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gage et dans les brillans prestiges de son imagination, et qui prêtoit à ses erreurs mêmes l'ornement de ses vertus.

Et quand on se rappelle que l'auteur d'une doctrine qui ne paroissoit inspirée que par le sentiment le plus pur et le plus sublime, étoit l'instituteur de l'héritier du trône et l'oracle de tout ce que la Cour avoit de plus vertueux, il est facile de concevoir toute la force qu'un tel appui pouvoit donner à une secte naissante.

C'est ce qui explique et justifie en même temps la véhémence, avec laquelle Bossuet combattit des erreurs qui lui parurent d'un si grand danger.

On comprend aisément que la controverse du quiétisme, considérée sous ce point de vue, étoit digne d'exercer son génie, et digne d'attirer l'attention du siècle où elle a été agitée; c'est par cette raison que les contemporains de Bossuet et de Fénélon, en s'affligeant de voir ces deux grands hommes porter dans leurs démêlés un sentiment trop passionné, ne cessèrent jamais de les environner l'un et l'autre de leur respect, de leur amour et de leur estime. Les sentimens purent être partagés sur leurs procédés; mais Bossuet a fini par réunir toutes les opinions sur la justice de la cause qu'il défendoit.

Il n'en a pas été de même dans le siècle qui a suivi celui de Louis XIV. Presque tous les écrivains qui ont parlé de cette controverse ont mêlé à leurs récits toutes leurs petites passions, et tous leurs préjugés d'opinion et de parti.

Les uns, dans la vue d'affoiblir l'autorité de Bossuet, se sont plu à lui supposer les sentimens et les motifs les plus opposés à la grandeur de son ame et à l'élévation de son caractère. Ils ont trouvé un secret plaisir à ajouter de l'amertume à la vivacité de ses procédés et de ses expressions; ils ont cru sans doute pouvoir se soustraire à l'autorité de ses jugemens, en représentant le plus habile défenseur de la religion comme un ennemi passionné, envieux des succès et de l'éclat de Fénélon.

Quelques autres, irrités d'avoir vu Fénélon se déclarer hautement contre des opinions qui leur étoient chères, ont voulu rabaisser ses talens, et accuser ses intentions. Ils ont donné à l'un des hommes les plus vertueux qui aient honoré l'humanité, des vues d'ambition et d'intrigue, que l'histoire de sa vie entière a démenties, et qui lui auroient prescrit la conduite directement opposée à celle qu'il a suivie, s'il eût pu être inspiré par un sentiment aussi méprisable.

Les esprits légers et superficiels n'ont voulu

VII. Bossuet

troverse.

voir dans la controverse du quiétisme qu'une dispute de mots sur des questions inintelligibles; dans les démêlés de Bossuet et de Fénélon, qu'une rivalité de gloire et de succès entre des hommes d'un grand talent; et dans les pieuses extravagances de M.me Guyon, qu'un sujet de ridicule.

Ce n'est ni avec cette légèreté, ni avec cet esprit de parti, qu'il est permis de parler des discordes et des combats de deux hommes tels que Bossuet et Fénélop. L'historien doit chercher à s'associer en quelque sorte à la dignité de ces grands personnages par la dignité de son langage et la sage réserve de ses réflexions.

Il est certain que lorsque Bossuet commença est forcé de à prendre connoissance des ouvrages de M.me prendre part à cette con- Guyon, il n'apportoit aucune prévention contre sa personne, ni contre są doctrine. A peine avoitil entendu prononcer son nom. Peut-être avoitil entendu parler de ses singularités et des persécutions dont elle avoit été l'objet ; mais il étoit plus disposé à la plaindre et à s'intéresser à son sort par l'estime qu'elle avoit su inspirer aux amis respectables qu'elle s'étoit faits à la Cour, qu'à se placer au nombre de ses adversaires et de ses détracteurs. Le suffrage de Fénélon, des ducs de Beauvillier et de Chevreuse, et la protection de M.me de Maintenon devoient être naturellement

d'un grand poids pour Bossuet. On étoit encore si éloigné de lui supposer la plus légère malveillance; il étoit lui-même si peu porté à intervenir dans ces discussions, que ce furent les amis mêmes de M.me Guyon qui réclamèrent l'autorité de son jugement, et que ce ne fut pas sans peine qu'ils triomphèrent de sa répugnance à prendre connoissance de ses écrits.

M.me Guyon réunissoit beaucoup d'esprit, de qualités et de vertus à beaucoup de travers. C'est ce qui explique comment une femme, dont les idées singulières étoient plus faites pour éloigner, que pour attirer la confiance, étoit parvenue à s'introduire dans la société intime de M.me de Mainles deux person

tenon et du duc de Beauvillier, les deux nes du monde que la sagesse de leur esprit et la rectitude habituelle de leurs idées devoient le plus préserver de toute espèce d'illusions.

Nous n'en dirons peut-être pas autant de Fénélon, que la vivacité de son imagination, une piété tendre et affectueuse, et le désir exagéré d'une perfection plus qu'humaine, pouvoient rendre plus accessible à des maximes et à un langage qui s'accordoient avec celui de tous les auteurs mystiques, dont il s'étoit nourri dès sa jeunesse.

Ce ne fut pas sans peine que l'évêque de Char

tres, justement alarmé des singularités que la doctrine de M.me Guyon et quelques écrits de Fénélon avoit introduites à Saint-Cyr, parvint à désabuser M.me de Maintenon des préventions favorables que lui avoit inspirées M.me Guyon, et à combattre le sentiment qui la ramenoit toujours à Fénélon.

Des notes manuscrites de l'abbé Fleury nous apprennent qu'un jour l'évêque de Chartres,

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» fort alarmé, vint dire à M.me de Maintenon

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qu'il ne falloit

ne falloit pas s'étonner s'il y avoit à Saint» Cyr de la division; qu'il y couroit des livres pernicieux, entr'autres, le Moyen court. Ma» dame de Maintenon le tira de sa poche en >> riant, lui demandant si c'étoit celui-là, et sou>> tenant qu'il étoit fort bon ». L'abbé Fleury ajoute « depuis deux ans, M.me de Maintenon >> le portoit toujours sur elle ».

Cependant l'éloignement de l'évêque de Chartres pour cette nouvelle doctrine fit une juste impression sur M.me de Maintenon; et elle crut devoir consulter les théologiens les plus vertueux et les plus éclairés du clergé de Paris, tels que le Père Bourdaloue, M. Tiberge, M. Brisacier, M. Joly et M. Tronson. Tous ces théologiens s'expliquèrent sévèrement contre le livre et la doctrine de M.me Guyon. M. Tronson, par égard

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