landgrave d'avoir deux femmes à la fois, qu'il étoit bien permis à un électeur d'avoir en même temps une femme et une concubine. Il prit un moyen singulier et détourné pour faire connoître au public tout ce qui s'étoit passé au sujet du landgrave. Les luthériens avoient reproché à l'Eglise romaine la décision du pape Grégoire II, qui avoit permis à un mari, dont la femme étoit malade, de la répudier, et d'en épouser une autre ; décision très-irrégulière en effet, que l'Eglise romaine n'a jamais suivie, et qu'elle a constamment improuvée.

Le cardinal Bellarmin, qui avoit été instruit, quoique d'une manière assez vague, de la décision de Luther pour le landgrave, en répondant aux luthériens, leur fit sentir qu'ils ne pouvoient reprocher à l'Eglise romaine l'erreur d'un pape qu'elle condamnoit elle-même; il ajoutoit au reste qu'il s'étonnoit de ce que les luthériens reprochoient à Grégoire II un sentiment que Luther lui-même avoit autorisé.

L'électeur palatin Charles-Louis imagina donc de faire composer par un de ses conseillers nommé Laurentius Bæger, un écrit qui fut publié en 1679, sous le nom emprunté de Daphnæus Arcuarius, traduction latine du nom allemand de l'auteur. Cet ouvrage écrit en allemand, a pour titre : Considérations, ou Réflexions consciencieuses sur le mariage, en tant qu'il est fondé sur le droit divin, et sur le droit de la nature, avec un éclaircissement des questions agitées jusqu'à présent, touchant l'adultère, la séparation, et particulièrement la polygamie. Dans la

bliques toutes les preuves originales de cette étrange consultation, lorsqu'il fut devenu catholique. Bossuet rapporte tous ces actes; ils forment la preuve la plus authentique de l'un des faits les plus extraordinaires dans le genre historique. En lisant ces pièces, on admire également l'adresse machiavélique dont le landgrave sut faire usage pour effrayer et séduire Luther et Mélanchton, et la honte et l'embarras qui agitent ces singuliers réformateurs de la morale du christianisme; ils ne cherchent pas même à faire illusion par ces

IV. partie, chap. 1.er, l'auteur ayant proposé la question : si dans la nouvelle alliance, il y a eu des docteurs qui ayent permis la polygamie, après avoir feint de prendre la défense de Luther contre l'accusation du cardinal Bellarmin, il finit insensiblement par convenir qu'elle n'étoit que trop fondée; et il en donne lui-même des preuves si convaincantes, qu'elles ne laissent aucun doute au lecteur. Il conclut à la fin du chapitre que Luther a effectivement enseigné la doctrine qu'on lui impose, et fait voir que c'est à tort qu'on veut l'excuser, en disant que ce n'a été que vers le commencement de sa réforme, comme s'il avoit changé de sentiment dans ses derniers écrits. Enfin, il produisit en allemand et en latin l'avis doctrinal de Luther, Bucer et Mélanchton, et le contrat de mariage du landgrave. C'est ainsi que le public eut connoissance pour la première fois de ces pièces si remarquables. L'électeur Charles-Louis fit remettre des exemplaires de cet ouvrage à la plupart des Cours, à un grand nombre de savans, et à M. Obrecht lui-même, dont nous empruntons ces détails. Mais il fit défendre en même temps à M. Obrecht de dire que c'étoit de lui qu'il tenoit cet ouvrage.

raisonnemens plus ou moins spécieux, qui permettent quelquefois de croire qu'on s'est trompé de bonne foi. Ils avouent, ils déclarent que la décision qu'on leur demande, viole toutes les lois du christianisme; et ils finissent par la souscrire, la honte et le dépit dans le cœur. Ils se montrent seulement dominés par l'insupportable inquiétude, que ce déplorable secret ne soit connu des catholiques. Le landgrave de Hesse voulut bien leur épargner ce dernier degré d'ignominie. Il fut fidèle au secret qu'on lui avoit demandé, tant qu'ils vécurent et tant qu'il vécut lui-même.

Ce qui contribue le plus à répandre un intérêt continu sur l'Histoire des variations, ce sont les portraits d'un grand nombre de personnages célèbres qui se montrent sur le théâtre de tant d'événemens dont les suites ont laissé des traces si profondes. On sait combien Bossuet excelloit dans cette partie de l'histoire. Il ne peint jamais les hommes avec ses principes ou ses opinions; inais il les montre tels qu'ils se sont montrés eux-mêmes dans les actes publics de leur vie, ou tels qu'ils se sont laissés apercevoir dans l'épanchement de la confiance et de l'amitié. On peut surtout être curieux d'entendre Bossuet parler de Luther, de Calvin, de Mélanchton et de quelques hommes qui jouèrent un rôle dans les premiers temps de

cette grande révolution. Ce qui frappe le plus dans la manière dont Bossuet les représente, c'est qu'il est impossible d'y observer la plus légère trace d'amertume ou de prévention.

VI.
Portrait de
Luther.
*Histoire des

liv. rer.

«<* Les deux partis qui partagent la réforme, » ont également reconnu Luther pour leur au» teur, dit Bossuet. Ce n'a pas été seulement les variations, » luthériens, ses sectateurs, qui lui ont donné à » l'envi de grandes louanges; Calvin admire sou» vent ses vertus, sa magnanimité, sa constance, >> l'industrie incomparable qu'il a fait paroître >> contre le pape. C'est la trompette, ou plutôt » c'est le tonnerre; c'est le foudre qui a tiré le » monde de sa léthargie. Ce n'étoit pas Luther, » c'étoit Dieu qui foudroyoit par sa bouche.

» Il est vrai qu'il eut de la force dans le génie, » de la véhémence dans ses discours, une élo» quence vive et impétueuse qui entraînoit les peuples et les ravissoit. Une hardiesse extraor

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dinaire, quand il se vit soutenu et applaudi, » avec un air d'autorité qui faisoit trembler de>> vant lui ses disciples; de sorte qu'ils n'osoient >> le contredire ni dans les grandes choses, ni dans » les petites..... Ce ne fut pas seulement le peuple >> qui regarda Luther comme un prophète, les >> doctes du parti le donnoient pour tel. Mélanch»ton, qui se rangea sous sa discipline dès le com

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VII.
De Zuingle,

liv. II.

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» mencement de ces disputes, se laissa d'abord » tellement persuader qu'il y avoit en cet homme quelque chose d'extraordinaire et de prophé tique, qu'il fut long-temps sans en pouvoir re» venir, malgré tous les défauts qu'il découvroit » de jour en jour dans son maître ; et il écrivoit » à Erasme, en parlant de Luther: Vous savez qu'il faut éprouver, et non pas mépriser les » prophètes.

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Cependant ce nouveau prophète s'emportoit » à des excès inouis; il outroit tout. Parce que » les prophètes, par l'ordre de Dieu, faisoient » de terribles invectives, il devint le plus violent » de tous les hommes et le plus fécond en paroles >> outrageuses. Luther parloit de lui-même d'une » manière à faire rougir tous ses amis. Enflé de » son savoir médiocre au fond, mais grand pour » le temps, et trop grand pour son salut et pour » le repos de l'Eglise, il se mettoit au-dessus de >> tous les hommes, et non-seulement de ceux de » son siècle, mais encore des plus illustres des » siècles passés.

>> Zuingle, pasteur de Zurich, avoit commencé » à troubler l'Eglise à l'occasion des indulgences, » aussi bien que Luther, mais quelques années » après. C'étoit un homme hardi, et qui avoit » plus de feu que de savoir. Il y avoit beaucoup

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