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1694.

On peut observer dans cet écrit de Bossuet, comme dans tous ses autres ouvrages, cette exactitude et cette mesure dont il ne s'écarte jamais dans les discussions mêmes où il défend avec le plus de chaleur l'opinion qu'il juge la plus conforme à l'esprit de l'évangile et à la pureté de la morale chrétienne.

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Quant à ceux qui fréquentent la comédie, » écrit Bossuet, comme il y en a qui sont plus in» nocens les uns que les autres, et peut-être quel» ques-uns qu'il faut plutôt instruire que blâmer, >> ils ne sont pas répréhensibles au même degré ; >>> et il ne faut pas fulminer également contre tous; » mais il ne s'ensuit pas de là qu'il faille autori» ser les périls publics. >>

La lettre de Bossuet au Père Caffaro eut tout l'effet qu'il en avoit attendu et espéré; et l'on *Du 22 mai voit par la réponse* humble et modeste de ce religieux, combien on avoit abusé de sa bonne foi et de sa simplicité, en publiant des réflexions qu'il n'avoit jamais destinées à voir le jour. Mais il ne se borna pas à justifier la droiture de ses intentions; il désavoua dans une lettre qu'il adressa à M. de Harlay, archevêque de Paris, et dont il fit parvenir une copie à Bossuet, les maximes qu'on lui avoit attribuées. Il voulut même que sa

lettre fût imprimée pour détruire les inductions peu édifiantes, qu'on auroit pu tirer de la Disser tation publiée sous son nom.

Bossuet fut de son côté fidèle aux règles de discrétion et de charité qu'il s'étoit prescrites; il ne donna connoissance à personne de sa lettre au Père Caffaro. Cette lettre a paru pour la première fois en 1758 dans le recueil de M. de Boissy sur les Spectacles (1).

Cependant, comme cette affaire avoit fait de l'éclat, Bossuet crut devoir prémunir le public contre l'impression qui pouvoit encore rester dans l'esprit de quelques personnes. Il fit paroître la même année 1694, ses Réflexions et ses maximes sur la comédie. Ces réflexions et ces maximes sont les mêmes que celles qu'il avoit exposées dans sa lettre au Père Caffaro; il s'y attache seulement à expliquer avec un peu plus d'étendue la véritable doctrine de saint Thomas, dont on avoit cherché à abuser en faveur des spectacles.

Ce n'étoit pas seulement dans les limites de la France que Bossuet croyoit devoir renfermer les

IV. Bossuet dé

nonce à In

nocent XII l'ouvrage du

(1) Les derniers éditeurs de Bossuet en avoient donné con- cardinal

noissance à M. de Boissy, et l'avoient autorisé à en faire usage. Sfondrate. Les mêmes éditeurs l'ont depuis insérée (en 1778) dans le 1697. tome x de la dernière collection des ouvrages de Bossuet.

*

efforts de son zèle. La vérité, selon lui, ne devoit faire acception ni des personnes, ni des dignités. Il se jugeoit avec raison assez grand et assez fort pour oser attaquer l'erreur jusques dans Rome, et dénoncer à INNOCENT XII un cardinal qu'il avoit revêtu de la pourpre, et affectionné avec une bienveillance particulière.

Le cardinal Sfondrate, issu d'une famille ilGrégoi- lustre du Milanez, qui avoit donné un pape * à

re XIV.

l'Eglise, d'abord religieux bénédictin, étoit ensuite devenu abbé de Saint-Gall en Suisse. A l'époque des démêlés de la Cour de France avec celle de Rome, il avoit publié (en 1687) un ouvrage sous le titre de Gallia vindicata, où il combattoit la célèbre Déclaration du clergé de France sur la puissance ecclésiastique; et l'année suivante (1688), il publia un autre ouvrage, où il justifioit les mesures adoptées par le pape INNOCENT XI, pour abolir les franchises des ambassadeurs en matières criminelles.

Ce cardinal très-opposé, comme il est facile de s'en apercevoir par son livre sur la Prédestination, à la doctrine de Calvin, et même à celle de Jansenius, imagina un systême très-différent, pour expliquer cette grande énigme de la religion et de la raison, dont Dieu s'est réservé à lui seul le secret. Mais il lui arriva ce qui est

constamment arrivé à tous ceux qui ont eu la témérité de vouloir ajouter des inventions humaines aux définitions simples et précises dans lesquelles l'Eglise a voulu toujours se renfermer. Le cardinal Sfondrate, en voulant combattre un excès, tomba dans l'excès opposé. Le titre seul de son ouvrage : Nodus Prædestinationis dissolutus, déceloit une espèce de présomption qui devoit rendre suspectes ses opinions, et appeler une attention sévère et rigoureuse. Cet ouvrage ne vit point le jour tant que son auteur vécut; et il ne parut imprimé que quelques années après sa mort, avec l'approbation d'un théologien du pape, et sous les auspices, disoit-on, du cardinal Albano, depuis pape lui-même sous le nom de Clément XI.

Ce fut l'archevêque de Reims (Charles-Maurice le Tellier) qui en reçut en France le premier exemplaire; et il entreprit de le réfuter par une lettre imprimée au mois de janvier 1697. Mais Bossuet en ayant eu connoissance, se proposa un plan plus étendu, plus digne de l'importance de la matière, et plus convenable, en quelque sorte, à la dignité dont l'auteur avoit été revêtu. Ce fut de déférer au pape lui-même l'ouvrage du cardinal Sfondrate, dans une lettre raisonnée, où un petit nombre d'évêques se borneroient à expri

mer leurs sentimens et leur étonnement sur la doctrine du cardinal Sfondrate. Il voulut même éviter de donner à cette dénonciation un éclat qui auroit pu affliger ou blesser les amis que la mémoire du cardinal Sfondrate conservoit encore à Rome, ou plutôt, comme dit Bossuet dans sa lettre au pape, pour ne parottre point agir avec plus de faste que de modestie.

Bossuet se chargea de la rédaction de cette lettre; il la composa en peu de jours, et elle fut souscrite le 23 février 1697 par l'archevêque de Reims, l'archevêque de Paris (Noailles), Bossuet, l'évêque d'Arras (1), et l'évêque d'Amiens (2).

Cette lettre paroissoit se borner à énoncer les propositions du livre qu'on avoit jugé les plus répréhensibles. Le respect que Bossuet vouloit observer pour le saint Siége, lui défendoit en quelque sorte de prévenir son examen et son jugement; mais il avoit eu soin de placer à la suite des propositions les raisons et les autorités qui devoient en déterminer la condamnation; et il faut convenir que les idées du cardinal Sfondrate étoient si extraordinaires, elles choquoient si directe

(1) Gui de Sève de Roche-Chouard, nommé à l'évêché d'Arras en 1670, se démit en 1721 en faveur de son neveu, après cinquante-un ans d'épiscopat.

(2) Henri de Feydeau de Brou, nommé à l'évêché d'Amiens en 1687, mort le 14 juin 1706, âgé de cinquante-trois ans.

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