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tendance générale de toutes les nations, dès les temps les plus reculés, à se soumettre à l'autorité absolue de leurs rois.

Il est bien difficile d'assigner avec certitude des causes dont l'action va se perdre dans les premiers âges du monde. Cette question, qui est plus faite pour exciter la curiosité, que pour satisfaire pleinement la raison, a exercé la sagacité de presque tous les publicistes. Mais nous croyons que parmi les conjectures sans nombre qu'elle a fait naître, il n'en est peut-être aucune aussi plausible que celle que Bossuet paroît avoir adoptée.

<< A regarder les hommes comme ils sont natu>> rellement, dit Bossuet, et avant tout gouver>>nement établi, on ne trouve que l'anarchie, » c'est-à-dire, dans tous les hommes, une liberté » farouche et sauvage, où chacun peut tout pré» tendre, et en même temps tout contester; où » tous sont en garde, et par conséquent en guerre » continuelle contre tous, et où la raison ne peut >> rien, parce que chacun appelle raison la pas» sion qui le transporte; et où le droit même de la >> nature demeure sans force, parce que la raison » n'en a point; où par conséquent il n'y a ni » propriété, ni domaine, ni bien, aucun droit, si » ce n'est celui du plus fort; encore ne sait-on > jamais qui est le plus fort, puisque chacun à

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>> son tour peut le devenir selon que les passions >> feront conjurer ensemble plus ou moins de gens.

» Savoir si le genre humain a jamais été tout >> entier dans cet état, ou quels peuples y ont été? » comment et par quels degrés on en est sorti ? >> il faudroit pour le décider, compter l'infini, >> et comprendre toutes les pensées qui peuvent >> monter dans le cœur de l'homme.

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>>

>> Quoi qu'il en soit, voilà l'état où l'on imagine les hommes avant tout gouvernement. S'i. >> maginer maintenant, avec M. Jurieu, dans le peuple considéré en cet état, une souveraineté qui est déjà une espèce de gouvernement, c'est » mettre un gouvernement avant tout gouverne>>ment, et se contredire soi-même. Loin que le » peuple en cet état soit souverain, il n'y a pas » même de peuple en cet état. Il peut bien y avoir » des familles et encore mal gouvernées et mal » assurées; il peut bien y avoir une troupe, un » amas de monde, une multitude confuse; mais » il ne peut y avoir de peuple, parce qu'un peu» ple suppose déjà quelque chose qui réunisse quelque conduite réglée et quelque droit éta>> bli; ce qui n'arrive qu'à ceux qui ont déjà com» mencé à sortir de cet état malheureux, c'est-à» dire, de l'anarchie.

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» C'est néanmoins du fond de cette anarchie,

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» que sont sorties toutes les formes de gouverne» ment, la monarchie, l'aristocratie, l'état po» pulaire et les autres; et c'est ce qu'ont voulu » dire ceux qui ont dit que toutes sortes de magis» tratures, ou de puissances légitimes, venoient originairement de la multitude ou du peuple. » Mais il ne faut pas conclure de là avec M. Ju»rieu, que le peuple, comme un souverain, ait » distribué les pouvoirs à chacun. Car pour cela, » il faudroit qu'il y eût eu ou un souverain, ou » un peuple réglé, ce qu'on ne peut supposer » dans un état d'anarchie.

» Il ne faut pas non plus s'imaginer que la sou» veraineté, ou la puissance publique soit une >> chose qu'il faille avoir pour la donner. Elle se >> forme et résulte du simple consentement passif » des particuliers, lorsque fatigués de l'état où » tout le monde est le maître, et où personne ne l'est, ils se sont laissés persuader de renoncer à » ce droit qui met tout en confusion, et à cette >> liberté qui fait tout craindre, en faveur d'un » gouvernement dont on convient. >>

Car il faut observer avec soin que Bossuet ne prétend ni censurer, ni blâmer aucune forme de gouvernement. Il est bien éloigné de supposer que tous les peuples doivent être gouvernés par des monarques plus ou moins absolus. Il se borne

à combattre le principe général de Jurieu, qui soutenoit que dans toutes les monarchies quelconques, la souveraineté réside dans le peuple comme dans sa source, et qu'il est le maître d'en conférer ou d'en ôter l'exercice au gré de sa volonté.

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C'est ce principe subversif de tous les gouvernemens, que Bossuet a voulu combattre. Car d'ailleurs il déclare qu'il ne prétend pas disputer qu'il ne puisse y avoir d'autre forme de gou» vernement, ni même examiner si le gouver>> nement monarchique est le meilleur ». Bossuet, sans s'égarer dans de vaines spéculations, respecte dans chaque peuple le gouvernement que l'usage y a consacré, et que l'expérience a fait trouver le plus favorable à son bonheur.

Il ne conteste point «< que plusieurs peuples » n'aient excepté et n'aient pu excepter contre le >> droit commun de la royauté, ou si l'on veut, » imaginer la royauté d'une autre sorte, et la » tempérer plus ou moins suivant le génie des >> nations et les diverses constitutions des Etats. » Il a voulu seulement démontrer que ces excep» tions ou limitations, loin d'être universelles, » n'étoient seulement pas connues des monarchies » les plus anciennes dont l'histoire ait conservé >> les monumens ».

Telle est la doctrine de Bossuet sur un des

points les plus importans du droit public des nations. Il étoit d'autant plus nécessaire de l'exposer avec une certaine étendue, que nous avons vu une grande nation expier bien cruellement le fatal oubli de tous les principes qui assurent l'ordre, la paix et le bonheur des rois et des peuples.

XVII.

tissementaux

protestans.

Ce ne fut qu'en 1691 que Bossuet publia son Du6.*aversixième avertissement aux protestans. Il est le plus important de tous, soit par la nature des questions qui y sont traitées, soit par la force et l'énergie des raisonnemens, soit enfin par l'étendue qu'il a donnée à leur développement.

Bossuet se vit forcé d'entrer dans la discussion d'un grand nombre de passages des premiers Pères, que le ministre Jurieu avoit altérés pour rendre suspecte la foi des premiers siècles de l'Eglise sur le mystère de la trinité.

Jurieu, pour excuser les variations des Eglises protestantes, s'efforçoit de prouver que l'Eglise elle-même avoit varié sur le premier et le principal mystère du christianisme, celui de la trinité.

Bossuet expose dans la première partie de ce sixième avertissement, tout ce que la théologie la plus sublime, puisée dans les écrits des premiers Pères de l'orient et de l'occident, nous enseigne sur ce dogme fondamental. On sent que l'analyse

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