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Pour soutenir cette étrange profession de foi, il prétendit «< que jusqu'au concile de Nicée, et » même jusqu'à celui de Constantinople, le » dogme sur la trinité avoit été informe, mal » connu et mal expliqué; que les premiers chré» tiens croyoient les trois personnes de la tri» nité inégales; que le fils de Dieu ou le Verbe » n'étoit pas éternel comme son père; que le » mystère même de l'incarnation leur étoit in» connu; qu'ils paroissent avoir douté de l'unité, » de l'immutabilité de Dieu, ainsi que de sa pro» vidence; que la doctrine de la gráce, qu'on regarde aujourd'hui avec raison comme l'un » des plus importans articles de la religion chré» tienne, étoit entièrement informe jusqu'au » temps de saint Augustin; qu'avant lui la plu» part des anciens docteurs de l'Eglise étoient » stoïciens et manichéens; que d'autres étoient » purs pélagiens, et les plus orthodoxes semi» pélagiens ».

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Il ne falloit ni beaucoup de temps, ni beaucoup d'étude à Bossuet, pour abattre un adversaire aussi maladroit qui venoit, pour ainsi dire, lui offrir lui-même les armes les plus propres à le

terrasser.

L'histoire des variations avoit paru en 1688; Jurieu publia ses lettres pastorales à la fin de 1688,

et au commencement de 1689: et dès la même année 1689, Bossuet fit paroître ses trois premiers Avertissemens aux protestans.

Bossuet préféra cette forme; c'étoit aux protestans que Jurieu avoit adressé ses lettres pastorales; et ce furent les protestans eux-mêmes que Bossuet voulut prendre pour juges entre Jurieu et lui.

Jurieu avoit porté la maladresse jusqu'à un excès si ridicule, qu'un peu de bon sens ou de bonne foi auroit suffi pour l'en préserver. Conçoit - on que Jurieu ait pu en 1689 adresser à Bossuet à la face de toute l'Europe ces singulières paroles : « J'avertis l'évêque de Meaux qu'un évêque de » Cour comme lui, et les autres dont le métier » n'est pas d'étudier, devroient un peu ménager » ceux qui n'ont point d'autre profession ».

Bossuet un évêque de Cour! Bossuet invité par Jurieu à apprendre à étudier! Bossuet réduit à recevoir des leçons de théologie du professeur de Roterdam!.

Il faut croire pour l'honneur de Jurieu, que dans cette singulière apostrophe il ne cherchoit à faire illusion ni à lui-même, ni aux gens éclairés de sa communion. Mais il écrivoit ses lettres

:

pastorales pour la multitude et dans tous les temps et dans tous les pays, la multitude en est

à-peu-près au même degré d'ignorance sur les choses et sur les personnes. Il étoit possible qu'à Roterdam, sur la parole de Jurieu, Bossuet passât pour un évêque de Cour qui n'avoit fait que prêter son nom à tant d'ouvrages, qui avoient déjà porté sa gloire dans toutes les parties de l'Europe.

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XII.

Bossuet démontre contre Jurieu dans son pre- Du 1.o1 avermier avertissement aux protestans, que confor tissementaux protestans. mément à la doctrine de S. Vincent de Lérins et à celle de tous les Pères, « l'Eglise de Jésus-Christ, soigneuse gardienne des dogmes qui lui ont été >> donnés en dépôt, n'y change jamais rien; qu'elle » ne diminue point, qu'elle n'ajoute point, que >> tout son travail est de polir les choses qui lui » ont été anciennement données, de confirmer » celles qui ont été suffisamment expliquées, de garder celles qui ont été confirmées et définies, » de consigner à la postérité par l'Ecriture ce qu'elle avoit reçu de ses ancêtres par la tradi

>>

>>

» tion. >>>

C'est en conformité de cette maxime, que lorsque de nouvelles erreurs se sont élevées dans l'Eglise, et qu'on a cru nécessaire de convoquer des conciles pour les proscrire, les conciles n'ont fait que confronter les nouvelles doctrines avec les témoignages de l'Ecriture et ceux de la tradition;

et ils ont ensuite déclaré qu'elles étoient contraires à la parole de Dieu et à la foi de leurs Eglises.

On ne prononçoit jamais les décisions, qu'en proposant la foi des siècles passés. Tous les conciles qui se succédoient, avoient l'attention de rappeler la foi et la doctrine des conciles qui les avoient précédés; la chaîne de la tradition n'étoit jamais interrompue sur un seul point. La parole de Dieu, consignée dans l'Ecriture, étoit la loi suprême de toutes les décisions; mais pour en fixer l'interprétation et prévenir toute variation, on ne trouvoit point de plus sûre interprétation que celle qui avoit toujours été publique et solennelle dans l'Eglise; ainsi on faisoit gloire à Calcédoine d'entendre l'Ecriture sainte comme on avoit fait à Ephèse; et à Ephèse comme on avoit fait à Constantinople et à Nicée.

<< Il est vrai, observe Bossuet, qu'on ne définit » expressément à Nicée, que ce qui avoit été ré» voqué en doute, qui étoit la divinité du fils de » Dieu. Car l'Eglise, toujours ferme dans la foi, » ne se presse pas dans ses décisions; et sans vou>> loir émouvoir de nouvelles difficultés, elle ne >> les résout par des décrets exprès, qu'à mesure » qu'on élève les difficultés. »>

On estimoit autant les derniers conciles que

les

les premiers, parce qu'ils suivoient toujours les inêmes vestiges. C'étoit dans cet esprit que le concile de Calcédoine disoit aux eutychiens : « Vous » réclamez les anciens conciles; le concile de » Calcédoine doit vous suffire, puisque par la » vertu du Saint-Esprit, tous les conciles ortho»doxes y sont renfermés ».

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Si l'on demande à quoi servent donc les nouvelles décisions des conciles, puisqu'ils ne font que déclarer ce qui étoit et ce qu'on pensoit avant eux ? Bossuet répond avec saint Vincent de Lérins: «Que les conciles, par leurs décisions >> donnent par écrit à la postérité ce que les an>> ciens avoient cru par la seule tradition; qu'ils » expriment en peu de mots le principe et la » substance de la foi; que pour en faciliter l'intelligence, ils expriment par quelque terme » nouveau, mais précis, la doctrine qui n'avoit jamais été nouvelle: Dicunt novè, non dicunt

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» nova ».

Bossuet observe avec raison, que lorsqu'on parle des saints Pères qui forment la tradition: «< on entend leur consentement et leur unanimité. » Si quelques-uns d'eux ont eu quelque chose de » particulier dans leurs sentimens, ou dans leurs » expressions, tout cela s'est évanoui, et n'a pas BOSSUET. Tome 11.

ΙΙ

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